tag:blogger.com,1999:blog-6939543405919916302024-03-13T21:28:17.495+01:00L'enlivréeUne amoureuse de littérature qui publie ses billets de cœur!Unknownnoreply@blogger.comBlogger98125tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-37399452135324448642018-08-09T18:07:00.000+02:002018-10-10T11:34:30.277+02:00L'Œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar<span style="font-size: large;">Critique de <i>L'Oeuvre au Noir</i></span><span style="font-size: large;"> de Marguerite Yourcenar</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_ZiupFF8yer5gLwrlGNKJi6OxUjBmzncYyiXUUXa4z3abNJIH3TEm-EU0O_EXeOn0vQWDJg4FXENvWFm_UQK9j2phv56BJNtJjb2Kg5yjX3VNubi1JxXM0379B2fusnnK_GEGdGYGD-xM/s1600/Yourcenar_Loeuvreaunoir.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="345" data-original-width="210" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_ZiupFF8yer5gLwrlGNKJi6OxUjBmzncYyiXUUXa4z3abNJIH3TEm-EU0O_EXeOn0vQWDJg4FXENvWFm_UQK9j2phv56BJNtJjb2Kg5yjX3VNubi1JxXM0379B2fusnnK_GEGdGYGD-xM/s320/Yourcenar_Loeuvreaunoir.jpg" width="194" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture</i> : <i>En créant le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle, Marguerite Yourcenar, l'auteur des </i>Mémoires d'Hadrien<i>, ne raconte pas seulement le destin tragique d'un homme extraordinaire. C'est toute une époque qui revit dans son infinie richesse, comme aussi dans son âcre et brutale réalité : un monde contrasté où s'affrontent le Moyen Âge et la Renaissance, et où pointent déjà les temps modernes, monde dont Zénon est issu, mais dont peu à peu cet homme libre se dégage, et qui pour cette raison même finira par le broyer.</i><br />
L'Oeuvre au Noir<i> a obtenu en 1968 le prix Femina à l'unanimité.</i><br />
<div style="text-align: justify;">
Au coeur du XVIe siècle naît, vit et meurt Zénon, fils bâtard de Messer Alberico de' Numi jeune courtisan chez les Borgia et d'Hilzonde Ligre, soeur d'Henri-Juste Ligre, un flamand épris d'Italie qui accueille ce dernier chez lui. Son statut dans la société prédestine Zénon à des études de théologie pour intégrer l'<span style="font-family: "times new roman" , serif; text-align: start;">É</span>glise mais très tôt, l'enfant témoigne de capacités remarquables pour l'étude. Grâce à l'enseignement du beau-frère d'Henri-Juste, le chanoine de Saint-Donatien à Bruges Bartholommé Campanus, il apprend rapidement le latin, un peu de grec et les fondamentaux de l'art alchimique. <span style="text-align: start;">À Bruges, il fréquente également des garçons du peuple comme Jean Myers ou encore Colas Gheel qui développent chez lui un amour de l'expérimentation pratique. Pour confirmer son aspiration à la prêtrise, il s'inscrit à l'École de théologie très renommée de Louvain. Ainsi débute le parcours de Zénon, personnage fictif dont le destin de médecin philosophe ranime les débats, les controverses et les passions qui travaillèrent le XVIe siècle.</span></div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj0Qzla1tk4MX_TxdAnVLgNA9-MW5i4jXIrVeCQkLGoPRexlIg4xPPD5jUu7z6Y8ZWnE9XekU3aca9TefxG5xfWyCX_inwGBoJzc6v-vlDnu4Ojv9-fmTzWSi0Sm6dw8rpCWET-8ZvQnrPr/s1600/leonardo-da-vinci-l-homme-de-vitruve-vers-1492_a-G-350167-0.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="488" data-original-width="389" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj0Qzla1tk4MX_TxdAnVLgNA9-MW5i4jXIrVeCQkLGoPRexlIg4xPPD5jUu7z6Y8ZWnE9XekU3aca9TefxG5xfWyCX_inwGBoJzc6v-vlDnu4Ojv9-fmTzWSi0Sm6dw8rpCWET-8ZvQnrPr/s320/leonardo-da-vinci-l-homme-de-vitruve-vers-1492_a-G-350167-0.jpg" width="255" /></a></div>
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<span style="font-size: x-small;"><i>L'Homme de Vitruve</i>, dessin annoté de Léonard de Vinci, vers 1490.</span></div>
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<span style="text-align: justify;"><i><span style="font-size: x-small;"><br /></span></i></span></div>
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<a name='more'></a><u>Mon avis :</u><br />
J'avais lu <i><span style="color: #cc0000;">Mémoires d'Hadrien</span> </i>en septembre 2016 car cet ouvrage figurait au programme de l'agrégation de lettres modernes (il était alors reconduit sur le programme du concours interne). J'ai beaucoup aimé cette lecture, notamment pour la finesse des caractères (perceptible dans le portrait de Plotine par exemple) et des réflexions des personnages. Je n'avais alors rien lu de Marguerite Yourcenar. Les méditations d'Hadrien sur la fin de sa vie constituent à mon sens <b>des pièces majeures de la littérature du XXe siècle</b>. <i><span style="color: #cc0000;">L'Oeuvre au Noir</span></i> est une oeuvre différente à de nombreux titres. On peut noter que l'histoire se déroule dans l'Europe du XVIe siècle et que le personnage principal, le médecin Zénon, est totalement fictif contrairement à Hadrien qui est un personnage historique. Ainsi l'auteur explique la chose suivante à propos d'Hadrien et de Zénon dans les <span style="color: #cc0000;"><i>Carnets de notes de</i> L'Oeuvre au Noir</span> :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Deux êtres profondément différents l'un et l'autre : l'un reconstruit sur des fragments du réel, l'autre imaginaire, mais nourri d'une bouillie de réalité. Les deux lignes de force, l'une partie du réel et remontant vers l'imaginaire, l'autre partie de l'imaginaire et s'enfonçant dans le réel, s'entrecroisent. Le point central est précisément le sentiment de l'ÊTRE.</blockquote>
Marguerite Yourcenar conçoit <span style="color: #7f6000;"><b>un lien intime </b>entre les démarches, apparemment opposées, de ces deux romans</span>. Zénon est donc un personnage fictif qui permet de révéler <b>la richesse culturelle de la Renaissance</b> dans toute sa complexité. En effet, l'auteur en a fait un médecin : en tant que montpelliéraine, j'ai été comblée par ce choix puisque ma ville joue un rôle crucial grâce à la très ancienne université de médecine et grâce à de grandes figures comme <b>Guillaume Rondelet</b>, dont il est question dans le roman. L'auteur note à ce sujet qu' "un bon quart des comparses qui traversent ce livre sont d'ailleurs pris tels quels à l'histoire ou aux chroniques locales : la nonce della Casa, le procureur Le Cocq, le professeur Rondelet qui en effet fit scandale à Montpellier en disant disséquer devant lui le cadavre de son fils". Elle précise plus loin :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Certains incidents historiques, toutefois, ont été légèrement modifiés pour leur permettre de tenir dans le cadre du présent récit. L'autopsie pratiquée par le docteur Rondelet sur un fils en réalité mort en bas âge a été antidatée de quelques années, et ce fils représenté comme au seuil de l'âge adulte, pour qu'il pût devenir "ce bel exemplaire de la machine humaine" sur lequel médite Zénon. En fait, Rondelet, célèbre de bonne heure pour ses travaux d'anatomie (et auquel il arriva de disséquer aussi sa belle-mère), était de peu l'aîné de son imaginaire élève.</blockquote>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjRW8ySQ4JJr1S2lr6ZY7c60og8ZWi5AJKx8cND9wrjgSRiuskWRNv5YB5Noasq5Jyqo-kLa7Qkgkg0TpH_eBKtBhPt_NhVCEL0MzVpWLaKoQOVlKJ8S6sw0tVVtrjuI1rOL9QVQo_j6Pl-/s1600/Rondelet.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="868" data-original-width="800" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjRW8ySQ4JJr1S2lr6ZY7c60og8ZWi5AJKx8cND9wrjgSRiuskWRNv5YB5Noasq5Jyqo-kLa7Qkgkg0TpH_eBKtBhPt_NhVCEL0MzVpWLaKoQOVlKJ8S6sw0tVVtrjuI1rOL9QVQo_j6Pl-/s320/Rondelet.jpg" width="294" /></a></div>
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<span style="font-size: x-small;"><i>Guillaume Rondelet, portrait de 1545, faculté de médecine de Montpellier.</i></span></div>
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<span style="font-size: x-small;"><i><br /></i></span></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
Ainsi, Zénon est un personnage fictif dont le caractère et l'histoire embrassent l'effervescence culturelle du XVIe siècle. C'est <b><span style="color: #7f6000;">une création stratégique</span></b> de l'auteur pour rendre possible une plongée exigeante dans cette époque fascinante. Elle explique la chose suivante dans la note postface : "sans qu'il s'agît de composer mécaniquement un personnage synthétique, ce qu'aucun romancier consciencieux n'accepte de faire, d'assez nombreux points de suture rattachent l'imaginaire philosophe à ces authentiques personnalités échelonnées le long de ce même siècle, et aussi à quelques autres ayant vécu dans les mêmes lieux, couru des aventures analogues, ou cherché à atteindre les mêmes buts". <b>Ce n'est pas uniquement un personnage exemplaire dont la trajectoire est signifiante, c'est aussi un moyen de révéler les échanges fertiles, les associations de penseurs et les différents courants ayant animé des débats voire d'importantes querelles</b>. Sa vie fictive croise les destinées de <span style="color: #cc0000;">Paracelse, de Copernic, de Dolet, de Vésale, d'Ambroise Paré, de Galilée, de Campanella ou encore du dominicain Giordano Bruno</span>. La Renaissance est <b>un moment d'histoire qu'on connait trop peu</b> pour des raisons variées : par exemple cela nécessite une grande familiarité avec des conceptions du monde qui nous sont devenues étrangères. L'essor du <b><span style="color: #7f6000;">néoplatonisme</span></b> <i>via</i> la pensée de <span style="color: #cc0000;">Marsile Ficin</span> et la christianisation de <span style="color: #cc0000;">Plotin</span> (c'est le principe de la<i> translatio studii,</i> c'est-à-dire considérer qu'il existe un relai, un passage d'un espace géographique à l'autre pour l'apogée du savoir, il existerait donc une filiation entre les écrits des anciens et le monde contemporain) marque tous les aspects culturels d'alors : la théologie, la théorie de la création poétique ou encore la philosophie, l'amour et la médecine. L'histoire de Zénon permet d'aborder de manière <span style="color: #7f6000;"><b>ludique et progressive</b></span> toutes ces questions extrêmement complexes. C'est un ouvrage qui donne de l'élan à la curiosité naturelle d'autrui. Le lecteur a l'impression d'avoir part à l'intimité du héros comme un ami fidèle. Toutes proportions gardées, cela ressemble un peu à la relation que Montaigne tisse avec le lecteur de ses <i><span style="color: #cc0000;">Essais</span></i>. Marguerite Yourcenar fait de Zénon une figure exemplaire du XVIe siècle :</div>
<blockquote class="tr_bq">
Sur le plan des idées, ce Zénon, marqué encore par la scolastique, et réagissant contre elle, à mi-chemin entre le dynamisme subversif des alchimistes et la philosophie mécaniste qui allait avoir pour elle l'immédiat avenir, entre l'hermétisme qui place un Dieu latent à l'intérieur des choses et un athéisme qui ose à peine dire son nom, entre l'empirisme matérialiste du praticien et l'imagination quasi visionnaire de l'élève des cabbalistes, prend également appui sur d'authentiques philosophes ou hommes de sciences de son siècle.</blockquote>
<b>Ce caractère synthétique n'est pourtant pas une construction abstraite,</b> il épouse les problématiques de son siècle en présentant une trajectoire emblématique :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Médecin, alchimiste, artificier, astrologue, il avait porté bon gré mal gré la livrée de son temps ; il avait laissé le siècle imposer à son intellect certaines courbes. Par haine du faux, mais aussi par l'effet d'une fâcheuse âcreté d'humeur, il s'était engagé dans des querelles d'opinions où à un Oui insane répond un Non imbécile.</blockquote>
Cette mention des querelles d'époque est très intéressante, ces dernières apparaissent en effet dans les dialogues très riches du roman, j'en parlerai plus tard. Cependant, <b>j'ai été moins convaincue par l'intrigue du roman</b>, notamment l'affaire des Anges qui concerne un scandale de moeurs à l'intérieur d'un monastère. Il était peut-être nécessaire de ménager certains épisodes pour des <span style="color: #7f6000;">descriptions sulfureuses</span>, l'intérêt principal de cette histoire est qu'elle permet de mettre en perspective le caractère de Zénon et l'importance de ses renoncements tout en infléchissant son destin de manière tragique :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Vainement, en anatomiste et non en amant, il essayait de se représenter avec mépris les jeux de ces enfants charnels. Il se redit que la bouche, où se distillent les baisers, n'est que la caverne des mastications, et que la trace des lèvres qu'on vient de mordre rebute au bord d'un verre. Vainement, il imagina de blanches chenilles pressées l'une sur l'autre ou de pauvres mouches engluées dans le miel. Quoi qu'on fît, Idelette et Cyprien, François de Bure et Matthieu Aerts étaient beaux. L'étuve abandonnée était vraiment une chambre magique ; la grande flamme sensuelle transmutait tout comme celle de l'athanor alchimique et valait qu'on risquât celle des bûchers. La blancheur des corps nus luisait comme ces phosphorescences qui attestent les vertus cachées des pierres.</blockquote>
Le scandale des Anges permet aussi à l'auteur de brosser des scènes pathétiques notamment l'exécution d'Idelette qui termine sur <b><span style="color: #7f6000;">une anecdote carnavalesqu</span></b>e : "par malheur, le bourreau, intimidé par ce cou délicat, n'eut pas la main sûre : il dut s'y reprendre à trois fois et s'échappa, justice faite, hué par la foule, poursuivi par une grêle de sabots et une averse de choux ramassés dans les paniers du marché". Le roman couvre l'intégralité de la vie de Zénon, de sa naissance à sa mort, mais certains épisodes ne sont évoqués que de manière elliptique, c'est le cas de sa rencontre avec la dame de Frösö. Cette idylle nordique n'est décrite que par touches discrètes, tout au long du roman, cette femme n'est jamais nommée et semble appartenir au <b><span style="color: #7f6000;">monde merveilleux du conte</span></b> : "Le soir, dans son petit manoir de Frösö, elle lui avait offert sur la table couverte d'une toile blanche le pain de seigle et le sel, les baies et la viande séchée ; elle l'avait rejoint dans le grand lit de la chambre haute avec une sereine impudeur d'épouse".<br />
Marguerite Yourcenar a un talent particulier pour créer dans son roman des atmosphères différentes grâce à des descriptions efficaces de scènes et d'événements variés. C'est notamment le cas lorsque le puritanisme s'empare d'un village :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Un élan d'activité secouait par moments ces âmes hébétées et folles. Hans décréta la démolition immédiate des tours, des clochers, et de ceux des pignons de la ville qui dépassaient orgueilleusement les autres, insultant ainsi à l'égalité qui doit régner chez tous devant Dieu. Des escouades d'hommes et de femmes suivies d'enfants piailleurs s'engouffrèrent dans l'escalier des tours ; des volées d'ardoises et des pelletées de briques s'abattirent sur le sol, endommageant les têtes des passants et les toitures des maisons basses ; on descella à demi du toit de Saint-Maurice des saints de cuivre qui restèrent suspendus de guingois entre terre et ciel ; on arracha des poutres, pratiquant ainsi dans les logis des anciens riches, des trouées par où tombaient la pluie et la neige. Une vieille femme qui s'était plainte de geler toute vive dans sa chambre ouverte aux quatre vents fut chassée de la ville ; l'évêque refusa de l'accueillir dans son camp ; on l'entendit crier pendant quelques nuits dans les fossés.</blockquote>
<b>La description de la prise de pouvoir sur le village est très efficace</b>. Elle donne l'impression d'un mouvement irrémédiable qui n'est pas directement imputable à une autorité précise et identifiable. Les sujets des verbes d'action sont des entités abstraites : "un élan d'activité", "des escouades" ou encore "des volées d'ardoises et des pelletées de briques" et l'auteur utilise l'indéfini "on" : "on arracha", "on descella". Une coordination qui s'apparente au <b><span style="color: #7f6000;">zeugme</span></b> crée un effet cruel : "endommageant les têtes des passants et les toitures des maisons basses". Les personnes sont implicitement comparées à des objets matériels ce qui renforce la personnification des clochers entamée plus haut : "Hans décréta la démolition immédiate des tours, des clochers, et de ceux des pignons de la ville qui dépassaient orgueilleusement les autres" (les sommets des tours sont comparés à des têtes et l'adverbe "orgueilleusement" prête à un inanimé des caractéristiques et émotions humaines). De même, on constate la mention des "saints de cuivre qui restèrent suspendus de guingois entre terre et ciel". <b>Il s'agit non seulement de décrire très exactement la scène, mais également de présenter un <span style="color: #7f6000;">symbole</span> au lecteur</b> : c'est précisément parce que les figures de saints ont un statut particulier et ambivalent entre la terre et le ciel qu'elles posent problème (cela interroge le sacré et pose la question des idoles). Enfin, on peut noter l'effet de chute qui s'apparente une nouvelle fois à une note cruelle : on remarque que la folie qui, au départ, était une caractéristique des réformateurs ("ces âmes hébétées et folles") a changé de camp et ce sont désormais les villageois qui sont décrits comme tels ("on l'entendit crier pendant quelques nuits dans les fossés"). L'événement brutal du décès de la vieille femme est d'autant plus violent qu'il est traité de manière elliptique, comme une anecdote. Il me semble que <b>cela rappelle par moment le caractère froid et lapidaire de <span style="color: #cc0000;">l'ironie flaubertienne</span></b>. Il ne s'agit que d'un exemple circonscrit choisi à l'aventure, mais il faut noter de manière plus générale, <span style="color: #7f6000;">la qualité du style</span> de Marguerite Yourcenar.<br />
Selon moi, <b>les dialogues ainsi que les méditations d'introspection de Zénon constituent la partie la plus riche et la plus fascinante du roman</b>. Je pense notamment à une discussion avec Henri-Maximilien où Zénon s'interroge sur les débats et les querelles :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Suis-je Servet, cet âne, reprit sauvagement Zénon, pour risquer de me faire brûler à petit feu sur une place publique en l'honneur de je ne sais quelle interprétation d'un dogme, quand j'ai en train mes travaux sur les mouvements diastoliques et systoliques du coeur, qui m'importent beaucoup plus ? Si je dis que trois font un ou que le monde fut sauvé en Palestine, ne puis-je inscrire en ces paroles un sens secret au-dedans du sens extérieur, et m'enlever ainsi jusqu'à la gêne d'avoir menti ? Des cardinaux (j'en connais) s'en tirent de la sorte, et c'est ce qu'ont fait des docteurs qui passent maintenant pour porter un halo au ciel. Je trace comme un autre les quatre lettres du Nom auguste, mais qu'y mettrais-je ? Tout, ou son Ordonnateur ? Ce qui Est, ou ce qui n'est pas, ou ce qui Est en n'étant pas, comme le vide et le noir de la nuit ? Entre le Oui et le Non, entre le Pour et le Contre, il y a ainsi d'immenses espaces souterrains où le plus menacé des hommes pourrait vivre en paix.</blockquote>
On reconnait, dans ces comparaisons et ce style oratoire <span style="color: #cc0000; font-weight: bold;">la verve et les thèmes propres à Pascal</span>. On peut noter l'idée du renversement du pour au contre ainsi que "la guerre ouverte entre les hommes" qui opposa, selon Pascal, les relativistes aux dogmatiques :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Voilà la guerre ouverte entre les hommes, où il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement ou au dogmatisme ou au pyrrhonisme, car qui pensera demeurer neutre sera pyrrhonien par excellence. Cette neutralité est l'essence de la cabale. [...] </blockquote>
<blockquote class="tr_bq">
Que fera donc l'homme en cet état ? Doutera-t-il de tout ? Doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brûle ? Doutera-t-il s'il doute ? Doutera-t-il s'il est ? On n'en peut venir là, et je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient la raison impuissante et l'empêche d'extravaguer jusqu'à ce point.</blockquote>
<blockquote class="tr_bq">
Dira-t-il donc au contraire qu'il possède certainement la vérité lui qui, si peu qu'on le pousse, ne peut en montrer aucun titre et est forcé de lâcher prise ?</blockquote>
<blockquote class="tr_bq">
Quelle chimère est-ce donc que l'homme, quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige, juge de toutes choses, imbécile verre de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers ?</blockquote>
<blockquote class="tr_bq">
Qui démêlera cet embrouillement ? [...] La nature confond les pyrrhoniens et la raison confond les dogmatiques. Que deviendrez-vous donc, ô homme qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle ? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes ni subsister dans aucune. (<i><span style="color: #cc0000;">Les Pensées</span></i> de Pascal, classement Sellier, liasse "Contrariétés", fragment 164). </blockquote>
C'est un de mes passages favoris des <span style="color: #cc0000;"><i>Pensées</i> </span>et je trouve que la question de la vérité et du doute est omniprésente dans <i><span style="color: #cc0000;">L'Oeuvre au Noir</span></i>. Ainsi, l<b>e titre fait référence à la première étape alchimique du Grand Oeuvre</b> : "La formule <i>L'Oeuvre au Noir,</i> donnée comme titre au présent livre, désigne dans les traités alchimiques la phase de séparation et de dissolution de la substance qui était, dit-on, la part la plus difficile du Grand Oeuvre". Zénon pense le monde à travers plusieurs grilles d'interprétation, plusieurs paradigmes, notamment l'alchimie. Le roman est donc farci de références qui servent très souvent des <span style="color: #7f6000;">formules poétiques</span> : "Sans conteste, répondit Zénon. Vos doutes et votre foi sont des bulles d'air à la surface, mais la vérité qui se dépose en nous comme le sel dans la cornue au cours d'une distillation hasardeuse est en deçà de l'explication de la forme, trop chaude ou trop froide pour la bouche humaine, trop subtile pour la lettre écrite, et plus précieuse qu'elle".<br />
Ainsi, il me semble que l'image et la forme du cercle sont omniprésentes dans le roman, comme une figure récurrente, de même que les spirales ou les cônes des <span style="color: #cc0000;">traités géométriques de Pascal</span>. Le <b><i>cercle </i></b>constitue le symbole de la pensée dogmatique, du système cohérent hermétiquement bouclé sur lui-même : "Rien ne finissait : les maîtres ou les confrères dont il avait reçu une idée ou grâce à qui il s'en était formé une autre, contraire, poursuivaient sourdement leur inaccommodable controverse, chacun assis dans sa conception du monde comme un magicien à l'intérieur de son <b>cercle</b>". Ainsi, le philosophe qui questionne le cercle devient suspect : "Loin de s'élancer avec joie, comme le philosophe, crevant <b>la sphère des fixes, </b>dans ces froids et ardents espaces, l'homme s'y sentait perdu, et l'audacieux qui se risquait à en démontrer l'existence devenait un transfuge". Le cercle devient un tombeau : "L'indifférence du sage pour qui tout pays est patrie et toute religion un culte valable à sa manière exaspérait mêmement cette foule de prisonniers ; si ce philosophe renégat, qui ne reniait pourtant aucune de ses croyances véritables, était pour eux tous un bouc émissaire, c'est que chacun, un jour, secrètement ou parfois même à son insu, avait souhaité sortir du <b>cercle</b> où il mourrait enfermé". L'accommodement voire le mensonge également, prennent la forme symbolique de la <b><i>courbe</i></b>. Ainsi, il s'agit de dissoudre l'opposition apparente des contraires, dans un horizon métaphysique. Cette idée mystique est partout présente dans l'<i>Oeuvre au Noir</i> : Zénon en parle à de très nombreuses reprises avec le prieur des Cordeliers qui joue un rôle fondamental dans le roman. Zénon lui dit : "nous nous retrouvions au-delà des contradictions". C'est le thème de la "jointure des contraires". <span style="color: #cc0000;">Giorgio Agamben</span> dans un article sur l'image perverse et la sémiologie du point de vue du Sphinx paru dans son ouvrage <span style="color: #cc0000;"><i style="color: #cc0000;">Stanze</i>,</span> réfléchit au sens de cette "jointure des contraires" chez <span style="color: #cc0000;">le philosophe grec Héraclite</span> :<br />
<blockquote class="tr_bq">
[Héraclite] s'est fait une réputation d'obscurité en rapprochant les contraires, en créant des oxymorons où les termes opposés ne s'excluent pas, mais désignent leur invisible point de contact. Il est à cet égard révélateur qu'Aristote, pour caractériser l'énigme, emploie une expression qui reflète sans nul doute ce que dit Héraclite de la "jointure des contraires" dans la <i>Poétique</i> (58 <i>a</i>), il déclare que l'énigme consiste à <i><span style="font-family: "times new roman" , serif; text-align: start;">τά </span><span style="font-family: "times new roman" , serif; text-align: start;"></span></i><span style="font-family: "times new roman" , serif; text-align: start;"><i>ἁδύνατα συνάψαι [nota : (ta adunata, sunapsaï)]</i> à "joindre des inconciliables". Giorgio Agamben, <i><span style="color: #cc0000;">Stanze</span></i>, Payot, coll. "Rivages poche Petite Bibliothèque", Paris, 1998, p. 232.</span></blockquote>
La vérité n'existe que dans cet horizon qui n'est jamais pleinement à la portée de l'esprit humain. <b>Les idées empruntent la forme de courbes censées se rejoindre dans l'horizon métaphysique et mystique du divin (à qui seul appartient l'image parfaite et conceptuelle des droites parallèles) </b>:<br />
<blockquote class="tr_bq">
Il en est d'elles [des idées] comme des courbes tracées à partir d'un plan commun, qui est l'humain intellect, divergeant aussitôt pour se rapprocher ensuite, puis s'éloignant de nouveau les unes des autres, s'intersectant parfois dans leurs trajectoires ou se confondant au contraire sur un segment de celles-ci, mais dont nul ne sait si elles se rejoignent ou non en un point qui est au-delà de notre horizon. Il y a fausseté à les déclarer parallèles.</blockquote>
C'est donc dans une forme de <b><i>progression spiralaire</i></b> que siège la possibilité d'un progrès pour cheminer vers la vérité : "Tout fluctuait : tout fluctuerait jusqu'à dernier souffle. Et cependant, sa décision était prise : il le reconnaissait moins aux <i><b>lignes sublimes</b></i> du courage et du sacrifice qu'à on ne sait <i><b>quelle obtuse forme</b></i> de refus qui semblait le fermer comme <i><b>un bloc</b></i> aux influences du dehors, et presque à la sensation elle-même. Installé dans sa propre fin, il était déjà Zénon <i>in aeternum</i>". Le dernier sursaut de panique du héros est encore placé sous le signe du cercle : "La cloche de Notre-Dame sonna : il compta les coups. Brusquement, une révolution se fit : le calme cessa, emporté par l'angoisse comme par <i><b>un vent tournant en cercle</b></i>".<br />
Le titre énigmatique du roman prend finalement son sens avec la fin de la vie du héros, c'est l'occasion pour l'auteur de décrire cette "jointure des contraires" dans <b>le mouvement symbolique de la sphère solaire qui meurt sur la ligne de l'horizon</b>.<br />
<blockquote class="tr_bq">
La nuit était tombée, sans qu'il pût savoir si c'était en lui ou dans la chambre : tout était nuit. La nuit aussi bougeait : les ténèbres s'écartaient pour faire place à d'autres, abîme sur abîme, épaisseur sombre sur épaisseur sombre. Mais ce noir différent de celui qu'on voit par les yeux frémissait de couleurs issues pour ainsi dire de ce qui était leur absence : le noir tournait au vert livide, puis au blanc pur ; le blanc pâle se transmutait en or rouge sans que cessât pourtant l'originelle noirceur, tout comme les feux des astres et l'aurore boréale tressaillent dans ce qui est quand même la nuit noire. Un instant qui lui sembla éternel, <b>un globe</b> écarlate palpita en lui ou en dehors de lui, saigna sur la mer. Comme le soleil d'été dans les régions polaires, <b>la sphère éclatante</b> parut hésiter, prête à descendre d'un degré vers le nadir, puis, d'un sursaut imperceptible, remonta vers le zénith, se résorba enfin dans un jour aveuglant qui était <b>en même temps</b> la nuit.</blockquote>
Cela convoque naturellement le travail de <span style="color: #cc0000;">Nicolas de Cues</span> dans <i><span style="color: #cc0000;">La Docte Ignorance</span></i>, traité de théologie spéculative qui pose les fondations de l'épistémologie moderne. Le théologien y étudie en effet, grâce à l'appui des sciences astronomiques et mathématiques, la question du dépassement des contraires. Ses théories ont par ailleurs inspiré d'éminentes figures comme <span style="color: #cc0000;">Giordano Bruno</span>. On reconnaît ici la marque et la langue de la mystique religieuse. On retrouve des <span style="color: #cc0000;">échos bibliques</span>, "abîme sur abîme" reprend le "<i>abyssus abyssum vocat"</i> (l'abîme appelle l'abîme) du <span style="color: #cc0000;">psaume de David </span>(XLII, 8). De même "épaisseur sombre sur épaisseur sombre" reprend à l'inverse le verset coranique "lumière sur lumière" qui traite du sentiment de Dieu : (<i><span style="font-family: "times new roman" , serif; text-align: start;">نور</span><span style="font-family: "times new roman" , serif; text-align: start;"></span></i><span style="font-family: "times new roman" , serif; text-align: start;"><i>علا نور</i>) </span> <i>nour ala nour (</i>lumière sur lumière<i>) </i>issu de la sourate 24 (<i>An Nour</i>, La Lumière) du Coran, verset 35.<br />
<br /></div>
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<u>Du même auteur :</u>
<br />
<ul>
<li><i>Mémoires d'Hadrien</i></li>
<li><i>Discours de réception à l'Académie française et réponse de Monsieur Jean d'Ormesson</i></li>
<li><i>Le Labyrinthe du monde (I, II et III)</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
<br />
<ul>
<li><i>Les Essais</i> de Montaigne</li>
<li><i>Les Pensées</i> de Pascal</li>
<li><i>Les Impardonnables</i> de Cristina Campo</li>
<li><i>Le Pendule de Foucault </i>d'Umberto Eco</li>
</ul>
</div>
</div>
Unknownnoreply@blogger.com4France46.227638 2.213749000000007134.974007 -18.440547999999993 57.481269 22.868046000000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-83523217354591412402016-12-15T11:59:00.000+01:002016-12-15T12:24:33.766+01:00Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson<span style="font-size: large;">Critique de <i>Sur les chemins noirs</i> de Sylvain Tesson</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi5HAg63IL8tyLqoCBw6rpWo8JkX2NnAlJ0os-uvCUIEuiKNlGuLs6iWDnL9Nujf-lC8aqochDdIdD5ZM2jTqlJOgLzZ-sbuRzoRVxSWtDYbM2-nPXD00PBs4x2n2q8KaVOFeQ-hVtLGl38/s1600/Unevie_Maupassant.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><span style="color: black;"></span></a></div>
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<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture</i> : <i>Il m'aura fallu courir le monde et tomber d'un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j'ignorais les replis, d'un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides.</i><br />
<i>La vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pieds sur mes chemins noirs.</i><br />
<i>Là, personne ne vous indique comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.</i><br />
Écrivain-voyageur, Sylvain Tesson a sillonné la Sibérie, chevauché dans les steppes et campé sur les bords du lac Baïkal. Mais c'est un récit de voyage d'un autre genre qu'il raconte dans <i>Sur les chemins noirs</i>. Alors qu'il fêtait la publication prochaine d'un de ses livres, il fait une chute de près de dix mètres en escaladant la façade d'une maison. Après une dizaine de jours passée dans le coma, il débute une longue période de rémission à l'hôpital mais conserve de graves séquelles de cet accident. Etant encore alité, il se promet de réaliser un tour de France dès qu'il pourra marcher librement à nouveau. Il remarque, avec beaucoup d'ironie, que bien qu'il connaisse la Sibérie et même l'Himalaya, la France et ses régions ne lui sont pas familières. Il décide alors d'aller à la découverte de son propre pays dans le cadre d'un périple intime, par ce qu'il appelle "ses chemins noirs", c'est-à-dire les petits chemins des zones hyper-rurales, tout juste répertoriés sur les cartes de l'IGN au 25 000e. Du Mercantour jusqu'au Cotentin, il traverse le pays par la diagonale du fou, privilégiant les espaces solitaires, et livre au lecteur, pas à pas, ses impressions de voyage.<br />
<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj0bPc9FdLN9FrcbZBpOHgYxo95z81GXRPefB2D6cACUDwuZYK3cPZZVGiYJsYDjXguEa1LjROh26rlYXzA0ytHGI079pb_ekPdt0-6NuAUKO7XB_WWMHHbYvwtPBU-CZjNj0fvyymGXFeS/s1600/XVM24b04502-896d-11e6-b5cc-6b61f9f1f4bd.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="181" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj0bPc9FdLN9FrcbZBpOHgYxo95z81GXRPefB2D6cACUDwuZYK3cPZZVGiYJsYDjXguEa1LjROh26rlYXzA0ytHGI079pb_ekPdt0-6NuAUKO7XB_WWMHHbYvwtPBU-CZjNj0fvyymGXFeS/s400/XVM24b04502-896d-11e6-b5cc-6b61f9f1f4bd.jpg" width="400" /></a></div>
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<span style="text-align: justify;"><i><span style="font-size: x-small;"><br /></span></i></span></div>
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<a name='more'></a><u>Mon avis :</u><br />
Le titre, <span style="color: #cc0000;"><i>Sur les chemins noirs</i></span>, peut aisément être lu dans un sens métaphorique. Les chemins noirs, ce sont les voies intimes que l'on peut parcourir lorsqu'on s'aventure sur les terres de l'introspection. Mais l'expression a un sens tout à fait concret et qui, paradoxalement, peut s'avérer plus délicat à saisir. Les chemins noirs ce sont aussi ces petits traits noirs qui innervent les cartes, ils notent les sentiers ruraux qui ne sont plus guère fréquentés, les chemins des chèvres et ceux des paysans. J'ai immédiatement été intriguée par <span style="color: #7f6000;"><b>ce titre énigmatique et poétique</b></span>. Sylvain Tesson l'explicite d'ailleurs à plusieurs reprises dans le cadre de passages travaillés :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Les chemins noirs dont je tissais la lisse avaient cette haute responsabilité de dessiner la cartographie du temps perdu. Ils avaient été abandonnés parce qu'ils étaient trop antiques. Ce n'était plus considéré comme une vertu.</blockquote>
<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgYqD9Gz1QxRZypQb1OMw6Zf22k0xoEwOIwk8fPvvApfAlTAPwKto5sw6kItuRsiKZ-vSvQAOB-v1rrMeV6K2YkRFdasBkzxBCsKJjPXKKfjTLz04C3Tt1c250SE9l-u_XgiujIX7jPQeaN/s1600/Itineraire-Tesson_Gallimard-487x565.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgYqD9Gz1QxRZypQb1OMw6Zf22k0xoEwOIwk8fPvvApfAlTAPwKto5sw6kItuRsiKZ-vSvQAOB-v1rrMeV6K2YkRFdasBkzxBCsKJjPXKKfjTLz04C3Tt1c250SE9l-u_XgiujIX7jPQeaN/s320/Itineraire-Tesson_Gallimard-487x565.jpg" width="275" /></a></div>
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<br />
Malgré quelques souvenirs de randonnées en Lozère ou dans les Pyrénées, je me suis tout à fait reconnue dans le constat de Sylvain Tesson : <b>je n'ai pas tellement eu l'occasion de visiter la France rurale</b>. Ce récit de voyage m'a permis de me plonger dans cet univers particulier. L'auteur parvient très bien à retranscrire des ambiances de voyage sur le vif. Je pense notamment aux descriptions de l'atmosphère humide et brumeuse des champs à l'aube ou encore du crépuscule qui tombe. Dès le premier jour de voyage, Sylvain Tesson nous livre <span style="color: #7f6000;">le petit tableau d'une impression</span> : "C'était mon premier jour de marche [...]. Je montai à pas faibles vers le col. Des graminées blondes balayaient l'air du soir. Ces révérences étaient une première vision d'amitié, de beauté pure". Parfois, l'auteur utilise un style lapidaire, des phrases nominales qui sont comme des regards jetés, à chaque pas, sur le paysage :<br />
<blockquote class="tr_bq">
L'air était fou et arrogant. Le vent distribuait ses gifles dans les herbes, décoiffait les cheveux blonds et affolait le ciel. Les monts du Cantal fermaient le paysage en une longue sinusoïdale. Eux étaient stables. Sorti de l'obscurité neurologique, je me sentais vivant parce que j'étais en route. Un sentiment d'une pureté parfaite.</blockquote>
Cette plongée dans la France rurale m'a évoqué certains passages de <i><span style="color: #cc0000;">La Carte et le Territoire</span></i> de Michel Houellebecq que j'ai beaucoup aimé, même si le ton est radicalement différent. Le personnage principal, l'artiste Jed Martin photographie des cartes routières et principalement des cartes d'espaces ruraux. Sylvain Tesson parvient à provoquer un vif intérêt pour cette France rurale qu'il transforme en <b>une sorte de mythe</b>. Ainsi, <b>des figures de paysans, de bergers, de tenanciers d'auberge traversent parfois le récit</b>. Ils s'inscrivent très brièvement dans le texte mais toujours à l'occasion de portraits touchants. J'ai été particulièrement marquée par la vieille dame du lavoir qui exprime sa nostalgie en ces termes : "J'allais autrefois battre le linge avec les autres femmes mais il y a des machines à présent. Je retourne presque tous les jours au lavoir pour voir mes souvenirs couler". L'auteur apprend à remettre en cause le dogme moderne du progrès :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Je n'aurais plus honte désormais de m'avouer nostalgique de ce que je n'avais pas connu. Je me savais un goût pour l'odeur du tanin, les faces rouges et les longues tables de bois sous la charpente des granges. J'aimais la substance des choses, la musique des objets, la promesse des soirées piquées de lampions. Et ce chant-là du monde, je ne l'entendais pas dans les corridors. Était-il malséant d'établir une hiérarchie entre les choses? De préférer la France de Roupnel - fût-elle fantasmée - aux alignements des maisons mortes?</blockquote>
Les réflexions sur les effets de la mondialisation, la mort de la France rurale et la désertification des campagnes m'a touché. On peut lire en creux dans ce récit de voyage, <span style="color: #7f6000;">un éloge de la vie simple</span>, du quotidien réglé mais plein de sens des paysans. Le parisien qu'est Sylvain Tesson semble très souvent en décalage, d'ailleurs, il ne réalise pas ce voyage entièrement seul mais il est périodiquement rejoint par des amis, ou encore sa sœur. En se saisissant d'exemples très différents : un couple de vieux normands, les Solitaires de Port-Royal ou encore le chevalier Des Touches, l'auteur-voyageur semble s'interroger sur la manière de mener sa vie. Son accident semble avec ouvert une béance dans le sens qu'il donnait à son existence, à son quotidien. Il ne s'agit plus de s'échapper sans cesse dans des voyages lointains, mais de chercher à vivre <i>hic et nunc</i> à sa juste mesure. C'est comme s'il avait finalement compris cette affirmation de Montaigne dans les<i><span style="color: #cc0000;"> Essais </span></i>(III, 2) "Le prix de l'âme ne consiste pas à aller haut, mais ordonément" :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Ils me racontèrent les batailles qui déchirèrent la Normandie après le débarquement, les contre-offensives de Mortain, de Falaise, dont ils se souvenaient, et le bon déroulement de leur vie paisible et réglée. Celle que je n'arrivais pas à organiser car les jours filaient sans que je parvienne à triompher de la panique.</blockquote>
Le genre même du texte : un récit de voyage qui semble être écrit au fil du chemin, au jour le jour, fait que le ton demeure léger en toute circonstance. <span style="color: #7f6000;">Le lecteur ne s'empèse pas dans les sujets difficiles ou les constats pessimistes</span>. La narration passe d'une chose à l'autre avec légèreté, les transitions sont naturelles. Le texte est parsemé de <b>petites phrases ouvragées et poétiques</b>, en voici quelques-unes : "le passé n'a pas d'écho", "ces vestiges rehaussaient la solennité de l'ombre", "les lisières sont des remparts entre les empires" ou encore "l'effort, depuis le Mercantour, faisait office de rabot, ponçait mes échardes intérieures".<br />
Certaines réflexions ont fait écho en moi. <b>J'ai évidemment souri en voyant la référence à Port-Royal</b> que je ne peux m'empêcher de citer ("Port-Royal était la façon la plus noble et la plus accomplie de prendre congé"), en effet, je travaille sur les écrits du monastère dans mes études en recherche sur la littérature du XVIIe siècle. Mais j'ai également apprécié ce que Sylvain Tesson remarque sur les écrans, qui sont comme un barrage ou un miroir déformant entre nous et la réalité. Certaines observations m'ont vraiment parlé, et je me suis reconnue dans cette conception du monde. C'est le cas du passage sur<b> le respect des racines catholiques de la France</b>, visibles dans les campagnes avec la multitude de clochers, de croix et de statues de la Vierge Marie :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Si j'affectionnais ces ferblanteries de la foi, ce n'était pas tellement que je crusse dans la fable morose d'un Dieu unique, ni que je regrettasse le pouvoir des curés. Mais je n'aimais pas qu'on s'en prenne à ce qui était debout. En outre, parmi tous les symboles inventés par l'homme pour illustrer ses contes, je ne trouvais pas que la croix et les Vierges des grands chemins fussent les pires. Il ne fallait pas s'échiner à déraciner les choses si l'on n'avait rien à replanter à la place.</blockquote>
J'aime cette capacité d'ouverture, ce respect contre une conception de plus en plus fermée de la laïcité. Même si le récit s'ancre dans un voyage à pied à travers la France rurale, le texte n'apparaît pas comme coupé du monde. <b>Des sujets d'actualité émergent parfois en toile de fond au fil d'une remarque</b>. Alors certes, comme ils ne sont abordés qu'en passant, les réflexions sont parfois simplistes notamment en ce qui concerne l'Etat islamique et les départs en Syrie, sujet qui est évoqué à plusieurs reprises : "La moindre brosse à dents faisait le tour du monde, les petits Normands partaient au djihad pour poster des vidéos sur YouTube".<br />
Les références littéraires ou artistiques sont nombreuses et souvent très fines. Il écrit par exemple à propos de Jean Giono : "La Provence m'était une duègne cruelle. Qu'avait-elle à voir avec les représentations azuréennes que les Américains de tout à l'heure poursuivaient au guidon de leurs bicyclettes ? S'ils avaient lu Giono, il ne seraient pas venus". En effet, Giono dans ses premiers récits, peignait une nature lyrique qui n'était pas précisément située géographiquement. C'est le cas dans <i><span style="color: #cc0000;">Le Chant du monde</span></i> ou <i><span style="color: #cc0000;">Colline</span></i>. Pour autant, dans le cycle de ses "<span style="color: #7f6000;">Chroniques romanesques</span>", il peint bien davantage la vie des villages de Provence, mesquine et triste, les affaires des villageois : la rumeur, l'envie et la jalousie ou encore l'ennui. C'est le Giono désillusionné des années 1950. Sylvain Tesson cite à plusieurs reprises un ouvrage de Barbey d'Aurevilly : <i><span style="color: #cc0000;">Le Chevalier Des Touches</span></i>. Je ne connaissais pas ce texte qui traite des aventures d'un chouan. L'auteur en dit ceci :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Sur le bord des havres, des franges de roseaux masquaient l'horizon. C'était une végétation d'embuscades. Barbey d'Aurevilly dans son <i>Chevalier Des Touches</i> avait campé les épisodes de la résistance antirévolutionnaire derrrière ces rideaux "de buissons et de haies". Les réfractaires du Coeur Sacré se battaient pour le roi, masqués par les ajoncs.</blockquote>
Je n'ai lu de Barbey d'Aurevilly que les <i><span style="color: #cc0000;">Diaboliques</span></i>, mais étant très intéressée par la chouannerie, je me suis immédiatement plongée dans le <i><span style="color: #cc0000;">Chevalier Des Touches</span></i> une fois la lecture de l'ouvrage de Sylvain Tesson achevée. <b>Je prise beaucoup ces textes qui donnent au lecteur un élan vers d'autres écrits</b>. D'ailleurs, <i><span style="color: #cc0000;">Sur les chemins noirs</span></i> n'est pas uniquement un récit de voyage. C'est aussi une réflexion sur la manière de décrire une expérience, de la transformer en texte littéraire. Il jette ainsi un regard ironique sur l'écriture protocolaire et administrative en parlant du rapport sur l'hyper-ruralité : "Parmi la batterie de mesures du rapport on lisait des choses comme <i>le droit à la pérennistation des expérimentations efficientes</i> et l'impératif de <i>moderniser la péréquation et de stimuler de nouvelles alliances contractuelles</i>. Quelle était cette langue étrangère ? De quoi les auteurs de phrases pareilles nourissaient-ils leurs vies ?" Par le biais de la lecture, l'auteur invite chaque lecteur à harpenter lui-même ses chemins noirs. Il s'agit d'atteindre à l'universel par une expérience éminemment particulière et intime. Il écrit :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Leur lecture [la lecture des <i>Souvenirs entomologiques</i> de Jean-Henri Fabre] m'avait appris qu'on pouvait s'ouvrir au monde dans le secret d'un jardin, fonder un système de pensée en regardant les herbes, passer à la postérité protégé de la rumeur du monde et développer une philosophie totalisante qui ne propulsait pas l'homme au sommet de toute considération. Un insecte est une clef, digne de la plus noble joaillerie, pour ouvrir les mytères du vivant.</blockquote>
Il écrit également ailleurs dans son texte, synthétisant cette vision : "D'une connaissance parcellaire, on accède à l'universel". J'ai lu <i><span style="color: #cc0000;">Sur les chemins noirs</span></i> en parallèle d'autres lectures, c'était un bon moyen de s'évader sans pour autant choisir une lecture légère qui s'oublie vite. Il y a <b>une grande leçon à retenir de ce texte</b>, celle de vivre à sa mesure et de savoir goûter les chances qui nous sont données. Alors forcément, ce n'est pas l'ouvrage de l'année pour moi, mais c'était une très belle promenade !<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj1GhMF8qevquPTtTR1Qi0dng2JCf2PwiI9-9ZUMtx5X8eF_yuzF-UvtFmTCB2XCUr-JxfH6_RPqLRAr9WQNnwwFGa6ILb-DnxKkNUGcvPGqBx6kxO-egxcuNYBfjaiFbQxweYGUmED1Esq/s1600/XVMacfd073e-8714-11e6-821a-2e2ad3dc5a89.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="225" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj1GhMF8qevquPTtTR1Qi0dng2JCf2PwiI9-9ZUMtx5X8eF_yuzF-UvtFmTCB2XCUr-JxfH6_RPqLRAr9WQNnwwFGa6ILb-DnxKkNUGcvPGqBx6kxO-egxcuNYBfjaiFbQxweYGUmED1Esq/s400/XVMacfd073e-8714-11e6-821a-2e2ad3dc5a89.jpg" width="400" /></a></div>
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<u>La Kube, box littéraire :</u><br />
J'ai lu cet ouvrage grâce à <a href="http://www.lakube.com/" target="_blank">La Kube</a>, une box littéraire créée par des libraires indépendants. Chaque mois, la Kube vous propose de recevoir un livre choisi sur mesure par un libraire. Outre le livre, la box propose chaque mois du thé et des accessoires littéraires. Un éditeur est également mis en avant dans chaque box.<br />
J'ai souscrit pour la box d'octobre 2016 et j'ai apprécié le choix de la libraire Margaux de la librairie Passion Culture à Orléans. J'ai rempli le questionnaire pour expliquer mes goûts de lecture et par rapport aux champs renseignés, je trouve qu'elle n'a pas cédé à la facilité mais que son choix était très audacieux. La Kube a donc tenu sa promesse : me pemettre de faire une belle découverte en dehors de ce que je lis habituellement. Je retenterai certainement l'expérience ponctuellement.<br />
C'est en tout cas une initiative à suivre de près!<br />
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<u>Du même auteur :</u>
<br />
<ul>
<li><i>Une vie à coucher dehors</i></li>
<li><i>Dans les forêts de Sibérie</i></li>
<li><i>S'abandonner à vivre</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
<br />
<ul>
<li><i>Le Chevalier Des Touches</i> de Barbey d'Aurevilly</li>
<li><i>La Carte et le Territoire </i>de Michel Houellebecq</li>
<li><i><a href="http://lenlivree.blogspot.fr/2016/07/les-antimodernes-dantoine-compagnon.html">Les Antimodernes</a></i> d'Antoine Compagnon</li>
</ul>
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Unknownnoreply@blogger.com5France46.227638 2.213749000000007134.974007 -18.440547999999993 57.481269 22.868046000000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-90500359587008202362016-08-30T19:31:00.002+02:002016-08-30T19:54:29.208+02:00Une Vie de Maupassant<span style="font-size: large;">Critique d'<i>Une Vie</i> de Maupassant</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi5HAg63IL8tyLqoCBw6rpWo8JkX2NnAlJ0os-uvCUIEuiKNlGuLs6iWDnL9Nujf-lC8aqochDdIdD5ZM2jTqlJOgLzZ-sbuRzoRVxSWtDYbM2-nPXD00PBs4x2n2q8KaVOFeQ-hVtLGl38/s1600/Unevie_Maupassant.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi5HAg63IL8tyLqoCBw6rpWo8JkX2NnAlJ0os-uvCUIEuiKNlGuLs6iWDnL9Nujf-lC8aqochDdIdD5ZM2jTqlJOgLzZ-sbuRzoRVxSWtDYbM2-nPXD00PBs4x2n2q8KaVOFeQ-hVtLGl38/s320/Unevie_Maupassant.jpg" width="194" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture</i> : <i>À dix-sept ans, radieuse, prête à toutes les joies, à tous les hasards, Jeanne quitte enfin le couvent. Dans le désœuvrement des jours et la solitude des espérances, de toutes ses rênes, le plus impatient est celui de l'amour...
Oh ! Elle en sait des choses sur le frémissement des cœurs, l'élan des âmes. Elle les a si souvent pressentis, espérés, ces bonheurs-là. Aussi, lorsqu'il paraît, le reconnaît-elle sans peine. L'être créé pour elle... Julien ! Le même écho s'éveille en leurs cœurs...
Le mariage scellera leur amour. Mais que suit-elle, lorsque le voile se déchire, des grandes étreintes, des secrets d'alcôves, des désirs d'hommes ? Que sait-elle de l'amour sinon sa poésie ? Alors ils se regardent... Les illusions, à peine écloses, déjà se fanent et bientôt ne sont plus. C'est une vie qui se déroule... </i><br />
Jeanne est née dans une famille de petits nobles de province. Son père est un baron attaché aux idées du siècle dernier qui, à l'instar de Diderot, cultive un athéisme moral ; sa mère, une lettrée romantique, lectrice de <i>Corinne</i>, un roman de Madame de Staël. Lorsque Jeanne sort du couvent où sa famille l'avait placée pour lui assurer une éducation complète d'honnête fille et sauvegarder sa chasteté, la vie se présente à elle comme un plat qu'elle est avide de goûter. Une fois parvenue dans la maison de son enfance, le domaine des Peuples, elle s'éveille naturellement à l'amour avant même l'arrivée d'un potentiel prétendant. Lorsque le vicomte Julien est introduit au domicile familial, elle en tombe amoureuse comme si elle obéissait à la logique des choses, à un destin irrémédiable. Julien vient d'une famille désargentée mais les parents de Jeanne n'émettent pas d'objection et le mariage est vite conclu : le jeune ménage s'installera dans la demeure familiale. Le domaine des Peuples devient alors le théâtre et le témoin des bouleversements de la vie de Jeanne.<br />
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<span style="text-align: justify;"><i><span style="font-size: x-small;"><br /></span></i></span></div>
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<div style="text-align: justify;">
<a name='more'></a><u>Mon avis :</u><br />
Par de nombreux aspects, <i><span style="color: #cc0000;">Une Vie</span></i> de Maupassant rappelle <i><span style="color: #cc0000;">Madame Bovary</span></i> de Flaubert. Les deux textes racontent la vie d'une héroïne à partir de leur sortie du couvent. Cette vie, dans les deux textes, n'est pas si idyllique que les deux jeunes filles se le représentaient au premier abord. Pour autant, Jeanne, à la différence d'Emma, est issue d'une famille noble. <b>Ainsi, même si Maupassant fait de très nombreuses références au roman de Flaubert, jusqu'à en réécrire certaines scènes, la perspective et la tonalité générale demeurent différentes</b>. Contrairement à Emma, Jeanne n'outrepasse pas le cadre de la morale et recherche l'accomplissement de sa vie dans son statut de mère.<br />
J'ai lu ce roman de Maupassant dans l'<span style="color: #cc0000;">édition d'André Fermigier</span> chez Gallimard qui date de 1974. <span style="color: #7f6000;"><b>Une révision de la préface me semble urgente</b></span>. En effet, le critique écrit à propos de Jeanne : "physiquement, c'est une réussite ; mais pour l'esprit, zéro, un zéro pointé et définitif". Il récidive avec cette référence à Tchekhov, tout à fait cruciale pour la bonne intelligibilité du texte : "si Jeanne est une "mouette", le charme slave lui fait cruellement défaut". André Fermigier partage également avec entrain et expressivité ses émotions de lecture :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Le dénouement sauve tout, dont la chaleur, la bonté, la force peuvent être comparées, ici sans restriction, à celles des grands romanciers russes. Mais pour en arriver là, ce qu'il faut barboter! Quant au comportement maternel de Jeanne, il est terrifiant. Poulet [surnom de son fils Paul] par-ci! Poulet par-là! As-tu froid? As-tu chaud! Non, il n'ira pas au collège! Tu n'aimes plus ta vieille maman que tu as tant fait souffrir!, etc. N'insistons pas. Elle est à tuer.</blockquote>
Ces remarques au seuil du texte peuvent faire sourire un lecture habitué au <span style="color: #7f6000;">ton plus neutre</span> généralement de rigueur dans les appareils critiques des éditions aujourd'hui. Pour autant les notes sont de manière générales éclairantes et très utiles. Elles émaillent la lecture de références et permettent efficacement de préciser un point lié au contexte ou aux <i>realia</i> d'époque.<br />
Comme André Fermigier, je n'ai pas été spécialement touchée par le personnage de Jeanne. Contrairement à Emma Bovary, c'est <b>un caractère qui manque de profondeur intérieure</b>. Ses références limitées contraignent sa vision du monde et le lecteur, siégeant la plupart du temps dans ses pensées et forcé de voir par ses yeux, se trouve curieusement engoncé. Malgré son statut social, c'est un personnage qui <b>manque de noblesse</b> : elle n'opère jamais de choix à la suite de tiraillements moraux mais suit servilement un chemin de vie tracé à l'avance pour elle. Cette servilité même n'est pas la conséquence d'un abaissement volontaire, preuve d'humilité, mais le témoignage d'une vie déterminée par autrui.<br />
Pourtant ce personnage est traversé par un élan vital très étonnant. Sa nature naïve est, à plusieurs reprises, illustrée dans son rapport fusionnel et privilégié avec la nature. C'est l'occasion de très belles descriptions rendant hommage à <b>la beauté de la Normandie</b>, où se passe le roman :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Elle se mettait souvent à courir sur la falaise, fouettée par l'air léger des côtes, toute vibrante d'une jouissance exquise à se mouvoir sans fatigue comme les poissons dans l'eau ou les hirondelles dans l'air. Elle semait partout des souvenirs comme on jette des graines en terre, de ces souvenirs dont les racines tiennent jusqu'à la mort. Il lui semblait qu'elle jetait un peu de son cœur à tous les plis de ces vallons. Elle se mit à prendre des bains avec passion. Elle nageait à perte de vue, étant forte et hardie et sans conscience du danger. Elle se sentait bien dans cette eau froide, limpide et bleue qui la portait en la balançant.</blockquote>
Ces passages de communion avec la nature surviennent essentiellement au début du texte, lorsque Jeanne est encore une jeune fille célibataire. C'est d'ailleurs justement dans ce rapport à la nature que s'<b>éveille son désir amoureux et charnel</b>. <br />
<blockquote class="tr_bq">
Il semblait à Jeanne que son cœur s'élargissait, plein de murmures comme cette soirée claire, fourmillant soudain de mille désirs rôdeurs, pareils à ces bêtes nocturnes dont le frémissement l'entourait. Une affinité l'unissait à cette poésie vivante ; et dans la molle blancheur de la nuit elle sentait courir des frissons surhumains, palpiter des espoirs insaisissables, quelque chose comme un souffle de bonheur. Elle se mit à rêver d'amour.</blockquote>
J'ai particulièrement goûté <b><span style="color: #7f6000;">le travail de la langue et du style</span></b> dans ces passages. Il faut noter cependant qu'ils contrastent assez nettement avec la narration du quotidien de la jeune fille. Les moments de grâce sont donc mis en relief par la beauté du texte mais ils sont de plus en plus rares au fil du roman. J'aurais apprécié que les désillusions du mariage soient aussi l'occasion de développer un style travaillé comme dans <i><span style="color: #cc0000;">Madame Bovary</span></i>.<br />
Ce style sans éclat s'attache donc à dépeindre un destin sans éclat. La trajectoire du roman m'a semblé trop nette : <b>les déceptions sont attendues et systématiques</b>. Lors de la lecture, j'ai toujours pressenti les malheurs de Jeanne une à deux pages avant qu'ils se produisent effectivement. Les signes sont trop clairs et laissent peu de place au trouble, au doute du lecteur qui en vient à ne pas comprendre l'aveuglement de Jeanne qui se heurte toujours violemment à l'évidence. De même la déchéance de Jeanne suit une pente linéaire émaillée d'événements comme son mariage ou encore la naissance de son fils. Le déroulement de ce destin est <span style="color: #7f6000;">monotone</span>, sans émotion. Le texte aurait gagné à rehausser d'éclats certains moments importants : le mariage par exemple fait l'objet d'une <span style="color: #7f6000;"><b>description terne</b></span>, de même la naissance de Paul. Le fait que Jeanne se réfugie dans son statut de mère apparaît immédiatement au lecteur comme la compensation illusoire d'un manque. On n'éprouve jamais le sentiment que cette maternité puisse être le creuset d'un bonheur véritable, total.<br />
La relation à son mari, Julien, m'est apparue comme très superficielle : elle n'est traitée qu'en surface, jamais abordée profondément dans toutes ses implications. Certains moments de fusion véritable ou de connivence entre époux auraient permis de rendre plus profonde la déchirure de la séparation et la souffrance de l'adultère. Au lieu de ça, Jeanne s'en accommode comme d'une fatalité. En définitive, cela ne permet pas de mobiliser un large éventail de sentiments. On reste dans <b>un amour de convention</b>, sans enjeux ni profond intérêt. Difficile pour le lecteur de s'identifier à ces personnages qui semblent perpétuellement en dehors d'eux-mêmes, comme s'ils gouvernaient leurs vie à distance, dans un détachement étrange qui ne les implique pas physiquement et sentimentalement.<br />
Certains personnages ne semblaient être que de pâles copies de personnages bien connus de la littérature. Le père de Jeanne m'a rappelé Monsieur de Wolmar dans <i><span style="color: #cc0000;">La</span></i> <span style="color: #cc0000; font-style: italic;">Nouvelle Héloïse</span> de Rousseau<span style="color: #cc0000; font-style: italic;"> </span>tout en empruntant, par moments, des traits à Rousseau lui-même. Ce fait est d'ailleurs totalement assumé par l'auteur dans sa description du personnage :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Le baron Simon-Jacques Le Perthuis des Vauds était un gentilhomme de l'autre siècle, maniaque et bon. Disciple enthousiaste de J.-J. Rousseau, il avait des tendresses d'amant pour la nature, les champs, les bois, les bêtes. [...] Homme de théorie, il méditait tout un plan d'éducation pour sa fille, voulant la faire heureuse, bonne, droite et tendre.</blockquote>
Le texte présente systématiquement le baron comme un athée moral stéréotypé d'où l'impression de fadeur qui émane de cette figure. La mère quant à elle est une romantique obèse, lectrice assidue de <span style="color: #cc0000;"><i>Corinne ou l'Italie</i></span> de Madame de Staël, encore une fois il paraît crucial pour l'auteur de <b>rattacher ses personnages à une veine littéraire ou philosophique particulière</b>. Par-là même ils s'apparentent donc à des <span style="color: #7f6000;"><i style="color: #7f6000;">types</i>,</span> ce qui permet d'anticiper leurs action et mine par avance toute possibilité de creuser une profondeur psychologique. Le personnage le plus fantomatique demeure tout de même tante Lison. J'ai été touchée dans une certaine mesure par ce destin tragique, toutefois l'horreur de sa condition est poussée à l'extrême. <b>Elle semble se complaire dans une forme de sous-humanité très dérangeante, et je n'ai jamais vraiment eu beaucoup d'affection pour ces personnages chez qui rien ne brille</b>. J'ai cependant ressenti beaucoup d'empathie pour le personnage du comte. J'ai lu l'<i><span style="color: #cc0000;"><a href="http://lenlivree.blogspot.fr/2012/06/liris-de-suse-de-jean-giono.html" target="_blank">Iris de Suse</a></span></i> de Jean Giono et je me demande aujourd'hui si la scène de mort des amants, Murataure et la baronne, n'est pas tout bonnement une réécriture positive de la mort de Julien et de la comtesse dans <i>Une vie</i>. Le comte est issu d'une noblesse terrienne, dont les racines sont fermement ancrées dans le sol. J'ai été sensible à ce personnage entier et touchant qui apparaît peu dans le roman :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Alors le comte, mais en gaieté, saisit sa femme dans ses bras d'athlète, et, l'élevant comme un enfant jusqu'à sa bouche, il lui colla sur les joues deux gros baisers de brave homme satisfait. Et Jeanne, souriante, regardait ce bon géant qu'on disait un ogre au seul aspect de ses moustaches ; et elle pensait : "Comme on se trompe, chaque jour, sur tout le monde."</blockquote>
Certains thèmes intéressants sont à peine esquissés comme l'adultère masculin par rapport à l'adultère féminin. Beaumarchais dans la trilogie de Figaro au théâtre s'était déjà engagé en traitant ce thème avec vigueur : le personnage de Marceline offrait un vibrant plaidoyer pour réhabiliter les filles mères dans <i><span style="color: #cc0000;">Le Mariage de Figaro</span></i> tandis que l'adultère de la comtesse Rosine dans <i><span style="color: #cc0000;">La Mère coupable</span></i> se voyait reconsidéré à l'aune des adultères de son mari et du quasi-viol dont elle avait été l'objet. Le baron condamne immédiatement Julien lorsqu'il apprend que ce dernier a trompé sa fille, pour autant, le prêtre ne manque pas de le renvoyer à ses propres erreurs de jeunesse, ce qui cause un certain trouble. En effet, le baron avait été, autrefois, un infidèle notoire :<br />
<blockquote class="tr_bq">
[Le baron] marchait s'animant toujours, exaspéré : "C'est infâme d'avoir ainsi trahi ma fille, infâme! C'est un gueux, cet homme, une canaille, un misérable ; et je le lui dirai, je le souffletterai, je le tuerai sous ma canne!" Mais le prêtre, qui absorbait lentement une prise de tabac à côté de la baronne en larmes, et qui cherchait à accomplir son ministère d'apaisement, reprit : "Voyons, monsieur le Baron, entre nous, il a fait comme tout le monde. En connaissez-vous beaucoup des maris qui soient fidèles ?" Et il ajouta avec une bonhomie malicieuse : "Tenez, je parie que vous-même, vous avez fait vos farces. Voyons, la main sur la conscience, est-ce vrai ?" Le baron s'était arrêté, saisi en face du prêtre qui continua : "Eh ! oui, vous avez fait comme les autres. Qui sait même si vous n'avez jamais tâté d'une petite bobonne comme celle-là. Je vous dit que tout le monde en fait autant. Votre femme n'en a pas été moins heureuse ni moins aimée, n'est-ce pas ?</blockquote>
L'adultère masculin ne peut donc plus être un sujet de scandale. Pour autant, il n'en est pas de même de l'adultère féminin. Jeanne est sujette à une crise extrêmement violente lorsqu'elle découvre la relation adultère de sa mère : "la tête éperdue, elle rejeta d'une secousse ces papiers infâmes, comme elle eût rejeté quelque bête venimeuse montée sur elle, et elle courut à la fenêtre, et elle se mit à pleurer affreusement avec des cris involontaires qui lui déchiraient la gorge ; puis, tout son être se brisant, elle s'affaissa au pied de la muraille, et, cachant son visage pour qu'on n'entendît point ses gémissements, elle sanglota abîmée dans un désespoir insondable". Malgré la présence de ces <span style="color: #7f6000;">deux révélations parallèles </span>qui produisent, en finalité, des effets totalement différents, le sujet n'est traité qu'en surface.<br />
D'autres foyers de réflexion présents dans le texte <b>ont déjà été traités plus amplement ou avec une finesse plus importante par d'autres auteurs. </b>Je pense notamment à la <span style="color: #7f6000;">figure du curé de province </span>présentée à travers deux personnages totalement opposés et, dans une large mesure, caricaturaux : l'abbé Picot, l'homme d'Eglise débonnaire, rustique et proche des réalités paysannes, et le jeune abbé Tolbiac sec et austère, hanté par la recherche d'une perfection spirituelle qui s'accorde peu avec son office séculier. J'ai trouvé ce portrait double du curé de province extrêmement systématique et trop peu nuancé. Le personnage de l'abbé Tolbiac est à mon sens presque raté, c'est particulièrement clair dans l'épisode où la chienne met bas. L'outrance, la violence et l'abjection qui caractérisent le comportement du personnage à ce moment du texte rendent impossible toute entreprise de justification. D'ailleurs, certains passages de ce texte publié en 1883 convoquent presque textuellement le roman d'Emile Zola <i><span style="color: #cc0000;">La faute de l'abbé Mouret</span></i> publié en 1875, je pense par exemple à la chasse aux amoureux :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Bientôt il [l'abbé Tolbiac] épia les amoureux pour empêcher leurs rencontres, comme fait un garde poursuivant les braconniers. Il les chassait le long des fossés, derrière les granges, par les soirs de lune, et dans les touffes de joncs marins sur les versant des petites côtes.</blockquote>
Je ne parle pas des liens constants avec <span style="color: #cc0000;"><i>Madame Bovary</i></span> de Flaubert qui sont voulus par Maupassant même si encore une fois, je trouve que l'auteur n'apporte rien à l'hypotexte qu'il convoque.<b> La réflexion sur la noblesse est peu complexe et se révèle à travers une dégradation progressive</b>. Dans un premier temps, la noblesse de la famille de Jeanne est essentiellement caractérisée par leur générosité et cette capacité à donner au-dessus de leurs moyens. Seule la mère fait parfois référence à la lignée de sang de sa famille et semble porter une attention à la généalogie. Habituée à la noblesse des XVIIe et XVIIIe siècle j'ai eu du mal à comprendre celle-ci qui m'était peu familière. Ces nobles romantiques sont dénués des valeurs traditionnelles attachées à cette classe sociale et paraissent perpétuellement en représentation, comme s'ils étaient les derniers membres curieux d'une espèce en train de disparaître. D'ailleurs, cette noblesse se caractérise uniquement par l'argent car en effet, si les parents de Jeanne donnent sans limites, son mari fait preuve de beaucoup d'avarice. Enfin, la dégradation est achevée avec le fils Paul qui, tel un bourgeois, se lance dans les affaires et fait faillite dans des entreprises de spéculation ratées. Paul, dans la fin du roman, ne cesse de demander de l'argent à sa mère qui reçoit des réclamations de créanciers. Paul n'est donc pas seulement déclassé au rang de bourgeois, c'est un escroc qui croule sous les dettes comme la petite Berthe dans<i><span style="color: #cc0000;"> Madame Bovary </span></i>devenue ouvrière.<br />
<i>Une vie</i> de Maupassant est un récit plaisant par certains côtés. J'ai beaucoup apprécié les descriptions de la nature normande ou encore les passages s'attardant sur les sentiments éprouvés par Jeanne lorsqu'elle sort du couvent pour rentrer chez elle. Pour autant le roman s'enferre parfois dans la banalité et présente des situations systématiques ou des personnages stéréotypés. En quatrième de couverture de mon édition chez Folio Gallimard figure une citation de Tolstoï : "<i>Une vie</i> est un roman admirable ; ce n'est pas seulement le meilleur roman de Maupassant, mais peut-être même le meilleur roman français après<i> Les Misérables</i> de Hugo". Inutile de préciser que <b>malgré ce moment de lecture plaisant, je suis très loin de partager le même avis et le même enthousiasme</b>. Les romans de Flaubert sont nettement au-dessus, notamment le magistral <i><span style="color: #cc0000;">Madame Bovary</span></i>.<br />
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<u>Du même auteur :</u>
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<li><i>Bel-ami</i></li>
<li><i>Boule de suif</i></li>
<li><i>Contes de la Bécasse</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
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<li><i><a href="http://lenlivree.blogspot.fr/2011/10/madame-bovary-de-flaubert.html">Madame Bovary</a></i> de Flaubert</li>
<li><i><a href="http://lenlivree.blogspot.fr/2012/06/la-maison-du-chat-qui-pelote-de-balzac.html">La Maison du Chat-qui-pelote</a></i> de Balzac</li>
<li><i><a href="https://lenlivree.blogspot.fr/2012/06/liris-de-suse-de-jean-giono.html">L'Iris de Suse</a></i> de Jean Giono</li>
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Unknownnoreply@blogger.com0France46.227638 2.213749000000007134.972205 -18.440547999999993 57.483070999999995 22.868046000000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-80497081048005805842016-07-04T04:33:00.001+02:002017-03-13T12:16:36.272+01:00Les Antimodernes d'Antoine Compagnon<span style="font-size: large;">Critique des <i>Antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes</i> d'Antoine Compagnon</span><br />
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<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture</i> : <i>Qui sont les antimodernes? Non pas les conservateurs, les académiques, les frileux, les pompiers, les réactionnaires, mais les modernes à contrecœur, malgré eux, à leur corps défendant, rétifs au modernisme naïf et zélateur du progrès.</i><br />
<i>Quelques grands thèmes - dégagés à partir de la lecture de Joseph de Maistre, Chateaubriand, Baudelaire, Flaubert d'un côté, de l'autre Proust, Caillois ou Cioran - caractérisent le courant antimoderne aux XIXe et XXe siècles : historique, la contre-révolution ; philosophique, les anti-Lumières ; moral, le pessimisme ; religieux, le péché originel ; esthétique, le sublime ; et stylistique, la vitupération.</i><br />
<i>Antoine Compagnon examine quelques configurations antimodernes majeures : Lacordaire, Léon Bloy, Péguy, Albert Thibaudet et Julien Benda, Julien Gracq et, enfin, Roland Barthes, "à l'arrière-garde de l'avant-garde", comme il aimait se situer.</i><br />
<i>Les antimodernes ont été le sel de la modernité, son revers ou son repli, sa réserve et sa ressource. Sans l'antimoderne, le moderne courait à sa perte, car les antimodernes ont donné la liberté aux modernes : ils ont été les modernes plus la liberté.</i><br />
Par la dénomination d'antimoderne, Antoine Compagnon essaie de qualifier un profil particulier d'écrivains du XIXe et du XXe siècles à partir de Joseph de Maistre. Il n'entend pas par "antimoderne" quelqu'un qui s'oppose à la modernité ou tend à la récuser, à la rejeter. Au contraire l'antimoderne doit avoir goûté à la modernité, y avoir cru mais s'en être détaché ou entretenir un rapport ambivalent avec elle. Par conséquent, l'antimoderne peut relever de profils très hétéroclites, ce qui explique la diversité et la multiplicité des auteurs convoqués par Antoine Compagnon dans l'ouvrage : Joseph de Maistre, Baudelaire, Péguy, Thibaudet ou encore Jean Paulhan, Julien Benda et Julien Gracq, autant d'écrivains très différents.<br />
La première partie de l'essai intitulée "les idées" donne quelques traits caractéristiques, selon l'auteur, des antimodernes. Ils sont opératoires à des plans divers (religieux, esthétique, stylistique...). La seconde partie, plus longue, est intitulée quant à elle "les hommes" et se subdivise en chapitres consacrés à un ou plusieurs auteurs jugés antimodernes. Les portraits se distinguent par une attention importante consacrée à l'homme, à son ancrage social et politique dans la société ainsi qu'à son rapport avec les institutions littéraires. Les citations fréquentes permettent au lecteur de juger "sur pièces" et de confronter, au fil de la lecture, les différents profils pour tenter de lier ces écrivains les uns aux autres.<br />
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<span style="text-align: justify;"><i><span style="font-size: x-small;"><br /></span></i></span></div>
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<a name='more'></a><u>Mon avis :</u><br />
<i><span style="color: #cc0000;">Les Antimodernes</span></i> est un essai d'Antoine Compagnon paru en 2005. Cependant, l'ajout d'une postface en 2016 a motivé sa <span style="color: #cc0000;">réédition</span>. J'avais déjà eu l'occasion de lire Antoine Compagnon avec <i><span style="color: #cc0000;">Le démon de la théorie</span></i> qui m'avait permis une belle réflexion sur la théorie littéraire et l'usage qu'on peut en faire, notamment grâce à un inventaire minutieux des grandes questions et leur mise en perspective.<br />
Cet essai, dont le sous-titre est "de Joseph de Maistre à Roland Barthes" s'ouvre sur deux épigraphes dont une citation de Paul Valéry : "Le moderne se contente de peu", voilà <span style="color: #7f6000;">une belle entrée en matière</span>. Je travaille personnellement sur le XVIIe siècle et très souvent dans mes recherches, je suis frappée par l'inventivité, l'audace et la créativité de la littérature du Grand Siècle. <b>Mon intérêt pour les siècles anciens m'a donc appris à me méfier des "débutants de l'histoire"</b> pour reprendre une formule du poète polonais Zbigniew Herbert dans son essai "La petite âme" (disponible dans le recueil <i><span style="color: #cc0000;">Le labyrinthe au bord de la mer</span></i>). Les débutants de la littérature, ce sont les créateurs de mouvements littéraires, les critiques d'eux-mêmes, ceux qui ambitionnent de faire "table rase". Toutes ces aspirations ne peuvent être le résultat que d'une conception étroite du passé. Ainsi le mouvement du <span style="color: #cc0000;">Nouveau roman</span> ne proposait quelque chose de nouveau que par rapport à sa conception étroite du roman réduit au seul roman de type balzacien. La définition que donne Antoine Compagnon de ce qu'il appelle "les antimodernes" est très intéressante. En effet, les antimodernes ne sont pas des amoureux transis du passé qui refusent d'accepter les évolutions. <b>L'antimoderne selon Antoine Compagnon doit nécessairement passer par la modernité pour la comprendre et la dépasser en la remettant en question</b>. Son ancrage dans la littérature du passé lui permet d'identifier des impostures dans les avant-gardes qui l'empêchent d'adhérer intimement à ces mouvements. Selon une citation de Roland Barthes souvent convoquée par l'essayiste, l'antimoderne c'est celui qui est à "l'arrière-garde de l'avant garde".<br />
A cet égard, l'introduction pose efficacement le sujet malgré quelques formules peu heureuses comme "mettant l'accent sur l'antimodernité des antimodernes, on fera voir leur réelle et durable modernité". Cette problématique semble un peu tautologique à l'aune des écrivains précédemment définis comme antimodernes. En effet, si l'on parle de Chateaubriand, de Baudelaire, de Flaubert ou encore de Proust cette conclusion semble évidente. Pourtant Antoine Compagnon y revient très souvent, comme s'il s'agissait là d'un fait à démontrer :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Une question résumera notre intérêt pour les antimodernes, n'ont-ils pas été les véritables fondateurs de la modernité et ses représentants les plus éminents?</blockquote>
S'ils étaient contre un certain type de modernité, ou plutôt une certaine attitude qu'avait tendance à se donner la modernité auto-proclamée (l'essayiste rattache souvent les surréalistes à la modernité), ils ne rejetaient pas pour autant l'idée de modernité dans son ensemble. En définitive, Antoine Compagnon pose une définition, trouve des modèles mais parvient à se poser une question à laquelle sa définition et ses modèles répondent déjà. <b>J'ai donc par moments eu l'impression que la réflexion usait d'<span style="color: #7f6000;">artifices rhétoriques</span> dans son développement et sa progression</b>.<br />
Cependant j'ai été vivement intéressée par les chapitres thématiques de la première partie centrés sur une idée, un trait stylistique, un thème ou une opinion jugés antimodernes. La premier chapitre traite de la contre-révolution. L'analyse est très fine et ne cède jamais à la facilité, montrant toute la complexité des positionnements, confère celui d'un Chateaubriand. Et pour cause, Antoine Compagnon explique :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Si la contre-révolution entre en conflit avec la Révolution [...] c'est dans les termes (modernes) de son adversaire ; elle réplique à la Révolution dans une dialectique qui les lie irrémédiablement.</blockquote>
Il cite ainsi Faguet à propos de De Maistre : "C'est l'esprit du XVIIIe siècle contre les idées du XVIIIe siècle". <b>Antoine Compagnon ne prive ainsi son lecteur d'aucun plaisir et cite abondamment des formules toujours pertinentes et souvent savoureuses</b>. Certaines affirmations simples sont très justes et permettent de <b>contrer efficacement les visions simplistes du phénomène analysé</b> ainsi selon l'essayiste, "le vrai contre-révolutionnaire a connu l'ivresse de la Révolution". J'ai particulièrement apprécié les citations qui critiquaient avec humour les révolutions ou encore le suffrage universel : "La légèreté des hommes de 1848 fut vraiment sans pareille. Ils donnèrent à la France, qui ne le demandait pas, le suffrage universel" écrit Renan en 1871. En effet, l'antimoderne nourrit un sentiment ambivalent face à l'idée de progrès, surtout en politique :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Le réalisme antimoderne donne aux apprentis sorciers de la politique, au moins depuis Montaigne, une leçon d'immobilisme, définitivement formulée par Pascal : "L'art de [...] bouleverser les Etats et d'ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source [...]. C'est un jeu sûr pour tout perdre." Ou, comme le résume un proverbe français familier de Schopenhauer, idole des antimodernes à la fin du XIXe siècle : "Le mieux est l'ennemi du bien".</blockquote>
Montaigne dans les <i><span style="color: #cc0000;">Essais</span></i> s'intéresse à l'idée de coutume et préconise un positionnement consensuel visant avant tout à préserver l'ordre. Ce positionnement n'interdit pas au sujet toute réflexion, au contraire il garantit une liberté de pensée en insistant sur l'idée que le seul progrès réel et praticable intervient à l'échelle de l'individu. Pascal également dans les <i><span style="color: #cc0000;">Pensées</span></i> démontrait l'inanité d'un régime basé sur l'inconnu de la généalogie (pour être roi il suffit d'être le premier fils de la reine), sur la force et ses représentations, sur l'imagination du peuple. Pour autant il s'évertuait à montrer que tout système humain était forcément inique et fondé sur l'imagination contrairement à la souveraineté de Dieu qui s'exerce sur un autre plan, inaccessible aux hommes ; ainsi, la monarchie absolue avait le bénéfice de fournir un modèle de succession clair et un pouvoir fort ce qui en faisait un système performant qui, selon Pascal, devait être conservé pour éviter les querelles de légitimité et les dissensions. Ce qui ne l'empêche pas d'être lucide sur ses insuffisances comme l'illustre, entre autres, le fragment 64 (classement Sellier) "On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison". Pascal relève donc les défauts des hommes, leur orgueil, leur amour du pouvoir, leur vanité, tout en trouvant à ces défaut des intérêts certains puisqu'ils permettent de gouverner le pays et de créer un certain ordre. <b>Antoine Compagnon explique que dans un tel cadre, la volonté de faire le bien peut tout à fait, à l'inverse, conduire à la catastrophe. </b>L'antimoderne souscrit à une anthropologie pessimiste et par là même, l'ordre selon lui est nécessairement lié à la contrainte que la société et le sujet lui-même exercent sur l'individu. J'ai trouvé cette remarque très juste et éclairante. Elle permet de comprendre les réticences des antimodernes face au pouvoir donné à la masse car selon Balzac, "la loi emporte un assujettissement à des règles, toute règle est en opposition aux mœurs naturelles, aux intérêts de l'individu ; la masse portera-t-elle des lois contre elle-même ?"<br />
J'ai trouvé également dans ces chapitre <b>de quoi nourrir mes marottes personnelles</b>, ici les charges contre le suffrage universel, mais également des piques envoyées à l'encontre de Voltaire. Je vous livre celle de Baudelaire :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Je m'ennuie en France, surtout parce que tout le monde y ressemble à Voltaire./ [...] <i>Voltaire</i>, ou <i>l'anti-poète</i>, le roi des badauds, le prince des superficiels, l'anti-artiste, le prédicateur des concierges [...] Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait le mystère.</blockquote>
Gracq écrit également que Voltaire c'est "du journalisme élevé à son degré d'excellence".<br />
J'ai trouvé certains passages d'<b>une complexité gratuite</b> notamment lorsqu'il s'agit d'expliquer la distribution injuste du bonheur et du malheur qui se fait apparemment sans égard à la moralité du sujet : "Le bonheur des méchants et le malheur des justes ne sont pas un scandale, d'abord parce que les justes sont plus heureux en moyenne, et les méchants plus malheureux en moyenne ; enfin parce qu'il n'y a pas de justes". Certes, mais c'est peut-être simplement lié au péché originel comme métaphore de l'incarnation. En d'autres termes le sujet incarné est nécessairement lié au mal car sa corporalité fait de lui un être limité <i>stricto sensu</i>, et non un être absolu. Le "mal" dépend du rapport que le sujet va entretenir avec son incarnation, il ne dépend donc pas directement de sa moralité, il s'agit là d'un lien plus indirect.<br />
<b>Antoine Compagnon a fréquenté longtemps certains auteurs</b> d'où la maturité de nombreuses remarques, saisissantes de vérité, comme ici sur <i><span style="color: #cc0000;">Les Fleurs du mal</span></i> de Baudelaire décrites comme "tendues entre l'"extase" et le "dégoût", entre la protestation antimoderne et l'amour du monde. Car la malédiction, comme dans la Bible, est une preuve d'amour, l'amour du monde prouvé par l'amour des mots."<br />
La deuxième partie de l'ouvrage propose des portraits d'écrivains ou de critiques, considérés par l'essayiste comme antimodernes. Prenant appui sur la première partie, il justifie la présence des uns et des autres dans l'ouvrage par l'illustration de traits caractéristiques précédemment analysés dans les œuvres ou la vie des auteurs. A ces occasions, Antoine Compagnon <b>revient généreusement sur la <span style="color: #7f6000;">biographie des auteurs</span></b>, en livrant leur parcours de manière synthétique, émaillant le texte de citations toujours bien choisies. La lecture de l'essai est aisée, agréable, sans heurts grâce au <span style="color: #7f6000;">talent de conteur</span> de l'essayiste qui sait faire vivre les événements. Le chapitre sur Julien Benda se lit comme une petite histoire : riche en disputes, en retournements de situation (notamment dans son rapport avec Bergson), la narration d'Antoine Compagnon permet au lecteur de se sentir impliqué dans la controverse. <b>Le milieu des lettres parisien semble se muer en <span style="color: #7f6000;">petit théâtre</span></b>. J'ai apprécié goûter les échanges difficiles entre Paulhan et Julien Benda. Paulhan écrit de lui dans un article "M. Julien Benda, s'il n'a jamais hésité à exterminer ses confrères, ne s'est pas encore résigné à les lire" ou encore "il excelle à réfuter des arguments que personne n'a tenus, comme à expliquer des événements qui ne sont pas arrivés".<br />
Antoine Compagnon mobilise des figures très différentes. Le premier chapitre est consacré à Chateaubriand, Joseph de Maistre et Lacordaire, le second va de Renan à Bloy, le troisième traite de Péguy, le quatrième de Thibaudet, le cinquième de Julien Benda, le sixième est dévolu à Julien Gracq et le dernier à Roland Barthes. D'aucuns ont souligné, comme l'indique l'essayiste dans sa postface, l'<b>hétérogénéité de cette liste</b>. Personnellement je n'ai pas été dérangée par cette multiplicité d'écrivains très différents dans la mesure où il travaille à les justifier tous par rapport à sa perspective et à sa définition. Ce fut également l'occasion de découvrir certaines figures pittoresques comme Albert Thibaudet dont je ne connaissais que l'histoire littéraire animée par le principe des <span style="color: #7f6000;">générations</span>. Ainsi Antoine Compagnon écrit à propos de cette image de Thibaudet s'appliquant au dogmatisme de Brunetière "le zèle maladif dont il poursuivait le moi dans tous les coins et les recoins littéraires, comme une tête-de-loup les araignées" que "l'image dérisoire a pu divertir, mais elle en dit encore mois que Brunetière à l'étudiant d'aujourd'hui, qui n'a jamais vu de tête-de-loup". Pour autant l'essayiste rend justice à certaines formules témoignant de la qualité de l'intuition du critique : "Le romancier authentique crée ses personnages avec les directions infinies de sa vie possible, le romancier factice les crée avec la ligne unique de sa vie réelle. Le vrai roman est comme une autobiographie du possible". Cependant, malgré le chapitre que l'essayiste lui consacre, <b>j'ai du mal à me représenter Thibaudet comme un antimoderne</b>. Il s'y rapproche parfois par certains côtés, mais ils sont ténus et ne caractérisent en rien Thibaudet dans son essentiel. Par exemple, Antoine Compagnon remarque la chose suivante : "Dans "Attention à l'unique", son dernier article, Thibaudet, se défendant d'avoir, "manqué d'attention à l'unique", répond que "c'est l'unique digne d'attention qui lui a manqué"" : ce positionnement est antimoderne, mais le critique, ce "dernier critique heureux", selon l'essayiste, ne l'est qu'à l'aventure, non de manière intrinsèque. Des figures telles que Péguy ou encore Julien Gracq sont plus attendues quoique différentes. La présence de Roland Barthes - la postface en rend compte - a suscité des réactions diverses, tous n'ont pas été convaincus. Je remarque personnellement que le chapitre qui lui est consacré souligne à plusieurs reprise l'ambivalence de Roland Barthes et le fait qu'on puisse dessiner, au fil de sa carrière, une trajectoire. Ses rapports au communisme évoluent, de même sa vision de l'avant-garde et son dialogue avec certains écrivains qui se fait au fil des ans plus consensuel et moins revendicatif et marqué idéologiquement. Il écrit dans un article de <i><span style="color: #cc0000;">Tel quel </span></i>intitulé "Délibération" : "Tout d'un coup, il m'est devenu indifférent de ne pas être <i>moderne</i>". Les analyses des avant-gardes sont appréciables par leur finesse, l'essayiste écrit : "Toute prétendue avant-garde esthétique autoproclamée est un leurre idéologique et un instrument de la bourgeoisie pour réprimer la véritable avant-garde politique, la "châtrer" (le mot est fort)" ou encore "L'avant-garde est impensable sans la bourgeoisie libérale, car elle "est fonctionnellement liée à un conformisme régnant mais non tyrannique" ; elle conteste donc, mais dans les limites permises". Antoine Compagnon, le qualifie d'antimoderne dans le rapport qu'il entretien avec les classiques. La citation "à l'arrière-garde de l'avant-garde" revient généreusement au fil de l'essai et, me semble-t-il, constitue une définition efficace de l'antimoderne. Barthes écrit en effet : "[...] être d'avant-garde, c'est savoir ce qui est mort ; être d'arrière-garde, c'est l'aimer encore" ; mais cette glose rend l'expression "être à l'arrière-garde de l'avant-garde" paradoxale et problématique. Le lecteur croit retrouver l'<b><span style="color: #7f6000;">héautontimorouménos</span></b>, mentionné dans la première partie, ce "bourreau de soi-même" cher à Baudelaire. <b>L'antimoderne est toujours tendu entre deux aspirations, en tension entre deux buts.</b> En définitive, Roland Barthes explique ainsi ce fait : "[l]e plaisir du style, même dans les œuvres d'avant-garde, ne s'obtiendra jamais que par fidélité à certaines préoccupations classiques". Aux antipodes des réserves exprimées par d'autres, <b>il me semble au contraire que Roland Barthes a sa place de plein droit dans les rangs des antimodernes car, visiblement, il a lui même inspiré la définition qu'en donne Antoine Compagnon.</b><br />
Antoine Compagnon conclut son essai en 2005 en affirmant que "les antimodernes sont le sel du moderne", en définitive, il s'agit d'une duplication des assertions de l'introduction. A mon sens, <i><span style="color: #cc0000;">Les Antimodernes</span></i> n'est donc pas un essai de réflexion et de mise en tension d'une notion pour arriver à la définir, mais une présentation et une illustration de la notion déjà posée fermement dès l'introduction. La dimension d'<i><span style="color: #7f6000;">essai</span></i> en tant que tel (essai vient d'<i>exagium</i> qui signifie peser, examiner) ne vise qu'à éprouver les frontières de cette catégorie par une réflexion sur des figures diverses et des critères définitoires. Mais après ce tour d'horizon plaisant, cette balade dans le paysage littéraire intéressant et piquant des antimodernes, voici venir le<i> hic</i>.<br />
Ce <i>hic</i> s'appelle postface. Comme signifié en introduction, cet essai avait déjà été publié en 2005 mais a fait l'objet d'une réédition à l'occasion de l'ajout d'une postface. Antoine Compagnon revient donc dix ans après sur son essai et sur la réception qui lui a été faite. Cette postface est intitulée "Après les antimodernes". C'est l'occasion de revenir sur la définition pour la préciser et éclairer les points ayant été source d'incompréhension pour les lecteurs, de réfléchir sur le type antimoderne (est-il pertinent dans toute l'histoire littéraire ou seulement dans le cadre de la période étudiée dans l'essai?), de préciser l'identité des modernes (l'essayiste envoie à son lecteur un bel os à ronger puisqu'<b>il répond par une dérobade</b> : "Ils seraient les conformistes du progrès comme pensée unique, les zélateurs de la religion du futur, les fervents de la rationalité technique, les adeptes de l'avant-garde à tout prix, les adhérents de la "modernianité", comme disait Péguy, du "monde qui fait le malin". Les noms abondent. Inutile de les aligner"), de justifier le choix des écrivains présentés, de revenir sur l'attitude antimoderne, et enfin, de questionner l'identité des antimodernes aujourd'hui.<br />
Sauf <b>quelques considérations d'un intérêt douteux</b> ("Mais l'antimoderne peut-il être une femme? C'est un imprécateur, un vitupérateur qui dispose d'une machine rhétorique des plus efficaces"), jusque là tout allait bien. Dans cette partie de la postface intitulée "Qui sont les antimodernes aujourd'hui ?", l'essayiste répond à la question des lecteurs en récusant quelques propositions : Régis Debray, Max Gallo, Alain Finkielkraut, Philippe Sollers ou encore Houellebecq pour n'en citer que quelques-uns. Pour autant, Antoine Compagnon semble gêné : "puis-je décerner un label ?". De toute évidence c'est pourtant ce qu'il avait entrepris de faire dans l'essai que nous venons de lire... Je réfléchissais avec entrain à la question jusqu'à ce lapidaire "En vérité, je ne vois pas d'antimodernes à l'horizon". Pourquoi donc écrire une postface? Tout simplement pour en appeler à une nouvelle génération d'antimodernes décrite comme suit :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Être vraiment antimoderne aujourd'hui, c'est-à-dire intempestif, ce serait donc, paradoxalement, se battre à front renversé, se montrer réfractaire à la doxa antimoderne érigée de plus en plus en pensée unique, et défendre les valeurs des Lumières, les libertés modernes, l'humanisme civique, la raison pratique, la modernité démocratique, l'Etat de droit. Ce n'est pas le moment de plaisanter avec ces idéaux en des temps de hausse des fondamentalismes de tous bords. Il faut être benoît pour croire que la menace vient aujourd'hui du modernisme, que le triomphe du moderne - non des archaïsmes renouvelés - est ce qui doit être craint au début du XXIe siècle. Et il s'agit toujours d'être indocile, parce que la littérature, c'est cela - l'opposition -, le moment est venu de chanter les Lumières, non de faire la fine bouche.</blockquote>
Cela n'est rien de moins qu'une <b>prise d'otage</b>. La notion d'antimoderne fait l'objet ici d'une <b>manipulation</b> visant à la vectoriser dans un sens qui n'est pas le sien, qui lui est <i>contre-nature</i>. J'ai vécu cette conclusion comme une violence. Comment est-il possible que la "doxa antimoderne" (qu'il a lui-même forgée!) soit dénoncée par l'essayiste comme étant une "pensée unique"? C'est d'autant moins probable qu'Antoine Compagnon s'est par ailleurs évertué dans son essai à montrer, par la variété des écrivains, par la diversité des enjeux et des attitudes, que l'antimodernisme était l'exact contraire de la pensée unique, qu'<b>il était sa critique même</b>.<br />
Et Antoine Compagnon est très clair, "ce n'est pas le moment de plaisanter". Vraiment? Doit-on rappeler que le titre de l'introduction de l'essai était "Les modernes en liberté"? Les antimodernes ne sont-il plus "les modernes en liberté"? Si "ce n'est pas le moment de plaisanter" alors les antimodernes sont morts. Ils sont l'essence du problème, ceux qui arrêtent de plaisanter. <b>Car le véritable antimoderne, ce n'est pas celui qui ne plaisante plus face aux fondamentalismes </b>(si ce n'était que ça, il y aurait pléthore d'antimodernes à l'horizon aujourd'hui qui se prennent au sérieux)<b>, c'est celui qui comprend que le fondamentalisme est une prison aux murs épais qui ne laisse plus passer d'air. Le véritable antimoderne c'est celui qui comprend que le rire, la dérision, la distance sont les meilleurs moyens de fissurer les blocs et de faire renaître la respiration. </b>L'antimoderne n'est pas de ceux qui se signent face à "ce qui doit être craint au début du XXIe siècle", c'est un <i>martyr</i>. Un martyr au sens commun comme au sens étymologique (c'est-à-dire un témoin). C'est le contraire du soldat venu "chanter les Lumières" car oui, l'antimoderne sera toujours de ceux qui feront la "fine bouche" et cet essai était-il autre chose qu'un éloge de la finesse ? S'il n'est pas un aristocrate de <i>sang</i>, du moins l'antimoderne est un aristocrate de <i>sève</i>. Les Lumières autoproclamées n'ont jamais eu que peu à nous apprendre. Où est l'ambivalence dans cette profession de foi naïve, ou - oserai-je dire - benoîte ? Pour reprendre l'épigraphe de Paul Valéry, Antoine Compagnon se contente de peu. Et les antimodernes sont toujours là. Allez. Lisez <b>Houellebecq</b> par exemple.<br />
J'ai donc largement profité de la lecture de cet essai à la rencontre des antimodernes. Il m'a permis d'<b>emprunter un chemin de traverse</b> intéressant dans l'histoire littéraire des XIXe et XXe siècles. Pour autant, j'ai pu constater à la lecture de la postface qu'il était possible qu'un auteur face <b>un <span style="color: #7f6000;">contresens</span> sur ses propres écrits</b> ou qu'il travestisse une notion qu'il a lui-même forgée, peut-être, (qui sait ?) dans le cadre d'une récupération idéologique.<br />
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<u>Du même auteur :</u>
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<li><i>Le démon de la théorie</i></li>
<li><i>L'Âge des Lettres</i></li>
<li><i>La Troisième République des Lettres</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
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<ul>
<li><i>Figures III </i>de Gérard Genette</li>
<li><i>Le degré zéro de l'écriture </i>de Roland Barthes</li>
<li><i>en lisant, en écrivant</i> de Julien Gracq</li>
<li><i>Soumission </i>de Michel Houellebecq</li>
</ul>
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Merci aux éditions <a href="http://www.gallimard.fr/" target="_blank">Gallimard</a> et leur collection <a href="http://www.folio-lesite.fr/Folio/accueil.action" target="_blank">Folio</a> pour ce partenariat. Merci également au site internet <a href="http://www.livraddict.com/" target="_blank">Livraddict</a> pour avoir assuré son organisation.</div>
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Unknownnoreply@blogger.com3France46.227638 2.213749000000007134.9722085 -18.440547999999993 57.4830675 22.868046000000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-39349607000304628392016-06-28T19:39:00.002+02:002016-06-30T19:45:52.844+02:00Les Pauvres Gens de Dostoïevski<span style="font-size: large;">Critique des <i>Pauvres gens</i> de Dostoïevski</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgvok7C5KgTNXvBg6DNUk9pp8k3mg80tFVEWw7Cfnlcbxy2LUbiiZjOPR2dIdD0ecJDsBoWKJbxuWLHYAy8DnK-kiEtTsngUiA-BP-aJ9BXjgW283QEGXtabPlU1KvX76DAY4mxo7rFi_W1/s1600/dostoievski_lespauvresgens.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgvok7C5KgTNXvBg6DNUk9pp8k3mg80tFVEWw7Cfnlcbxy2LUbiiZjOPR2dIdD0ecJDsBoWKJbxuWLHYAy8DnK-kiEtTsngUiA-BP-aJ9BXjgW283QEGXtabPlU1KvX76DAY4mxo7rFi_W1/s320/dostoievski_lespauvresgens.jpg" width="193" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture</i> : Les Pauvres Gens <i>est le premier roman publié par Dostoïevski, celui qui le rendit d'emblée célèbre. Il a raconté comme l'idée lui en était venue : en se promenant un soir d'hiver dans Pétersbourg. Toute la ville lui apparut comme une rêverie fantastique. </i>"C'est alors que m'apparut une autre histoire, dans quelque coin sombre, un cœur de conseiller titulaire, honnête et pur, candide et dévoué à ses chefs, et avec lui, une jeune fille, offensée et triste, et leur émouvante histoire me déchira le cœur".<br />
<i>Toute la littérature du XXe siècle est dans la dernière phrase : </i>"Vous savez, je ne sais même plus ce que j'écris, je ne sais plus rien, je ne me relis même pas, je ne me corrige pas. J'écris seulement pour écrire, pour m'entretenir avec vous un peu plus longtemps..."<br />
A Saint-Pétersbourg, Macaire Alexéïevitch Diévouchkine et Varvara Alexéïevna Dobrossiélova habitent des chambres modestes qui se font face dans un immeuble avec une cour intérieure. Apparemment parents éloignés, ce fonctionnaire pauvre et cette jeune fille livrée à elle-même à l'écart de sa famille entretiennent une correspondance amicale. Macaire Alexéïevitch, touché par le courage et l'honnêteté de Varvara qu'il désigne le plus souvent par le diminutif affectif "Varinka" tente au quotidien de rendre la misère de cette dernière moins étouffante en lui faisant de petits présents et en lui prodiguant toutes sortes d'attentions. L'amour de Macaire et la tendresse de Varinka animent discrètement leurs lettres respectives. Ils partagent un sentiment de sollicitude l'un envers l'autre et cette correspondance apparaît comme la traduction en mots des conversations silencieuses amorcées de fenêtre en fenêtre, de présent en présent. Car après tout, l'existence est moins lourde quand on la supporte à deux.<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi33fx2Qedfr0RDZrnLyDLjTuKHmv5mkqSaN5uJ6scNjgTZ5FbYV4WPc3ddLTVyUc5b8ITd-raWE1Vv41VRqwocFXPOhNJq4mP5XyJHNJqSjYxXviJewu1p5OuHXiwHI27ogFnvZmQ6EGEa/s1600/pauvresgens-vuesaintpetersbourg.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="381" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi33fx2Qedfr0RDZrnLyDLjTuKHmv5mkqSaN5uJ6scNjgTZ5FbYV4WPc3ddLTVyUc5b8ITd-raWE1Vv41VRqwocFXPOhNJq4mP5XyJHNJqSjYxXviJewu1p5OuHXiwHI27ogFnvZmQ6EGEa/s400/pauvresgens-vuesaintpetersbourg.jpg" width="400" /></a></div>
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<i>Illumination de Saint-Pétersbourg</i> par Fédor Vasilyev, 1869.</div>
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<span style="text-align: justify;"><i><span style="font-size: x-small;"><br /></span></i></span></div>
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<a name='more'></a><u>Mon avis :</u><br />
Je me suis passionnée dans un même temps pour<b> Dostoïevski et la ville de Saint-Pétersbourg</b> lorsque, adolescente, j'ai entamé la lecture de <i>Crime et châtiment</i>. Depuis la littérature russe occupe une place très importante dans mon paysage littéraire intime. Je m'y replonge donc régulièrement, et avec un plaisir particulier lorsqu'il s'agit d'un ouvrage de Dostoïevski et que l'intrigue se déroule à Saint-Pétersbourg. Ce <i>roman épistolaire</i> est le premier publié par l'auteur et l'introduit avec efficacité sur la scène littéraire.<br />
Le genre du roman par lettres m'évoque instantanément la France du XVIIIe siècle voire <i><span style="color: #cc0000;">Les Lettres d'une religieuse portugaise</span></i> publiées anonymement par Guilleragues au XVIIe siècle. Pour autant j'ignore s'il existe une tradition russe liée au roman épistolaire. Nécessairement, à l'aune de ces références, <b>j'ai été surprise par le titre</b> qui indique le milieu modeste duquel sont issus les deux épistoliers : la lettre étant, dans mon imaginaire, associée aux classes aisées voire nobles. Ici en effet, Macaire et Varvara vivent dans des chambres décrites comme des taudis et luttent quotidiennement pour manger, se vêtir et se loger. Dans un tel cadre on attendrait que la lettre serve un autre but que ceux poursuivis dans les salons des nobles du siècle dernier, à savoir le badinage, la conversation mondaine ou la conquête amoureuse. Le ton est en effet différent mais<b> il est tout de même question d'amour</b>, comme dans les rares lettres que les religieuses cloîtrées au XVIIe siècle pouvaient envoyer à leur famille. L'économie des mots montre que chaque silence est habité. Il s'agit d'un amour moins expansif, mais plus simple et honnête peut-être, en somme un attachement naturel.<br />
Dostoïevski n'introduit pas de doute sur le statut du texte donné à lire au lecteur : <span style="color: #7f6000;">pas d'annonce de manuscrit trouvé</span> au seuil de l'oeuvre qui débute par une simple lettre de Macaire. Pour autant un doute persiste, s'agit-il du début de la correspondance ou d'une lettre qui faisait suite à d'autres? Le roman s'ouvre en tout cas sur l'emménagement récent de Macaire en face de la chambre de Varvara comme l'indiquent certaines notations : "Je vous annonce, chère Varvara Alexéievna, que j'ai bien dormi cette nuit, contrairement à mon attente, et que j'en suis très content ; lorsqu'on vient de s'installer dans un nouveau logement, on a toujours du mal à trouver le sommeil". La <span style="color: #7f6000;"><b>scénographie du roman</b></span> est également posée dans cette lettre liminaire grâce à l'évocation de ce déménagement :<br />
<blockquote class="tr_bq">
J'ai mis chez moi un lit, une table, une commode, deux chaises, j'y ai accroché une icône. Il est vrai qu'il existe des logements meilleurs, peut-être bien meilleurs, mais l'essentiel est le confort ; car j'ai fait tout cela en vue du confort, et ne croyez pas que je poursuive aucun autre but. Votre fenêtre est en face, de l'autre côté de la cour, et celle-ci est exiguë ; je vous apercevrai en passant, cela égaiera ma misérable vie et je dépenserai moins.</blockquote>
Et c'est précisément cela qui est développé dans <i><span style="color: #cc0000;">Les Pauvres gens</span></i> : le pouvoir de la lettre et d'une liaison de tendresse faite de regards et de non-dits pour égayer le quotidien. Apparemment, d'autres lettres ont précédé celle-ci, c'est du moins ce qu'on peut comprendre de la précision suivante : "Je m'étais tellement inquiété au sujet de nos lettres, de la façon de les faire parvenir!" <b>La relation qui unit les deux épistoliers est également peu claire</b> : ils semblent se situer dans un rapport d'amitié très tendre tout en ayant des liens familiaux très lâches selon Macaire, pour autant, un attachement amoureux se dessine déjà du côté de ce dernier qui porte une attention notable à la fenêtre de la jeune fille.<br />
J'ai été particulièrement touchée par la <b>justesse des caractères</b>, même celui de Varvara Alexéïevna, même si Richard Millet écrit, dans son introduction au texte, que le personnage de la jeune fille est traité en surface. Elle lui apparaît comme un prétexte, un allocutaire nécessaire pour Macaire Diévouchkine. Ce n'était pas mon avis à la lecture du roman. En effet, à la différence de Macaire, elle livre dans une de ses lettres un extrait de <span style="color: #cc0000;">son journal intime</span> narrant son enfance depuis petite fille jusqu'à l'adolescence. Sa relation et les moments privilégiés avec son père sont décrits finement :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Avec papa j'avais des conversations sérieuses sur les matières de l'enseignement, sur nos professeurs, sur la langue française, sur la grammaire de Lhomond, et nous étions tous si gais et si contents. Encore aujourd'hui, j'ai plaisir à me remémorer ces minutes. De toutes mes forces j'essayais de m'instruire pour contenter mon père. Je voyais qu'il employait ses dernières ressources à mon éducation et que lui-même était aux abois...</blockquote>
Ce sentiment d'avoir affaire à des <b>personnages aux abois</b> est de plus en plus prenant à la lecture des lettres. Pour autant, aucun misérabilisme dans ces échanges épistolaires, pas non plus de développement d'une quelconque veine pathétique ou d'un ton de déploration : l'espérance en Dieu, la honte, l'humilité invitent les personnages à refuser l'épanchement. Varinka est d'une discrétion extrême, seul son corps offre malgré elle un témoignage vibrant de sa pauvreté. Macaire s'excuse régulièrement de ses plaintes, pourtant rares : "C'est un péché, ma petite amie, un péché de penser cela, mais, voyez-vous, qu'on le veuille ou non, le péché est insinuant à certaines heures". La précarité de leurs situations de vie ne se révèle qu'indûment, par les agissements rapportés des uns et des autres, par la maigreur des corps et la lassitude des âmes. La tendresse des échanges m'a rappelé Alcide dans <i><span style="color: #cc0000;">Le Voyage au bout de la nuit</span></i> de Céline qui, en parlant d'une "petite-nièce dont il ne possédait que quelques lettres et ce petit portrait", baissait instinctivement le ton de sa voix, adoucissait son propos : " Il parlait de sa mère qui était morte et de son infirmité à la petite avec beaucoup de précaution. Il avait peur, même de loin, de lui faire du mal". Ici, on retrouve cette même hantise de faire mal, même de loin dans les mots de Varinka :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Vous étiez si pâle, si effaré, si désespéré ; vous n'aviez plus figure humaine... tout cela parce que vous redoutiez de m'annoncer votre échec, parce que vous craigniez de me faire de la peine, de m'inquiéter, et quand vous avez vu que je prenais la chose presque en riant vous avez eu un poids de moins sur le cœur.</blockquote>
Les pires errements sont racontés avec <b>pudeur</b>, dans une certaine retenue, comme on peut le lire dans une lettre de Macaire : "Et comme j'avais perdu tout respect de moi-même, comme je m'étais laissé aller à nier mes qualités et ma dignité, ce fut la fin ; ce fut la chute, la déchéance inévitable! Le destin en avait décidé ainsi, ce n'est pas ma faute". Chacun des personnages évolue dans son milieu marqué par la pauvreté. Macaire est constamment préoccupé par ses vêtements comme s'il était condamner à demeurer sans cesse à l'extérieur, dans les rues de Saint-Pétersbourg, prisonnier du regard inquisiteur des passants. Ainsi, <b>la mention des bottes revient souvent comme s'il s'agissait d'un élément crucial, un symbole tout entier révélateur d'une condition</b>. Lorsqu'il s'imagine écrivain il pense immédiatement à l'effet que la vue de ses bottes pourraient produire sur les autres : "Que deviendrais-je alors, par exemple, avec mes bottes? Car je vous le fais remarquer en passant, elles sont presque toujours rapiécées et les semelles, pour dire la vérité, s'en détachent parfois de manière fort peu décente. Que se passerait-il si tous apprenaient que l'écrivain Diévouchkine porte des bottes rapiécées!" Et Macaire de poursuivre, non sans effet comique pour le lecteur : "Elle ne s'en apercevrait peut-être même pas, car je suppose que les comtesses ne s'occupent pas de bottes, de bottes de fonctionnaires encore moins (car il y a bottes et bottes)".<br />
Et c'est un des aspects que j'ai particulièrement aimé dans cet échange épistolaire : <b>la finesse de l'humour, des jeux d'ironie et le déploiement d'un <span style="color: #7f6000;">comique inattendu et efficace</span></b>. Certains passages sont désopilants, je pense notamment à l'anecdote du bouton. Macaire est convoqué chez "Son Excellence" après une faute dans son travail de copiste, intimidé en face d'un homme si important il essaie de masquer sa mise négligée mais un bouton le trahit en se décrochant inopinément de son vêtement :<br />
<blockquote class="tr_bq">
J'allais ouvrir la bouche. J'aurais voulu demander pardon, mais je ne pouvais pas, m'enfuir, mais je n'osais faire le premier geste et, à ce moment... à ce moment, ma petite amie, est survenu un incident tel que ma plume m'en échappe presque de honte. Mon bouton (qu'il aille au diable!) celui qui branlait au bout de son fil, tout d'un coup s'est détaché (je l'avais sans doute accroché sans faire attention), est tombé par terre avec un léger bruit, et s'est mis à rouler sur le parquet en se dirigeant tout droit, je dis bien tout droit vers les pieds de son Excellence, et cela au milieu du silence général! Voilà quelle fut toute ma justification, quelles furent toutes mes excuses, toute ma réponse, tout ce que je me préparais à dire à Son Excellence!</blockquote>
Les événements sont racontés avec une distance qui ressemble souvent à de l'<span style="color: #7f6000;">autodérision</span>. Parfois, le pathétique côtoie le sublime comme dans la description émouvante du père de l'étudiant Pokrovski à la mort de ce dernier : "Enfin, on ferma le cercueil, on le cloua, on le plaça sur la charrette et on l'emporta. Je ne l'accompagnai que jusqu'au bout de la rue. Le charretier partit au trot. Le vieux courait derrière lui en pleurant sans retenue ; ses lamentations chevrotantes étaient entrecoupées par la course. Le malheureux perdit son chapeau et ne s'arrêta pas pour le reprendre. La pluie lui mouillait les cheveux, le vent se levait ; le froid lui fouettait, lui piquait le visage. Le vieux semblait ne pas remarquer le mauvais temps et courait d'un côté de la charrette à l'autre en sanglotant. Les pans de sa vieille redingote s'agitaient au vent comme des ailes". D'ailleurs, l'histoire de Varinka et de Pokrovski est très touchante. <b>Les personnages ne sont jamais stéréotypés</b>, ce ne sont pas des silhouettes lisses avec un nom et une description convenue : chacun est abordé dans ses <b>aspérités</b>. Par conséquent, les portraits permettent vraiment une représentation même s'ils ne sont jamais flatteurs. On peut citer celui de l'étudiant Pokrovski par exemple : "Pokrovski était un jeune homme pauvre, très pauvre ; sa santé ne lui permettait pas de faire des études suivies et c'était seulement par habitude que nous l’appelions l'étudiant. Il menait une existence si modeste, si paisible, si silencieuse que nous ne l'entendions même pas dans notre chambre. Son aspect était étrange : il marchait, saluait si gauchement, parlait de façon si bizarre que les premiers temps je ne pouvais le regarder sans rire".<br />
L'un des intérêts majeurs de cette correspondance est le développement subtil d'un attachement amoureux et les voies détournées (de plus en plus directes) de son expression. Se dégage ainsi du texte une sincérité troublante qui donne au lecteur <b>l'impression persistante de lire une correspondance réelle</b>. Ainsi cet envol magnifique d'une lettre de Macaire lorsqu'il apprend que Varinka a reçu une proposition de mariage :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Fédora dit qu'un grand bonheur vous attend... mais c'est une agitée qui veut me perdre. Irez-vous à vigile, ce soir, ma petite amie? Je pourrais y aller pour vous voir. C'est vrai, tout à fait vrai que vous êtes une jeune fille instruite,vertueuse et sensible, seulement qu'il épouse plutôt sa marchande! Qu'en pensez-vous, ma petite amie? Qu'il épouse plutôt sa marchande! Dès que le jour commencera à tomber, je courrai chez vous pour une petite heure, ma Varinka. Je viendrai sûrement aujourd'hui passer une petite heure avec vous. Maintenant, vous attendez Bykov, mais dès qu'il sera parti... Attendez-moi, ma petite amie, je vais venir....</blockquote>
L'émotion s'installe dans les vides, dans les creux du texte. Il ne s'agit pas d'un échange pudibond ou frigide mais de la recherche de vérité dans les sentiments. On sent chez Varinka un attachement profond, une tendresse familiale naturellement portée vers autrui cependant <b>elle ne semble pas ressentir d'amour pour Macaire</b> au sens où ce dernier l'entend envers elle.<br />
La rédaction d'une telle <span style="color: #7f6000;">correspondance fictive</span> peut étonner. Quel est le message de l'auteur? Qu'entend-il montrer ou illustrer? Il s'agit du premier texte de Dostoïevski, il n'est pas inintéressant de s'attacher au fait qu'il décide de présenter un roman épistolaire, c'est-à-dire un texte composé des écrits de ses personnages. Si Varvara semble essentiellement intéressée par le support de la lettre comme vecteur de messages, Macaire est habité par <b><span style="color: #7f6000;">la question du style</span></b>. Les considérations littéraires du fonctionnaire émaillent régulièrement le texte. Il rend compte épisodiquement de ses lectures, livre son admiration pour Rataziaïev, un voisin à lui qui publie des textes auxquels il voue une admiration sans bornes. Ces textes sont de simples exemplarisations de clichés romantiques d'où les réserves de Varinka qui sont, on le devine, <b>une manifestation de la distance et de l'ironie de l'auteur lui-même</b>. Cette préoccupation du style intervient dès l'ouverture de la correspondance : "Ne soyez pas sévère pour cette épître ; elle n'a pas de style, Varinka, pas le moindre style. J'aimerais en avoir un tant soit peu! J'écris tout ce qui me vient à l'esprit pour vous égayer un peu et c'est tout. Si j'avais étudié, ce serait une autre paire de manches. Mais mon instruction laisse bien à désirer!" Macaire s'insurge contre les faiseurs de vers : "Des vers, quelle bêtise! Dans les écoles, on fouette maintenant les petits garçons qui en font... oui, mon amie" ; ce qui ne l'empêche pas de louer le style de Rataziaïev en espérant se forger le sien. Le lecteur peut sentir, au fil des lettres, que Macaire Diévouchkine considère les lettres à Varvara comme une occasion de perfectionner son style. Il en fait parfois clairement état, ce qui peut revêtir <span style="color: #7f6000;">une dimension comique</span> pour le lecteur, comme ici :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Pour vous faire un aveu, ma chérie, j'ai commencé à vous décrire tout cela pour soulager mon cœur et surtout pour vous montrer un échantillon du bon style de mes œuvres. Car, vous en conviendrez vous-même, ma petite amie, depuis quelque temps mon style se forme.</blockquote>
Lorsque Macaire a pris conscience de la possibilité du mariage de Varvara, son ton se fait plus direct, il privilégie moins le style et la composition pour laisser libre court à l'épanchement de son cœur. Il écrit par exemple : "Je vous raconterai cela sans style, comme Dieu m'inspirera". La correspondance s'interrompt brutalement par le départ de Varvara hors de la ville de Saint-Pétersbourg. <b>La dernière lettre de Macaire reste sans réponse et semble sonner le glas de sa vocation naissante d'écrivain</b>. Varinka apparaît comme la muse qui n'est plus, la muse enfuie qui ne laisse qu'un grand vide : "Il est absolument impossible que ce soit notre dernière lettre. Comment, tout d'un coup, sans qu'on y puisse rien, la dernière! Non, non, je continuerai à vous écrire et vous ferez de même... Surtout maintenant que mon style se forme... Ah! ma chérie, qu'est-ce que le style? Vous savez, je ne sais même plus ce que j'écris, je ne sais plus rien, je ne me relis même pas, je ne me corrige pas, j'écris seulement pour écrire, pour m'entretenir avec vous un peu plus longtemps... Ma colombe, ma chérie, ma petite amie!" <b>Cette lettre n'est pas signée, d'ailleurs elle n'est même pas envoyée</b>, puisque ce recueil selon la <span style="color: #7f6000;">fiction épistolaire</span>, provient de l'assemblage des lettres de Varvara trouvées dans sa chambre à Saint-Pétersbourg et de celles de Macaire. Cette brusque interruption est aussi frappante pour le lecteur que pour Macaire, la correspondance n'en semble que plus réelle.<br />
La fin du texte participe donc à ce sentiment général de spontanéité produit par l'œuvre et renforce l'impression d'un dialogue en train de se faire, en train de s'écrire. Le lecteur est un participant qui se voit privé d'un de ses interlocuteurs. Le roman épistolaire se clôt donc sur une aporie, sur le vide du silence, nous donnant ainsi tout le loisir de s'interroger sur l'acte d'écrire après cette confrontation à <b>une vocation morte</b>.<br />
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<u>Du même auteur :</u>
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<li><i>Crime et châtiment</i></li>
<li><i>Les frères Karamazov</i></li>
<li><i>L'Idiot</i></li>
<li><i>Le Double</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
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<ul>
<li><i>Anna Karénine </i>de Tolstoï</li>
<li><i>Le Maître et Marguerite </i>de Mikhaïl Boulgakov</li>
<li><i>Récits de feu Ivan Pétrovitch Belkine</i> de Pouchkine</li>
</ul>
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Unknownnoreply@blogger.com4Russie61.52401 105.31875600000001-5.0911625000000029 -60.618743999999992 90 -88.743743999999992tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-50686642099512919002016-05-08T12:32:00.000+02:002016-05-25T14:11:19.772+02:00L’Écuyer mirobolant de Jérôme Garcin<span style="font-size: large;">Critique de <i>L’Écuyer mirobolant</i> de Jérôme Garcin</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh7-gauS7VJeYWJIe4ODa4VDAq3ZEEdtD35z3OcXTOmTrq-SwQu1X77A8TBcpQbTjb2PAqN3mAoy7nF6KEQ2IPPuRZhL87ehruJjSjsSRtj3trJZgBA8MuB3K397okMfapk70wZ-YTTj4NQ/s1600/ecuyermirobolant_jeromegarcin.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh7-gauS7VJeYWJIe4ODa4VDAq3ZEEdtD35z3OcXTOmTrq-SwQu1X77A8TBcpQbTjb2PAqN3mAoy7nF6KEQ2IPPuRZhL87ehruJjSjsSRtj3trJZgBA8MuB3K397okMfapk70wZ-YTTj4NQ/s320/ecuyermirobolant_jeromegarcin.jpg" width="212" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture</i> : "En équitation comme dans l'armée, Étienne savait combien c'eût été vain de vouloir casser les rebelles, soumettre les acariâtres, et qu'il était impossible d'atteindre la légèreté par la force, le brillant par la colère. Même les étalons les plus impérieux, il ne les avait pas combattus. Au contraire, il n'avait eu de cesse de vouloir les comprendre pour mieux s'en faire des alliés. Quel que fût le cheval, il n'aspirait qu'à se passer des aides. Il rêvait en effet de régner sans poids ni appuis, par le seul souffle de la botte, la caresse du cuir et la profondeur de l'assiette. Monter n'était plus alors une activité physique, c'était une pensée pure, un acte de foi."<br />
<i>Jérôme Garcin est notamment l'auteur, aux Editions Gallimard, de</i> La chute de cheval, Bartabas, roman<i> et</i> Cavalier seul.<br />
Étienne Beudant, né en 1863 et mort en 1949, est un illustre écuyer français. Officier de cavalerie à Saumur, il sera envoyé en Algérie durant la guerre d'indépendance. Jérôme Garcin livre au lecteur une biographie romancée de cette figure importante et émouvante de l'équitation française. Passeur de cultures, d'émotions, ouverture tentée vers l'absolu et l'expérience de la transcendance, le cheval est l'objet d'une quête dans le texte. Faire le portrait du cavalier n'est pourtant pas un prétexte pour brosser le portrait de l'homme : Jérôme Garcin montre que l'homme n'existe pas sans le cheval. Bartabas disait du cavalier sans monture qu'il lui manquait la moitié de son sang, ici le sang du livre, ce sont précisément les chevaux.<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfQVo3qhVj32i4laKnxlv2oYS0qCxjMG0zdzQJYT-jHyLTFLijjFM2KVFidjsyJkUw9ymjhN63nwPrJxH9KrFaUju6KkQEap5weKlTZsfK2DUkkGh6r6_p1-D0pi7lmi3wYmfM3P9kb8_n/s1600/Beudant_mabrouk_piaffer.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfQVo3qhVj32i4laKnxlv2oYS0qCxjMG0zdzQJYT-jHyLTFLijjFM2KVFidjsyJkUw9ymjhN63nwPrJxH9KrFaUju6KkQEap5weKlTZsfK2DUkkGh6r6_p1-D0pi7lmi3wYmfM3P9kb8_n/s1600/Beudant_mabrouk_piaffer.jpg" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<span style="text-align: justify;"><i><span style="font-size: x-small;">Étienne Beudant et le barbe Mabrouk au piaffer.</span></i></span></div>
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<span style="text-align: justify;"><i><span style="font-size: x-small;"><br /></span></i></span></div>
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<a name='more'></a><u>Mon avis :</u><br />
Dans la préface à son <span style="color: #cc0000;"><i>Anthologie de la littérature équestre</i> </span>- aussi complète qu'intime -, Paul Morand écrit que "l'histoire de l'équitation, c'est, en microcosme, toute l'histoire de l'Homme". On interpréterait bien peu en prenant la liberté de dire que la vie du cavalier serait alors une image de ce qu'idéalement une vie d'homme devrait être. <b><i><span style="color: #cc0000;">L’Écuyer mirobolant</span></i> n'est pas une biographie d'Étienne Beudant</b> : dans cet ouvrage il n'est que peu question de sa famille, de son petit quotidien d'homme. Tout n'y est que par et pour les chevaux. L'ouvrage s'ouvre à "Dax, 16 janvier 1949" à l'enterrement d'Étienne Beudant. Pour autant,<b> aucun récit de naissance ne fait pendant au récit de mort</b> dans cette biographie. Et pour cause, la seule vraie naissance qui vaille intervient au second chapitre à "Saumur, octobre 1887". Elle est décrite en ces termes : "Enfin, il était à Saumur. Son rêve se réalisait. D'émotion, il en tremblait un peu".<br />
Dans un curieux renversement, le livre s'attache à décrire comment les chevaux ont façonné l'homme. Étienne Beudant est célèbre en ce qu'il osait se confronter à des cas difficiles et former des chevaux atypiques n'étant pas <i>a priori</i> taillés pour la Haute Ecole. <b>Il savait révéler en chaque cheval un caractère, des aptitudes et une grâce particulières</b>. Mais ce que le texte démontre, c'est que les vrais maîtres, ce furent les chevaux. Jérôme Garcin est lui même homme de cheval, ce qui lui permet de livrer un texte juste et d'adhérer intimement à la réalité qu'il convoque. Mais faisons semblant de ne pas voir qu'il s'agit d'<b><span style="color: #7f6000;">une autobiographie déguisée</span></b>, et disons tout simplement qu'une connaissance fine du milieu et des sentiments décrits confère au texte une puissance évocatoire hors du commun.<br />
J'ai été saisie par la variété de l'écriture qui sait mobiliser des tons et des couleurs très différents. Les chapitres en Algérie sont fins et généreux en précisions historiques piquantes comme le portrait d'Areski El-Bachir :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Caché dans la forêt de Yakouren avec sa troupe composée d'une cinquantaine de repris de justice et d'évadés de Cayenne, Areski el-Bachir cambriolait les villas des Espagnols, des Italiens, des Maltais mais aussi des riches Arabes, se flattait de prendre la défense des faibles, détournait les impôts, subventionnait les écoles, rançonnait les voyageurs, qu'il menaçait avec des fusils Lebel, et se faisait payer, en nature, par les femmes étrangères qu'il capturait. Lesquelles vantaient sa délicatesse au lit et, chacune rêvant d'être sa prisonnière, se disputaient secrètement ses faveurs en s'attardant, l'air de rien, sur les chemins de traverse.</blockquote>
Les nombreuses allusions à la culture littéraire commune du lecteur permettent à certains passages de développer une ironie brillante comme ici : "Areski el-Bachir, lâché par ses complices, épuisé par ses poursuivants, affamé, finit par se rendre de lui-même, le 23 décembre 1893, au caïd Belkacem. Jugé, condamné à mort, il fut décapité. Les hommes, qui perdirent un rival, soupirèrent. Les femmes, qui avaient lu<i> Le Rouge et le Noir</i>, pleurèrent. Et le capitaine Beudant eut une pensée émue pour le brigand devenu légendaire. Il éprouva surtout de la reconnaissance pour le fuyard aux abois qui venait de lui offrir, sans le savoir, six mois d'équitation tout terrains et de cross homériques". La référence à l'ouvrage de Stendhal faisant d'Areski el-Bachir un<span style="color: #7f6000;"> Julien Sorel d'un nouveau genre</span> est particulièrement fine. J'aime beaucoup également cette idée des hommes nostalgiques d'un rival perdu. Elles me rappellent les considérations de Proust sur la guerre dans <i><span style="color: #cc0000;">Le côté de Guermantes</span></i> à l'occasion desquelles Saint-Loup se lamentait des progressions scientifiques rendant impossible toute véritable confrontation virile à l'ennemi et, partant, tout développement d'un art militaire : "Avec les terribles progrès de l'artillerie, les guerres futures, s'il y a encore des guerres, seront si courtes qu'avant qu'on ait pu songer à tirer parti de l'enseignement, la paix sera faite". Ces idées, aujourd'hui incompréhensibles au commun des mortels, sont encore naturelles pour un homme de cheval évoluant dans un milieu de haute tradition favorable au développement de valeurs telles que l'humilité, l'abnégation, le sens esthétique ou encore la recherche du divin.<br />
On peut remarquer une évolution discrète dans le caractère d'Étienne Beudant ainsi que dans son équitation au fil du récit. D'abord cavalier intrépide, amoureux des grands espaces en Algérie, il devient petit à petit plus sensible à la qualité du temps passé au manège, à travailler inlassablement les mêmes mouvements.<br />
J'ai été particulièrement touchée par le fait qu'Étienne Beudant parvienne à <b>voir en chaque cheval un potentiel à exploiter</b>. L'attention qu'il consacre aux barbes d'Algérie et l'amour qu'il leur porte montre sans ambages ce qu'est un véritable homme de cheval. Ce dernier doit être capable de <i>révéler </i>un cheval par un travail particulier, à l'écoute des besoins de chaque monture. Par conséquent, le texte livre un éloge de toutes les traditions équestres pourvu qu'elles soient respectueuse de la nature de l'animal. <b>La tradition de l'équitation de Haute Ecole française n'est qu'un repère pour aborder des manières différentes de monter à cheval </b>chez d'autres peuples de cavaliers, notamment les arabes. Le personnage de <span style="color: #7f6000;">Driss</span> m'a particulièrement marquée. Présent dès le début de l'ouvrage lors de l'enterrement d'Étienne Beudant, il est, en définitive, le seul à vraiment jouer juste :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Face à la pierre où venait d'être gravée la devise du capitaine, que la solennité du moment rendait encore plus insolente - "Pour arriver vite, aller très lentement mais assurer chacun de ses pas" -, seul resta Driss, immobile, les yeux fermés, indifférent aux mouvements de tête métronomiques de son cheval qui s'impatientait et tapait du pied. Une cloche fêlée teinta de l'autre côté de la ville. Il sortit un livre relié au dos cassé à force d'avoir été ouvert et lut à voix basse deux sourates : "Le démon n'ose pas entrer dans une tente gardée par un pur-sang" et "Le cheval est un cadeau de Dieu à l'homme". Et puis, de sa main ambrée, il ramassa un peu de terre fraîche sur la tombe, la mit dans un sachet avec une prévenance d'archéologue, extirpa de sa poche une poignée de sable du désert, la jeta au pied de la croix, et quitta le cimetière à l'entrée duquel son cheval déposa, délicatement, dans un flic-flac régulier, une grappe harmonieuse de crottins verts.</blockquote>
Driss, c'est aussi le disciple - au sens noble du terme - d'Étienne Beudant dans le texte. Humble, patient et rigoureux, c'est celui qui parvient, après un long travail, à <i>sentir</i> pleinement l'équitation en tant qu'art, en tant que porte ouverte vers la transcendance. Cavalière moi-même, j'ai nécessairement été touchée par ce discours, l'équitation c'est précisément <i>ça</i>. <b>Une voie, parmi d'autres, mais une voie privilégiée pour accéder au sens</b>. Le passage du galop arrière m'a particulièrement marquée : "Un matin, alors que la caserne dormait encore, Driss réalisa, pour lui seul, ce galop arrière sur la terre meuble. Il eut le sentiment de bouleverser les lois de la nature et fut saisi d'un immense vertige. Il était heureux comme jamais il ne l'avait été. Il caressa son cheval pour le remercier. Ce fut la première et la dernière fois qu'il demanda cette figure. Elle serait inscrite pour toujours dans sa mémoire. Personne n'en avait été le témoin. Et il n'écrivit même pas, pour s'en vanter, au capitaine Beudant. Ce serait son secret. Il en rêverait souvent." L'exécution du galop arrière par le cheval est décrite exactement comme un <span style="color: #7f6000;">miracle</span>. <b>Un don de pure perfection.</b> Ces instants de grâce sont bien connus des cavaliers qui pensent l'équitation comme une relation. Ce passage, ainsi que d'autres, m'a fait penser aux textes de Nuno Oliveira, notamment lorsqu'il traite de l'équitation en tant qu'art comme ici dans un extrait de <i><span style="color: #cc0000;">Souvenirs d'un écuyer portugais </span></i>publié en 1982 :<br />
<blockquote class="tr_bq">
En Art Équestre, il n'est pas question d'impressionner les observateurs mais plutôt d'établir avec le cheval une telle harmonie et une telle compréhension qu'en descendant de cheval, le cavalier sente qu'il y a eu des moments de beauté profonde et que son esprit a pu s'élever au-dessus de la vulgarité et de la médiocrité.</blockquote>
<blockquote class="tr_bq">
L'Art est la sublimation d'une technique approfondie. L'art n'est possible que si l'être humain, dépouillé de toutes ses vanités, essaie vraiment d'aimer la beauté de ce qu'il est en train de faire. L'équitation n'est ni différente des autres arts, ni exempte des influences des autres artistes.</blockquote>
<blockquote class="tr_bq">
L'Art, c'est savoir aimer profondément.</blockquote>
"Aimer profondément", car cette quête c'est aussi une quête transcendante, dans une recherche de l'absolu. L'équitation n'est donc pas seulement un art mais aussi une forme de religion, ou plus précisément, <span style="color: #7f6000;">une mystique</span>. En introduction à son<i><span style="color: #cc0000;"> Anthologie de la littérature équestre</span></i>, Paul Morand pouvait ainsi décrire le manège comme le "haut-lieu, le cérémonial d'une religion consciente d'elle-même". Le cavalier est donc un fidèle, l'écuyer porteur de sacerdoce. Cette vision parcourt le texte à travers des notations récurrentes, "ces pauvres images arrêtées ne pouvaient rien saisir du mouvement perpétuel, de l'entente sacrée entre lui et ses chevaux" ou encore "des phrases, des phrases, rien que des phrases, ajoutées à toutes celles de ses prédécesseurs, qui ne remplaceraient jamais la beauté du geste pur, par essence indicible". Parfois, la comparaison est explicite et présente l'équitation comme une voie de grâce dans le renoncement : "Voyez-vous, mon cher Barcharach [élève de Beudant], ma vie de cavalier a été une vie de moine cistercien, et il n'y a pas de place pour la famille au monastère". Cela permet ainsi cette assertion flamboyante sur l'équitation, reprise à raison en quatrième de couverture par l'éditeur Gallimard : "Monter n'était plus alors une activité physique, c'était une pensée pure, un acte de foi".<br />
Une pensée pure, un acte de foi. Mais qu'en est-il alors de l'écuyer sans cheval, l'écuyer que l'âge à condamné à cheminer sur ses propres jambes voire à se déplacer en fauteuil roulant? <b>Ce portrait de l'écuyer en fauteuil est d'un pathétique qui confine au burlesque</b> : le cavalier sans cheval est un roi sans royaume, entouré de vide, appelé au vide. Cette lente déchéance débute avec la vente de <span style="color: #7f6000;">Vallerine</span>, la dernière jument qu'il forge comme une oeuvre d'art : "Il savait très bien ce que cette décision chrétienne, prise le soir de Noël, signifiait. En cédant Vallerine, il tirait un trait définitif sur son histoire avec les chevaux. Il n'aurait désormais plus de raisons de monter. [...] Il perdrait la mémoire. Il attendrait la mort." Cette image de l'écuyer sans monture n'est pas seulement burlesque, elle est aussi inquiétante, comme s'il s'agissait de l'accomplissement d'une malédiction. Les instants de grâce, l'accès soudain à la vérité, tout cela n'est donc pas gratuit, il y a un <b>prix à payer</b>. C'est d'autant plus tragique qu'être écuyer, c'est accepter une vie presque monastique et donc faire le vide autour de soi. Cette figure de l'écuyer déchu traverse la littérature équestre et semble particulièrement obnubiler Jérôme Garcin. Lorsqu'il présente la réédition de l'<i><span style="color: #cc0000;">Anthologie de la littérature équestre</span></i> de Paul Morand, il décrit l'auteur en des termes similaires :<br />
<blockquote class="tr_bq">
A la fin de sa vie, Paul Morand, ce dandy triste qui avait des airs de bouddha insolent, confiait à Marcel Schneider, lequel hérita de sa garde-robe, de ses bouffantes culottes de cheval, de ses vestes de tweed et de ses redingotes pour aller aux courses d'Ascot : "Je suis tranquille, je n'ai plus faim. J'ai aimé vivre une fois, je n'aimerais pas recommencer". L'aveu valait pour l'académicien trottinant sur le Pont des Arts, mais pas pour le cavalier qui ne cessa, jusqu'à son dernier soupir, de pleurer sa galopante jeunesse, d'espérer chausser ses bottes, d'aspirer à remonter, toujours plus haut, afin de pouvoir voler au-dessus des champs, des forêts et de sa vie.</blockquote>
Le cheval pour l'écuyer peut tour à tour constituer une nouvelle naissance, une initiation, une quête voire un absolu et un regret incurable, à perpétuité. Jérôme Garcin décrit avec justesse, toujours à propos de Paul Morand, cet état de fait : "Il a quatre-vingt-cinq ans et il sanglote. Des yeux brillants du vieillard menu, tendu, tassé, à peine fripé, un peu rond, coule soudain une intarissable fontaine de regrets. [...] L'auteur de <i>Milady</i> est bouleversé. La beauté de marbre blanc des chevaux obligeants le saisit ; la délicatesse des jeunes artistes qui les montent, et dont les doigts travaillent la rêne à la manière des flûtistes pressant les trous de leur instrument, le subjugue. Et c'est alors que, au spectacle de la grâce équestre, se mêle, dans la nuit de Saint Sylvestre, la carrousel de ses propres souvenirs." <b>Mais l'avenir est toujours du côté des chevaux, les seuls véritables maîtres, sans cesse renaissants.</b> Alors qu'Étienne Beudant est mort, Vallerine poulinière dans un élevage, donne naissance à un jeune poulain gris cendré, "c'était l'année des <i>R</i>, il pensa sans hésiter à Rimbaud".</div>
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<u>Du même auteur :</u>
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<li><i><a href="http://lenlivree.blogspot.fr/2011/07/la-chute-de-cheval-de-jerome-garcin.html">La chute de cheval</a></i></li>
<li><i><a href="http://lenlivree.blogspot.fr/2011/08/cavalier-seul-de-jerome-garcin.html">Cavalier seul</a></i></li>
<li><i>Perspectives cavalières</i></li>
<li><i>Bartabas, roman</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
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<ul>
<li><i>Milady </i>de Paul Morand</li>
<li><i>Hippomanie</i> de Jean-Louis Gouraud</li>
<li><i>Œuvres complètes </i>de Nuno Oliveira</li>
</ul>
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Cet ouvrage a été récompensé du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Acad%C3%A9mie_P%C3%A9gase" target="_blank">Prix Pégase</a> en 2011.</div>
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Unknownnoreply@blogger.com0France46.227638 2.213749000000007134.9722085 -18.440547999999993 57.4830675 22.868046000000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-50741226205671214512016-03-20T15:53:00.003+01:002016-03-20T15:54:07.482+01:00Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole de Jean Renart<span style="font-size: large;">Critique du <i>Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole</i> de Jean Renart</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjLjviY5yqaItUmDfEaOx3B7Pjoqeyim49KbownPlLYAVwsLNMH6s4se8ss6Hf14NneBVPT_qr_Ele7J_mLv1UxSROfhU25QTBPcmVAbP2ifVRyPiUL8-ohL9rBcz1PoH8qtab-zKiejnKD/s1600/romandelarose_guillaumedole_jeanrenart.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjLjviY5yqaItUmDfEaOx3B7Pjoqeyim49KbownPlLYAVwsLNMH6s4se8ss6Hf14NneBVPT_qr_Ele7J_mLv1UxSROfhU25QTBPcmVAbP2ifVRyPiUL8-ohL9rBcz1PoH8qtab-zKiejnKD/s320/romandelarose_guillaumedole_jeanrenart.jpg" width="212" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture : </i>Le Roman de la Rose<i> de Jean Renart est une des œuvres les plus neuves et les plus complexes du Moyen Âge. Il substitue à l'Ouest arthurien l'Est impérial autour de l'empereur Conrad qui nous offre une synthèse des attributs des trois principaux personnages, le jongleur Jouglet, le chevalier Guillaume de Dole et sa sœur, la belle Liénor, en même temps qu'une réflexion sur la souveraineté, ses fondements et sa légitimité. Pour Jean Renart, le romancier doit rechercher le </i>vraisemblable<i>, au sens narratif du terme, par la logique des actions, et le </i>véritable<i>, en entretenant l'effet de réel dans la description des êtres et des choses. Ainsi assiste-t-on à la création du "nouveau roman" médiéval par une géographie plus précise, par des héros pseudo-historiques au milieu de personnages secondaires bien réels, nommément désignés, contemporains de l'auteur et contemporains entre eux, par des interventions fréquentes du narrateur, par des dialogues qui se rapprochent de la conversation courante, par l'élargissement de l'univers romanesque aux jongleurs, aux vavasseurs et aux bourgeois détenteurs de la richesse et du pouvoir économique. De surcroît, Renart fait de la littérature avec la littérature de son temps et même avec sa propre littérature (</i>Le Lai de L'Ombre<i>). Il est une innovation dont il se flatte dans son prologue : il a entrelacé le texte narratif, sans en rompre la cohérence, de poèmes lyriques, aristocratiques et populaires, dont il nous offre une véritable anthologie. Dans le même temps, il nous propose un nouvel art de vivre, qui relègue au second plan la religion et l'idéal chevaleresque, prônant une morale de la largesse, voire de la prodigalité, au service de la joie et de la jouissance amoureuse, dans un univers de richesse, de beauté et d'élégance, sans rien de compassé. Mais lucidité et réalisme ne perdent jamais leurs droits dans un roman qui aime à suggérer l'envers du décor, qui recherche l'inattendu dans le langage et l'écriture, dont l'art du détail relève du pointillisme.</i><br />
Aux antipodes de ce que l'on retient généralement des romans médiévaux du XIIe et XIIIe siècles, <i>Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole</i> se cultive une veine que la critique (par exemple la médiéviste Rita Lejeune) a eu tendance à qualifier de "réaliste". Après un long prologue introduisant le lecteur à la Cour de l'empereur Conrad, une intrigue débute autour du thème de la gageure : la belle Liénor, sœur du chevalier Guillaume de Dole, pour laquelle l'empereur avait éprouvé un vif attachement en écoutant les récits du jongleur Jouglet, aurait fauté autrefois avec le sénéchal de la Cour. Essaimée d'épisodes formant de véritables petites entités comme celui du tournoi, une enquête va alors se développer et son moteur principal c'est la <i>renardie</i> : la ruse du narrateur autant que des personnages. Se jouant des codes littéraires autant que des usages, l'auteur propose un portrait original et familier de la société courtoise. Les attendus sont maniés avec distance voire dérision pour mener plaisamment l'auditeur-lecteur vers le dénouement. Les insertions lyriques alimentent l'<i>ornatio</i> et confèrent à l'ensemble une agréable variété.</div>
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<a name='more'></a><u><br /></u>
<u>Mon avis :</u><br />
Ma connaissance des romans du XIIIe siècle se limitait essentiellement aux romans arthuriens convoquant la matière de Bretagne ou aux romans dits antiques. La technique herméneutique que je m'attendais à devoir mobiliser pour la lecture d'un roman en vers de la fin du XIIIe siècle était donc nécessairement la mise en rapport de la <i><span style="color: #7f6000;">semblance</span></i> et de la <i><span style="color: #7f6000;">senefiance</span></i> : c'est-à-dire chercher un "plus haut sens" derrière les images et les allégories développées dans le texte. Le merveilleux également faisait partie de mon horizon d'attente et j'ai été surprise d'en trouver peu et de constater un apparent effort de mise en retrait de la religion. Rien de tel donc dans<i> <span style="color: #cc0000;">Le Roman de la Rose ou le Guillaume de Dole</span> </i>de Jean Renart. <b>Cet ouvrage fait en effet partie des romans médiévaux qualifiés de "réalistes" par la critique</b>. La médiéviste Rita Lejeune a déterminé quelques critères marquants s'appliquant à ce <i>corpus</i> : la présence de personnages historiques réels ; un refus du surnaturel ; une intrigue simple dans un cadre géographique précis ; le déploiement d'un art de la description ; des interventions fréquentes du narrateurs. Si ces critères sont bien entendu schématiques - Michel Zink a montré sans ambiguïtés le caractère aléatoire et non homogène de leur développement dans les textes - ils demeurent majoritairement opératoires pour décrire<span style="color: #cc0000;"> <i>le Guillaume de Dole</i></span>. Ils ont également le mérite de marquer d'emblée combien <b>la différence est marquée avec ce qu'il est commun d'observer dans les romans antiques ou arthuriens.</b> Jean Dufournet dans sa présentation au texte médiéval ainsi qu'à la traduction de Félix Lecoy qualifie Jean Renart de "poète du quotidien". Le texte s'ancre dans la société courtoise qui s'anime autour de l'empereur Conrad. Bien que ce dernier soit, à l'occasion d'un long prologue, présenté comme un chef militaire hors-pair, un homme loyal et valeureux et un homme courtois connaissant l'art de l'amour son portrait ne donne pas lieu à l'établissement ainsi qu'à l'exposé d'un lignage remontant à des ancêtres mythiques et héroïques. Ce fait tranche avec une longue tradition romanesque et idéologique médiévale et invite à considérer le texte d'un œil neuf ou du moins attentif. L'auteur lui-même souligne dans son prologue le caractère novateur de son roman : "C'est une oeuvre originale, si différente des autres, si bien tissée çà et là de beaux vers, qu'un rustre ne saurait l'apprécier". La métaphore du tissage rejoint cette de la peinture développée quelques vers plus haut : "Car, comme on imprègne de teinture rouge les vêtements pour qu'on les admire et les prise, ainsi a-t-il inséré des chansons et leur musique dans ce <i><span style="color: #cc0000;">Roman de la Rose</span></i>".<br />
Ces insertions lyriques font partie des caractères singuliers de ce roman. Généralement des chansons de toile, des chansons courtoises, des rondets de carole voire des pastourelles ou des extraits de <i><span style="color: #7f6000;">canso</span></i>, elles essaiment le texte en lui conférant un caractère plaisant. Pour autant, <b>leur rôle ne se limite pas à de l'agrémen</b>t. Elles ne cessent d'alimenter le sens du texte en le mettant même parfois discrètement à distance. Lorsqu'un envoyé de Conrad se rend au manoir de Dole pour y rencontrer le chevalier et sa sœur, Guillaume l'introduit dans la chambre des dames où sa sœur et sa mère se livrent à des travaux de tissage. Le chevalier leur demande de chanter pour égayer le visiteur et ces dernières s'exécutent : la mère entonne une chanson de toile dans laquelle une mère et une fille tissent (ce qui fait écho à la situation d'énonciation réelle) et cette dernière se voit demander d'oublier Doon, l'homme qu'elle aime. Liénor lui répond par deux autres chansons de toile où une jeune fille se plaint d'une marâtre tyrannique et loue un certain Doon. <b>Ces chansons contredisent l'atmosphère paisible qui semble régner dans la chambre des dames et jette une suspicion sur l'harmonie de la relation mère-fille</b>.<br />
<b>Certains éléments contrastent avec ce que j'avais l'habitude de lire comme romans du Moyen Âge</b>. La merveille n'est pas totalement absente du texte, contrairement à ce qu'on peut parfois lire chez certains critiques. Par exemple il est noté que c'est une fée qui réalise la robe nuptiale de Liénor sur laquelle est brodée toute l'histoire de Troie, ce qui constitue un bel exemple d'<i><span style="color: #783f04;">ekphrasis</span></i>. Guillaume est également qualifié de <i>"faez"</i> (féérique) à l'issue de sa description et Liénor est présentée à plusieurs reprises comme une fée ou une merveille. Pour autant la merveille, à l'inverse de ce qu'on trouve dans les romans arthuriens ou antiques, ne joue qu'un rôle marginal et ne constitue pas à proprement parler le ressort principal de l'intrigue. La religion également est très peu présente. C'est pourtant un point qui me plaît généralement dans les romans du Moyen Âge, cette <b>omniprésence de la religion comme thème ou même comme filtre interprétatif</b>. Lorsque la religion est évoquée dans le texte c'est toujours à titre anecdotique ou pour montrer son inutilité comme lors de la fête champêtre ("Je crois bien que l'évêque de Chartres aurait préféré participer à cette fête plutôt qu'à un synode" ou encore "Comme ils ne songent pas à leurs âmes, ils se passent de cloches, d'églises (dont ils n'ont guère besoin), de chapelains que remplacent les oiseaux"). Jean Dufournet parle de "<b>tic littéraire</b>" pour qualifier les invocations à Dieu qui parsèment discrètement le texte et dont la présence semble être indue.<br />
J'ai été intriguée par le personnage du sénéchal, qui rappelle par certains côtés de sénéchal Keu, personnage emblématique dans <i><span style="color: #cc0000;">Perceval ou le Conte du Graal</span></i> de Chrétien de Troyes par exemple. Personnage importun, grotesque et trop souvent facétieux, le sénéchal Keu remplit généralement le rôle d'un opposant ou d'un perturbateur. Ici, le sénéchal est effectivement <b>celui qui déclenche l'intrigue</b> en faisant peser le soupçon de la gageure sur Liénor accusée de s'être donnée à lui. Cependant, il n'est pas unilatéralement décrit comme malfaisant. D'emblée il est présenté comme un homme important à la Cour de Conrad et il est spécifié qu'il jouit de l'entière confiance de l'empereur. La fin du roman montre également combien il s'est acquit la bienveillance et la protection des grands de ce règne. Sa manière de lancer la rumeur et la fascination qu'il exerce sur la mère de Guillaume montre qu'il s'agit d'un homme subtil. <b>Jean Renart offre donc des personnages travaillés et ambivalents. </b>Il ne réduit pas volontairement leur caractère au parangon du rôle qu'ils sont appelés à jouer dans l'intrigue.<br />
Autre critère du "réalisme" supposé du texte, la présence de longues (et belles) descriptions détaillées. Dans l'épisode de la fête champêtre qui occupe une grande place du prologue se trouvent de nombreuses descriptions des vêtements des convives, des tentes montées pour l'occasion ou encore de l'organisation mobilisée. C'est l'occasion de développer un lexique très riche qui confine à l'érudition dans l'ancien français et qui donne une impression de foisonnement en français moderne : "Et quand approcha l'heure du lever, vous auriez pu voir les gens se parer de soie, d'étoffe de Damas, de fourrures neuves habilement travaillées - hermine et petit-gris en chevrons, ou noire zibeline à la suave odeur. Aujourd'hui on ne trouverait pas d'êtres si beaux, si bien parés". L'abondance des détails ne donne pas l'impression d'une vision irréelle et merveilleuse mais contribue au contraire, dans le cadre de l'hypotypose, à mettre <b>un tableau sous les yeux du lecteur</b>. J'ai tout spécialement apprécié un autre fait textuel confirmant qu'on a bien affaire à un texte s'attachant au "vraisemblable". Il s'agit des exposés fréquents des soubassements pratiques ou financiers d'épisodes importants. C'est le cas dans une moindre mesure avec la fête champêtre où est mentionné le travail de tous les valets et des écuyers pour rendre possible la tenue des réjouissances. Le passage qui m'a frappée le plus demeure le moment du tournoi de Saint-Trond dont les préparatifs occupent nettement plus de vers que son déroulement à proprement parler. La préparation de Guillaume est décrite même dans les détails les plus prosaïques. On apprend par exemple que ce chevalier vit au crédit des bourgeois :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Il envoya à sa sœur une ceinture et une broche, auxquelles il joignit, dans un coffret, trois cent livres de l'argent qu'il avait reçu en cadeau, afin que l'on payât les serviteurs et les bourgeois dont il était le débiteur. Sa mère en avait besoin, croyez-le bien, de plus d'une manière, pour faire ensemencer ses champs de lin, car l'entretien d'une vaste maison coûte cher : impossible de s'en rendre compte si l'on n'en a pas soi-même la charge.</blockquote>
Le fait est également patent lorsque<b> Guillaume achète son matériel à crédit</b> : "La troisième lettre, une fois terminée, fut sur-le-champ envoyée à un bourgeois de Liège qui aimait assez Guillaume pour avoir l'habitude de lui prêter à crédit, et qu'il pria de faire peindre à ses armes cent-vingt lances ainsi que trois boucliers aux poignées de soi et de brocart, insistant pour que chaque lance comportât une enseigne. Le bourgeois exécuta ses ordres comme il l'avait commandé, et même beaucoup mieux". Ces détails financiers et trop directement liés aux contingences matérielles m'ont fortement surprise dans un texte médiéval. C'est la première fois que je trouve quelque chose de semblable. Le texte s'attarde beaucoup à décrire les dons et les contre-dons, comme pour entériner que la seule richesse qui vaille est celle qui s'épanche en mouvements de générosité. La présence de personnages historiques est assez discrète, Guillaume lors du tournoi joute par exemple contre Michel, le chevalier de Harnes qui a réellement existé et qui était réputé pour sa bravoure. Mais <i><span style="color: #cc0000;">Le Roman de la Rose ou le Guillaume de Dole</span></i> ne se borne pas à cumuler les "effets de réel". Au contraire, de nombreux faits démontrent sans ambages que le roman assume sa qualité de texte littéraire. Les nombreuses allusions ou références littéraires sont souvent décalées ou parodiques quand elle ne sont pas topiques ou purement ornementales. Symptomatiquement, Jean Renart entre même parfois en dialogue avec sa propre littérature puisqu'un passage du texte fait référence au <i><span style="color: #cc0000;">Lai de L'Ombre</span></i>. Mais le texte est plus étonnant dans son exhibition ou sa mise à distance de ficelles rhétoriques attendues. C'est le cas lors de l'<i><span style="color: #7f6000;">enamoratio</span> </i>de Conrad pour Liénor qui survient en écoutant un portrait de description littéraire de Jouglet. Lorsque Guillaume est décrit à l'empereur sous la forme d'un portrait de chevalier extrêmement stéréotypé, Conrad répond : "C'est dans les romans que l'on trouve de tels chevaliers!" De même, conformément au cadre de l'amour de loin des troubadours et notamment illustré dans la <i><span style="color: #cc0000;">Vida (Vita)</span></i> de Jaufré Rudel, Conrad ne tombe pas amoureux de Liénor en la voyant mais par l'effet de son nom : "L'étincelle de ce beau nom a touché l'empereur, tout près du cœur". On remarque que, par un effet de distance peut-être ironique ou critique, l'étincelle ne touche pas directement le cœur mais tout près du cœur, la différence de statut social empêchant normalement de prévoir un mariage. Cette distanciation qui met en avant le caractère littéraire du texte survient également avec acuité dans l'épisode du tournoi où le cheval de Guillaume est décrit comme suit : "Au tournoi, aucun palefroi n'égalait le sien : il était de toutes parts plus blanc que la neige fraîchement tombée, tandis que le tapis de selle, ajouré et pendant jusqu'au sol, était en soie vermeille. On ne pourrait rien trouver de plus beau, car le blanc tranchait sur le rouge". Cette description de cheval est inattendue car dans l'usage, le blanc et le rouge sont les couleurs emblématiques de la belle dame dont le teint doit être clair rehaussé de rouge. On peut citer à cet égard l'épisode des trois gouttes de sang sur la neige dans <i><span style="color: #cc0000;">Perceval ou le Conte du Graal</span></i> qui évoquent à Perceval l'image de sa dame.<br />
<b>Ce type d'exemple est emblématique de ce qu'on a pu appeler la "<i><span style="color: #7f6000;">renardie</span></i>" de l'auteur</b>. D'aucuns ont enquêté sur l'identité de "Jean Renart" étant donné que ce nom se donne à lire comme un pseudonyme que l'on peut découvrir dans les trois derniers vers du roman : "Maintenant c'est au repos qu'aspire celui-là qui perdit son nom le jour où il enTRA EN Religion". (TRAENR = RENART). L'hypothèse généralement retenue est celle de Rita Lejeune qui considère que Jean Renart est le pseudonyme d'Hugues II de Pierrepont, le prince-évêque de la région de Liège. Mais <b>ce jeu de masque n'est qu'un exemple des nombreux artifices rusés qui prennent place dans le texte</b> comme le souligne Jean Dufournet :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Jean Renart est un surnom de ménestrel comme l'auteur nous le dit lui-même. Bien plus, ce surnom est un oxymore, l'alliance de deux mots contradictoires, puisque Jehan et ses dérivés désignaient le naïf, le niais, le cocu, ou celui qui joue au niais, et que Renart est le rusé par excellence, et la ruse occupe une place importante dans le roman, tant chez les personnages que dans l'écriture même.</blockquote>
<b>La ruse en effet est présente dans le fil de l'intrigue puisqu'elle en est le moteur</b> : c'est par une ruse du sénéchal que l'intrigue débute et par une ruse de Liénor qu'elle se dénoue. La ruse intervient aussi, comme on l'a vu, dans l'interpolation problématique ou signifiante de certaines insertions lyriques. Les interventions du narrateur, pas excessivement fréquentes mais toujours chargées d'un sens et jamais gratuites. Ruse également de l'auteur lui-même dans une syntaxe souvent malicieuse et tortueuse en ancien français. L'utilisations fréquentes de doubles négations pour induire un sens positif en ancien français est un exemple de ces tournures pas toujours évidentes à traduire ou à comprendre quand on se plonge dans le texte en langue originale.<br />
<i><span style="color: #cc0000;">Le Roman de la Rose ou de Guillaume de Dole</span></i>, roman en vers de la fin du XIIIe siècle n'est donc ni une épopée chevaleresque, ni un roman courtois traditionnel, ni même une quête du divin. <b>C'est un contrepoint intéressant qui permet de découvrir un pan peu connu de la littérature médiévale</b> : les romans dits "réalistes". La mise à l'honneur de la "<i><span style="color: #783f04;">renardie</span></i>" ainsi que le jeu intertextuel avec les références littéraires et les insertions lyriques offrent <b>une expérience de lecture riche et plaisante</b>. Le narrateur dans son prologue se proposait de "conter d'armes et d'amour", en réalité il invite l'auditeur lecteur à questionner les canons du genre et les stéréotypes associés aux romans chevaleresques et courtois. Ce texte apparaît donc, dans une certaine mesure, <b>comme une réflexion sur la littérature voire un éloge de cette dernière. </b>C'est en somme, <b>une célébration du texte par le text</b>e.<br />
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<u>Du même auteur :</u>
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<li><i>L'Escoufle</i></li>
<li><i>Le Lai de L'Ombre</i></li>
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<li><i>Le Roman de la Rose</i> de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun</li>
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Unknownnoreply@blogger.com0France46.227638 2.213749000000007134.9113385 -18.528438499999993 57.5439375 22.955936500000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-47469412537841235032016-03-15T10:14:00.001+01:002016-03-16T21:47:01.297+01:00Cyrano de Bergerac : un précurseur de la science-fiction?<div style="text-align: center;">
<span style="color: #cc0000; font-size: large;">Penser l'ailleurs pour tenter de vivre aujourd'hui</span></div>
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<span style="color: #990000; font-size: x-small;">Voyage dans les<i> Etats et Empires de la Lune et du Soleil</i></span></div>
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<span style="font-size: x-small;"><i><br /></i></span></div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfOYzWKTbh1PevQIkS3kGizNd_WFHM2ADMPgLAekzq1ShYH-rWhYH9SBhpVmw9ows1-4zHQwRUiyNIUet8kehvH6tQfnTIz8qCKtVh3xdOCsFI5cHTgOZSlLMnj-W0_KF3vWBke4wjuJU5/s1600/cyrano-etats1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfOYzWKTbh1PevQIkS3kGizNd_WFHM2ADMPgLAekzq1ShYH-rWhYH9SBhpVmw9ows1-4zHQwRUiyNIUet8kehvH6tQfnTIz8qCKtVh3xdOCsFI5cHTgOZSlLMnj-W0_KF3vWBke4wjuJU5/s320/cyrano-etats1.jpg" width="241" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<span style="color: #cc0000; font-size: x-small;">Le narrateur s'envolant vers la lune avec une ceinture de fioles de rosée.</span></div>
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<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>En intitulant son ouvrage les <i>États et Empires de la Lune et du Soleil</i>, Cyrano de Bergerac met en place une référence parodique à l’œuvre de l'érudit géographe Pierre Davity dont les volumes de ses <i>États, Empires, Royaumes et Principautés du Monde</i> étaient très diffusés au XVIIe siècle. Si Pierre Davity ambitionne de compiler et de gloser un savoir sur des territoires réels du monde terrestre, Cyrano de Bergerac donne au voyage une autre mesure en proposant d'étudier les contrées de la lune et celles du soleil. Le thème de l'exploration de l'espace suscite immédiatement tout un imaginaire lié à la littérature de science-fiction même si le terme comme le genre sont anachroniques pour l'époque. Au regard de la place accordée dans le texte à la spéculation scientifique – bien qu'elle soit généralement fantaisiste – ainsi qu'au voyage spatial ou encore à l'invention et à la mise en scène de sociétés construites faisant appel à un référent autre que l'imaginaire terrien, il semblerait que les <i>États et Empires</i> constituent un texte précurseur de la science-fiction.</div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span><b>Pour autant, motif du voyage spatial dans le texte ne porte pas nécessairement les germes du <i>Space Opera</i> mais constitue bien davantage un procédé permettant la libération de toute parole pour induire la multiplication des confrontations à l'altérité et l'expression systématique de différents points de vue</b>. Cette construction d'une réalité kaléidoscopique sert finalement une réflexion sur les marges et leur rapport au collectif ainsi qu'à la norme. Interrogeons donc dans cet article le thème du voyage dans l'espace pour tenter d'appréhender son rôle dans l’œuvre. Son importance cruciale explique l'établissement de plusieurs dispositifs spatiaux dans le texte qui revêtent des valeurs différentes. On sera alors en mesure de percevoir un rapport problématique à l'altérité sous la forme d'un idéal paradoxal sensible en filigranes dans le texte.</div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg4CGcd6O4OItvFVtgTrztdGO15B8ZkQD8zVx6ETFfYoWF8mPrHHw1-6_nHh6p6EkyZ47HtEYV7SBvOLCgk3B0mTHIbh4QNX-ILqMdl7_1fIsgd_l3ZuoyJQKrctmmX3v5MJpeXHykpiDCk/s1600/cyrano-etats2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg4CGcd6O4OItvFVtgTrztdGO15B8ZkQD8zVx6ETFfYoWF8mPrHHw1-6_nHh6p6EkyZ47HtEYV7SBvOLCgk3B0mTHIbh4QNX-ILqMdl7_1fIsgd_l3ZuoyJQKrctmmX3v5MJpeXHykpiDCk/s320/cyrano-etats2.jpg" width="186" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<span style="color: #cc0000; font-size: x-small;">Cyrano de Bergerac</span></div>
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<a name='more'></a><span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Le voyage dans l'espace suppose généralement un équipage technique qui devient le lieu privilégié de la référence scientifique. Cependant dans les<i> États et Empires</i>, la technologie permettant l'exploration de l'espace est traitée avec une distance humoristique manifeste : la science n'est qu'une outil d'apparat qui sert de vernis à l'imagination, sans volonté d'anticipation ou de rigueur scientifique. Ainsi, lors de sa première tentative pour atteindre la lune, le narrateur utilise un procédé fantaisiste : « je m'étais attaché tout autour de moi quantité de fioles pleines de rosée <span style="color: #cc0000;">(1)</span>». Ces gouttes de rosée sont censées s'évaporer à la chaleur du soleil, mais retombant par erreur au Canada, le narrateur se voit poser la question suivante : « Pourquoi avez-vous divisé votre eau-de-vie en tant de bouteilles ? <span style="color: #cc0000;">(2)</span>» Le moyen de transport spatial est donc ouvertement ramené à un accessoire support du comique. Madeleine Alcover, en introduction à son édition critique du texte, écrit que « la science n'est jamais qu'un récit dont les degrés de fiction sont variables<span style="color: #cc0000;"> (3)</span>». En effet, chez Cyrano de Bergerac la part hypothétique de la science est exacerbée pour finalement ne figurer qu'un point de départ à l'imagination. Les premières réticences aux spéculations de l'esprit se voient accueillir dès le début du texte par un « et pourquoi non ?<span style="color: #cc0000;"> (4)</span>» qui rappelle de façon frappante le « <i>What if ?</i> <span style="color: #cc0000;">(5)</span>» à la base de l'étonnement transformé en narration qui peut être perçu comme un critère définitoire de la science-fiction. Le thème du voyage spatial – bien loin d'être le support d'une volonté d'anticipation – marque au contraire une distance ironique et exacerbe le caractère artificiel de l'entreprise. Le voyage spatial apparaît alors comme un outil narratif servant un but.<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Le voyage vers l'ailleurs n'est cependant pas prétexte, comme on pourrait s'y attendre, à une critique simple du monde réel et à une construction utopique figée. Cyrano de Bergerac met en place dans son texte une esthétique étrange que l'on pourrait qualifier d'esthétique du « pot-pourri » selon un passage du texte qui semble définir cette forme : « c'est un pot-pourri de toutes choses à quoi nous avons pensé <span style="color: #cc0000;">(6)</span>». Le lecteur peut appréhender dans les <i>États et Empires</i> une grande diversité de dispositifs spatiaux, d'organisations sociales et de configurations mentales. Dans les <i>États et Empires du Soleil</i>, le personnage de Campanella, philosophe explorateur du soleil dit : « j'ai employé mon temps à visiter les climats de ce grand globe, pour en découvrir les merveilles : il est divisé en royaumes, républiques, états et principautés, comme la terre <span style="color: #cc0000;">(7)</span>». Il n'y a donc pas de dispositif spatial unique, ni de construction d'une altérité uniforme d'où une impossibilité fondamentale à extraire de cette multiplicité un message clair qui viendrait s'apposer au réel pour le critiquer ou le valoriser.<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Et de fait, le voyage spatial n'a pas pour but d'illustrer un message, de fournir une vérité. Au contraire, il permet de neutraliser tout discours dogmatique pour œuvrer à la libération de la parole et de l'imagination. Ainsi, les discussions dérisoires et les développements philosophiques et scientifiques coexistent sans hiérarchisation. Les lieux neufs de la lune et du soleil offrent un terrain d'expression à toutes les paroles, qu'elles soient stéréotypées, badines, fantaisistes ou qu'elles fassent autorité alors que les lieux terrestres ne sont propices qu'à une parole corsetée, régie par des règles de convenance et de qualité. Lors de son voyage sur la lune, le narrateur rencontre un Espagnol qui lui explique « que ce qui l'avait véritablement obligé de courir toute la terre, et enfin de l'abandonner pour la lune, était qu'il n'avait pu trouver un seul pays où l'imagination même fût en liberté <span style="color: #cc0000;">(8)</span>». Le premier volet des <i>États et Empires</i> concernant la lune contient de fait un très grand nombre de développements parfois contradictoires sur des sujets divers et pas uniquement sur le ton de l'entretien philosophique et scientifique. Les développements de l'Espagnol par exemple contiennent quelque chose d'ostentatoire dans la démonstration et ils occupent une place importante qui contraint la lecture discursive à s'adapter à ce nouveau rythme du texte. Cette parole est libre de s'épancher sur la lune alors qu'elle aurait été naturellement reléguée dans les marges sur terre. De même concernant les paroles ouvertement connotées sexuellement du narrateur : « j'ai remarqué que comme ce serpent essaie toujours à s'échapper du corps de l'homme, on lui voit la tête et le cou sortir au bas de nos ventres. Mais aussi Dieu n'a pas permis que l'homme seul en fût tourmenté ; il a voulu qu'il se bandât contre la femme pour lui jeter son venin […]. <span style="color: #cc0000;">(9)</span>» Le voyage spatial permet donc de se libérer d'un cadre réel trop rigide pour faire entendre toutes les voix sans impératif particulier.<br />
<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh6auw-HMPOHChyMCG8kyJHxe9IQgeXYOUP3jVhAJeOdJ1UxFSxs1Dx0-1Gx1wGBnaDrxOoJVIIo1mdhwn3b3SMw_cvwvBTLTQJBY7YqUO1F7ZrfjjqTP2YSDTItZWFIvl1McFxE2juMnoH/s1600/cyrano-etats4.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh6auw-HMPOHChyMCG8kyJHxe9IQgeXYOUP3jVhAJeOdJ1UxFSxs1Dx0-1Gx1wGBnaDrxOoJVIIo1mdhwn3b3SMw_cvwvBTLTQJBY7YqUO1F7ZrfjjqTP2YSDTItZWFIvl1McFxE2juMnoH/s320/cyrano-etats4.jpg" width="197" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<span style="color: #cc0000; font-size: x-small;">Envolée vers le Soleil.</span></div>
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>À la multiplicité des paroles proférées se joint la multiplicité des dispositifs spatiaux sur la lune et sur le soleil. Chaque lieu offre un rapport différent au temps, à l'altérité ou même à soi en tant que corps et propose donc une réflexion neuve. On peut distinguer par exemple le <i>locus amoenus</i> décrit au début du voyage à la lune qui s'apparente explicitement à l'Éden de la Genèse. Ce lieu est nettement caractérisé par l'assemblage pratiquement exhaustif de tous les traits définitoires liés au <i>topos </i>du <i>locus amoenus</i> : des fleurs sauvages formant un parterre harmonieux, un ruisseau aux rivages caillouteux et la mention de la nymphe Écho, les chants d'oiseaux et notamment de rossignol, la présence d'une fontaine, une prairie avec un souffle de vent ou encore la proximité d'une forêt qui soustrait le lieu aux regards. La répétition de l'adverbe « là » scande le passage en figurant une réelle pulsion descriptive du narrateur (huit occurrences en l'espace de six lignes de texte <span style="color: #cc0000;">(10) </span>). Mais cette insistance sur l'aspect stéréotypé de la description ainsi que certains détails clairement hyperboliques : « mille petites voix emplumées font retentir la forêt du bruit de leurs chansons, et la trémoussante assemblée de ces gosiers mélodieux est si générale qu'il semble que chaque feuille dans le bois ait pris la langue et la figure d'un rossignol <span style="color: #cc0000;">(11)</span>» transforme ce lieu en non-lieu qui ne serait qu'une vue de l'esprit. D'ailleurs, le narrateur à l'issue de cette description finit par ressentir une angoisse spatiale : « on prendrait cette prairie pour un océan, mais parce que c'est une mer qui n'offre point de rivage, mon œil, épouvanté d'avoir couru si loin sans découvrir le bord, y envoyait vitement ma pensée<span style="color: #cc0000;"> (12)</span>».<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>L'espace et le monde se construisent aussi en fonction du regard apposé sur eux. Dans les <i>États et Empires de la Lune</i>, un docteur demande au narrateur : « est-il si malaisé à croire qu'un poux prenne [votre] corps pour un monde ? <span style="color: #cc0000;">(13)</span>» De même tous les dispositifs spatiaux ne sont pas sur le même plan de réalité. Dans les<i> États et Empires du Soleil</i>, le passage dédié à la description du lieu du Lac du Sommeil est clairement une allégorie : cinq fontaines représentent les cinq sens et trois fleuves figurent Mémoire, Imagination et Jugement. Le lieu spatial se fait réceptacle d'une projection mentale. Les métaphores sont aussi réifiées : il est question de « crever d'esprit <span style="color: #cc0000;">(14)</span>» et de verser des « océans de pleurs<span style="color: #cc0000;"> (15)</span>» dans les contrées du soleil.<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Mais à l'inverse il arrive que le lieu influence le corps de l'homme. L'un des lieux les plus énigmatiques dans les <i>États et Empires</i> est peut-être la surface lumineuse du soleil qui rend les corps totalement diaphanes. L'être perd toute opacité liée à la terre pour se fondre dans l'air et n'être que l'essence pure de lui-même. La métaphore du corps qui s'incarne sur la terre et se désincarne en s'élevant vers le soleil se trouve ici réifiée. On peut trouver un rapport manifeste à un idéal de transparence, de pureté : « le soleil, […] purge parfaitement les corps de leur opacité <span style="color: #cc0000;">(16)</span>». Cependant il faut noter une nuance, les philosophes sont les âmes les plus nobles du soleil, elles ne se confondent pas en sa matière mais gardent leur solidité. Campanella explique que « les âmes des philosophes ne se joignent pas essentiellement à la masse du soleil comme celle des autres hommes » parce qu' « [elles] sont tellement à l'égard des autres âmes, ce que l'or, les diamants et les astres sont à l'égard des autres corps, qu’Épicure dans le soleil est le même Épicure qui vivait jadis sur terre. <span style="color: #cc0000;">(17)</span> » Et pourtant, lorsque le narrateur demande si la contrée des philosophes est une zone de lumière ou de ténèbres il se voit offrir la réponse suivante : « elle est plus ténébreuse que brillante […], car comme nous sympathisons encore beaucoup avec la terre notre pays natal, qui est opaque de sa nature, nous n'avons pas pu nous accommoder dans les régions de ce globe les plus éclairées. <span style="color: #cc0000;">(18)</span>» Il y a donc un paradoxe car la pureté totale de l'âme des philosophes devrait s'exprimer par le fait qu'elles puissent se fondre totalement dans l'essence du soleil, or elle s'exprime par leur aspect solide et leur attachement à la terre qui se traduit par l'opacité.<br />
<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Le paradoxe structurel des<i> États et Empires</i> réside cependant dans le rapport à soi et à l'altérité avec le développement d'un idéal qui prend la forme d'un <i>adynaton</i> : parvenir à l'unicité et à l'individualité à partir du fragmentaire et du collectif. Le texte opère une critique systématique de toute forme d'enfermement qu'elle soit réelle ou métaphorique. L'enfermement métaphorique dans une identité subie amène d'ailleurs toujours le personnage victime à l'enfermement réel. C'est le cas lors des deux procès en miroir dans les <i>États et Empires de la Lune </i>où le narrateur est jugé oiseau et enfermé en cage par des hommes et dans les <i>États et Empires du Soleil </i>où le narrateur est jugé homme et enfermé par des oiseaux. Le procédé se retrouve sur la lune avec le narrateur réduit à la fausse identité de femelle de l'animal de la reine et enfermé en cage avec l'Espagnol, lui-même cantonné à l'identité de singe à cause de ses vêtements : « elle l'avait pris pour un singe, à cause qu'ils habillent, par hasard, en ce pays-là, les singes à l'espagnole <span style="color: #cc0000;">(19)</span>». De plus l'enterrement dans un cercueil est présenté comme un châtiment pour les habitants de la lune ce qui contribue à condamner l'enfermement : « la seule imagination d'avoir, quoique mort, le visage embarrassé d'un drap et sur la bouche une pique de terre, me donne de la peine à respirer <span style="color: #cc0000;">(20)</span>».<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Parallèlement, on note que les êtres qui dépassent les frontières et ménagent des passages entre les mondes et entre les gens sont systématiquement valorisés. Il y a de nombreuses figures de passeurs : le démon de Socrate pour le voyage dans la lune qui trouve en Campanella son double pour la visite du soleil pour les plus remarquables. Mais il y a également dans une moindre mesure le perroquet César ou encore les chênes de Dodone. L'histoire des Arbres Amants racontée par les chênes de Dodone dans les contrées du soleil pointe du doigt une ambiguïté car leurs fruits en produisant aveuglément l'amour brise les frontières entre les êtres mais également entre les règnes humains, animaux et végétaux orchestrant ainsi des transgression comme la zoophilie dans l'histoire du taureau et de Pasiphaé. Mais de façon générale la qualité de passeur est mise en avant dans le texte, Campanella qui apparaît durant le voyage au soleil a déjà été mentionné au premier voyage vers la lune comme étant un homme ayant la capacité de transmettre ses pensées par ses grimaces <span style="color: #cc0000;">(21)</span> : son intériorité se reflète dans sa physionomie. Les passeurs parlent également plusieurs langues comme le démon de Socrate pour permettre une communication universelle.<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Le texte développe d'ailleurs à plusieurs reprise le fantasme d'une langue originelle compréhensible par tous, c'est un<i> leitmotiv</i> qui affleure très souvent dans les deux voyages. On trouve une des nombreuses descriptions de cette langue par exemple quand le narrateur tombe sur le soleil et rencontre un homme : « il me discourût pendant trois grosses heures en une langue que je sais bien n'avoir jamais ouïe, et qui n'a aucun rapport avec pas une de ce monde-ci, laquelle toutefois je compris plus vite et plus intelligiblement que celle de ma nourrice <span style="color: #cc0000;">(22)</span>». Cela sert un idéal plus profond, celui de fondre l'individu dans le collectif et de rendre l'unique pluriel. La référence omniprésente à l'alchimie dans le texte sert également cette idée. L'image du jumeau, du besson, apparaît dans le voyage au soleil dans la fable des Arbres Amants où émerge aussi l'image de l'hermaphrodite, présente par ailleurs avec la mention du phénix <span style="color: #cc0000;">(23)</span>. Pour autant, les espaces d'expression les plus frappants de cet idéal demeurent les absorptions et les métamorphoses. On trouve à la fin des<i> États et Empires de la Lune </i>un éloge du cannibalisme pratiqué dans ces contrées. Au début du voyage au soleil, le narrateur rencontre également des fruits-hommes qui se fondent en un seul être géant : « à force de s'approcher et de redoubler la vitesse de leurs mouvements, ils se mêlèrent de si près, que je ne discernai plus qu'un grand colosse à jour, et quasi transparent ; mes yeux toutefois les virent entrer l'un dans l'autre. <span style="color: #cc0000;">(24)</span>» Ces motifs sont omniprésents et par cette aspiration à l'unité collective, l'auteur nous offre une critique de l'idée de norme et de marge. La multiplication des points de vue, des marges, des dispositifs spatiaux empêchent un regard univoque et la construction d'une critique directe et simple du réel.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi_DCwXpc31zmW73gkDHMfvi_zKNgA-Cm1mLfTNvOefOwzm8Y9pcYnpts6tS4sC7UroSneAlWN59UqOn6Kpks8HziMaxxU1QoMoi7lhIUxGZegGDgr7Z6mxi-R8iL8wTKllRvd6Lqmm9wEZ/s1600/cyrano-etats5.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi_DCwXpc31zmW73gkDHMfvi_zKNgA-Cm1mLfTNvOefOwzm8Y9pcYnpts6tS4sC7UroSneAlWN59UqOn6Kpks8HziMaxxU1QoMoi7lhIUxGZegGDgr7Z6mxi-R8iL8wTKllRvd6Lqmm9wEZ/s320/cyrano-etats5.jpg" width="247" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<span style="color: #cc0000; font-size: x-small;">Les "Arbres Amants" et autres péripéties sur le Soleil.</span></div>
<br />
<span class="Apple-tab-span" style="white-space: pre;"> </span>Mais c'est dans l'inachèvement que se clôt le texte. Œuvre à la fois admise dans l'histoire littéraire et marginale par sa forme de « pot-pourri » et son contenu que d'aucuns ont qualifié d' « orgie intellectuelle <span style="color: #cc0000;">(25)</span>», les <i>États et Empires de la Lune et du Soleil</i> proposent déjà un rapport à l'espace bien plus complexe et problématique que dans les voyages extraordinaires de Jules Verne ou le <i>Space Opera</i> des <i>Pulps</i> américains. Cette effervescence du propos illustre aussi l'impossibilité qu'il y aurait à vouloir conclure ce qui pour Jean Rousset constitue le paradoxe de la littérature dite baroque<span style="color: #cc0000;"> (26)</span>. Cependant, la critique des rapports d'exclusion entre norme et marge invite à considérer le fait que l'auteur parle depuis la marge en tant qu'homosexuel et c'est un des propos de Cyrano de Bergerac que de présenter une marge qui refuse de se définir comme telle. <b>La pluralité infinie des mondes fait alors de toute norme la marge d'un monde et de toute marge la norme d'un autre.</b> Et comme l’Éden de chacun est l'enfer des autres, il revient à tout voyageur de trouver sa vraie place pour faire de sa marge un monde. Où est celle du héros-narrateur ? Peut-être dans le non-lieu du songe<span style="color: #cc0000;"> (27)</span> qu'il réalise au Lac du Sommeil, l'inachèvement du texte n'ayant cependant pas permis son récit, il revient au lecteur d'imaginer... cet autre monde.<br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfJc3bnRj1HIEJOD_8FaHUnHgSQV4xu_ovsHZ8v1A3ynw8PH4dNDIDzMqOMp2bxdVzglePdrjtrLkUJ3Htw3S2V7EaDNF5oD6FPMx7GNP2WNG6PdiyMsQwe-TTnO0TAoyfuvXWoEhcfXgc/s1600/cyrano-etats3.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhfJc3bnRj1HIEJOD_8FaHUnHgSQV4xu_ovsHZ8v1A3ynw8PH4dNDIDzMqOMp2bxdVzglePdrjtrLkUJ3Htw3S2V7EaDNF5oD6FPMx7GNP2WNG6PdiyMsQwe-TTnO0TAoyfuvXWoEhcfXgc/s320/cyrano-etats3.jpg" width="204" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<span style="color: #cc0000; font-size: x-small;">Edition critique de Madeleine Alcover chez Honoré Champion.</span></div>
<u><span style="font-size: large;"><br /></span></u>
<u><span style="font-size: large;">Notes :</span></u><br />
<br />
<span style="color: #cc0000;">(1)</span> CYRANO DE BERGERAC, Savinien,<i> États et Empires de la Lune et du Soleil</i>, éd. critique de Madeleine Alcover, Champion, coll. « Champion classiques », Paris, 2004, p. 9/10.<br />
<span style="color: #cc0000;">(2) </span><i>Ibid.</i>, p. 12.<br />
<span style="color: #cc0000;">(3)</span> <i>Ibid.</i>, p. CLXXXV.<br />
<span style="color: #cc0000;">(4) </span><i>Ibid.,</i> p. 9.<br />
<span style="color: #cc0000;">(5)</span> <i>The Cambridge Companion to Science Fiction</i>, Cambridge University Press, 2003, p. 5 : « <i>Altough the driver of many an sf novel depends on a specific scientific problem, the structure and forms of the genre/mode are much more embedded in this contextual issue because while that first ''what ifs'' and the initial tought experiment that create what Darko Suvin has called cognitive estrangement</i> ».<br />
<span style="color: #cc0000;">(6)</span> CYRANO DE BERGERAC, Savinien, <i>op. cit.</i>, p. 176.<br />
<span style="color: #cc0000;">(7)</span><i> Ibid.</i>, p. 310.<br />
<span style="color: #cc0000;">(8)</span><i> Ibid.</i>, p. 76.<br />
<span style="color: #cc0000;">(9)</span><i> Ibid.</i>, p. 44.<br />
<span style="color: #cc0000;">(10)</span><i> Ibid</i>., p. 32.<br />
<span style="color: #cc0000;">(11)</span> <i>Idem.</i><br />
<span style="color: #cc0000;">(12)</span><i> Ibid.</i>, p. 33.<br />
<span style="color: #cc0000;">(13)</span><i> Ibid.,</i> p. 117.<br />
<span style="color: #cc0000;">(14)</span><i> Ibid.</i>, p. 329.<br />
<span style="color: #cc0000;">(15)</span><i><span style="color: #cc0000;"> </span>Ibid.,</i> p. 339.<br />
<span style="color: #cc0000;">(16)</span> <i>Ibid.</i>, p. 228.<br />
<span style="color: #cc0000;">(17)</span> <i>Ibid.,</i> p. 312.<br />
<span style="color: #cc0000;">(18)</span> <i>Ibid.,</i> p. 330.<br />
<span style="color: #cc0000;">(19)</span><i> Ibid.,</i> p. 76.<br />
<span style="color: #cc0000;">(20)</span> <i>Ibid.,</i> p. 138.<br />
<span style="color: #cc0000;">(21)</span><i><span style="color: #cc0000;"> </span>Ibid.,</i> p. 57.<br />
<span style="color: #cc0000;">(22)</span> <i>Ibid.</i>, p. 217.<br />
<span style="color: #cc0000;">(23)</span> <i>Ibid.,</i> p. 253.<br />
<span style="color: #cc0000;">(24)</span><i> Ibid.</i>, p. 240.<br />
<span style="color: #cc0000;">(25)</span><i> Ibid.,</i> p. CLXXXV : Madeleine Alcover à propos des « dîner[s] avec les philosophes de la Lune et les ballades avec Campanella. »<br />
<span style="color: #cc0000;">(26) </span>ROUSSET, Jean,<i> La Littérature de l'âge baroque en France, Circé et le paon,</i> José Corti, Paris, 1953, pp. 230 – 233.<br />
<span style="color: #cc0000;">(27)</span> CYRANO DE BERGERAC, Savinien,<i> op. cit.,</i> p. 320 : « ''Dormez donc, dormez ! Je vous laisse ; aussi bien les songes qu'on fait ici sont tellement parfaits, que vous serez quelque jour bien aise de vous ressouvenir de celui que vous allez faire. Je me divertirai cependant à visiter les raretés du lieu, et puis je vous viendrai rejoindre.''<br />
Je crois qu'il ne discourut pas davantage, ou bien la vapeur du sommeil m'avait déjà mis hors d'état de l'écouter. J'étais au milieu d'un songe le plus savant et le mieux conçu du monde, quand mon philosophe me vint éveiller. Je vous en ferai le récit lorsque cela n’interrompra point le fil de mon discours ».</div>
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Unknownnoreply@blogger.com0France46.227638 2.213749000000007134.9722085 -18.440547999999993 57.4830675 22.868046000000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-4669966718864584532016-02-26T14:31:00.000+01:002016-07-25T21:06:42.739+02:00Vers le Phare de Virginia Woolf<span style="font-size: large;">Critique de <i>Vers le Phare</i> de Virginia Woolf</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhIu7pAMme2ikQ1DGEaXRT36aR7ZDY_6h1dapBftM6vBWepLXU6qwFWCOLB4LCcc-M6fAELoBwp-qhfEd42aNlg36_Cz3V4xS-f59BYHomedHZGsSn6AtvYD_vpwbSsB7EThKfvGoZdxj1r/s1600/verslephare_woolf.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhIu7pAMme2ikQ1DGEaXRT36aR7ZDY_6h1dapBftM6vBWepLXU6qwFWCOLB4LCcc-M6fAELoBwp-qhfEd42aNlg36_Cz3V4xS-f59BYHomedHZGsSn6AtvYD_vpwbSsB7EThKfvGoZdxj1r/s320/verslephare_woolf.jpg" width="190" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture : Une soirée d'été sur une île au large de l'Écosse. Pôle de convergence des regards et des pensées, Mrs Ramsay exerce sur famille et amis un pouvoir de séduction quasi irrésistible. Un enfant rêve d'aller au Phare. L'expédition aura lieu un beau matin d'été, dix ans plus tard. Entretemps, mort et violence envahissent l'espace du récit. Au bouleversement de la famille Ramsay répond le chaos de la Première Guerre mondiale. La paix revenue, il ne reste plus aux survivants désemparés, désunis, qu'à reconstruire sur les ruines.
Des bonheurs et des déchirements de son enfance, Virginia Woolf a fait la trame d'une œuvre poétique, lumineuse et poignante qui dit encore le long tourment de l'écriture et la brièveté de ses joies : visions fragiles, illuminations fugaces, «allumettes craquées à l'improviste dans le noir».</i><br />
La famille Ramsay - un couple et leurs huit enfants - se construit autour de deux piliers : la mère et le père. Deux figures complexes traversées de questionnements et d'impressions profondes. Chaque personnage travaille intérieurement pour créer un quotidien routinier qui se développe sans heurts. Ainsi transparaît de la maisonnée une impression de paix mais sous la surface des foyers de tension rougeoient de temps à autre. Des personnages légèrement excentrés du noyau familial et pourtant constamment présent éclairent le tableau de leur regard et ajoutent au récit leurs propres enjeux personnels. Tout ce mouvement converge vers un horizon : le phare. Ce chemin que l'on souhaite parcourir ensemble est peut-être une métaphore de la vie. Y a-t-il une recette au bonheur? La joie peut-elle durer dans le temps? Faut-il sacrifier son individualité pour créer une harmonie familiale?</div>
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<a name='more'></a><u><br /></u>
<u>Mon avis :</u><br />
Les thèmes de la famille et du mariage sont lancinants tant dans l'oeuvre de Virginia Woolf que dans sa vie. C'est également structurel dans sa pensée d'essayiste puisque dans<i> Une chambre soi</i>, Woolf fait le constat que bien souvent la femme doit sacrifier ses ambitions littéraires et artistiques pour gérer sa famille au sein de laquelle elle cesse finalement d'exister en tant qu'individu. Cette question est fondamentale dans <i>Vers le Phare</i>. Le destin de chaque personnage (y compris les hommes) peut être lu comme une forme de réponse à cette problématique, comme si l'ouvrage orchestrait plusieurs variations sur ce thème.<br />
J'ai été saisie par la subtilité de la réflexion autant que par la sensibilité du tableau. Woolf semble perpétuellement toucher à l'essence des choses et tenter de s'y fixer. L'ampleur poétique de sa phrase permet de rendre compte du souffle de chaque personnage dans sa singularité et dans sa profondeur. <b>L'écriture n'est jamais superficielle, elle semble toujours chercher à traduire au plus près la richesse d'un regard personnel</b>. Les éléments qui illustrent ce fait sont ténus : une réflexion sur un mot ou encore le développement d'une métaphore inattendue. C'est le cas pour le printemps décrit comme suit : "Le printemps, sans une feuille au vent, net et clair comme une vierge à la chasteté farouche, à la pureté hautaine, s'étendit sur les champs l’œil grand ouvert". Le roman se développe en trois temps : La Fenêtre, Le temps passe et Le Phare. Ce sont trois moments dans la vie de la famille. De prime abord, rien ne s'y joue réellement, les grands bouleversements familiaux (les décès ou les mariages) ou historiques (la guerre) ne sont jamais traité directement et ne font pas l'objet de développement autonomes. Le point focal du texte se situe dans l'articulation du quotidien avec conflits intérieurs ou les questionnements des personnages. <b>L'ensemble de cette structure se cristallise autour de Mrs. Ramsay</b> : elle est la figure tutélaire du roman. Mère de huit enfants, épouse d'un universitaire elle semble évoluer sur le chemin de vie qu'elle s'était tracée. Heureuse ou triste? Elle est l'énigme, le mystère au cœur du texte. Parfois, au bras de son mari, sa félicité tranquille semble être le symbole de l'épanouissement féminin : "Et soudain cette signification dont se chargent les gens, on ne sait pourquoi, par exemple au moment où ils sortent du métro ou sonnent à une porte, et qui leur confère un aspect symbolique, emblématique, descendit sur les Ramsay et fit de ce couple immobile et attentif dans le crépuscule le symbole du mariage, mari et femme".<br />
<b>Le thème du mariage est très ambivalent dans le roman</b>. Nécessitant des efforts sur soi et un travail constant sur sa personnalité et son attention à l'autre, il permet de grandir d'acquérir de nombreuses qualités. Pour autant, c'est aussi un moyen de se perdre, de ne plus exister pour soi-même ou d'être enfermé dans l'image faussée d'une individualité ou d'un caractère étrangers ("Se glorifiant ainsi de son aptitude à entourer et protéger, elle avait l'impression de ne plus s'appartenir ; tant elle se prodiguait, se dépensait"). Le mariage est aussi un impératif social qui pèse sur l'avenir des jeunes filles. Minta par exemple, une belle jeune fille à laquelle toute la vie souriait, s'engagera dans un mariage raté et Lily Briscoe, bien que qualifiée de "vieille fille" trouvera tout de même dans sa vie une voie pour s'épanouir. Plusieurs fois Mrs. Ramsay se questionne sur sa fascination pour le mariage : "son instinct la portait, trop rapidement elle le savait, comme si cela représentait aussi pour elle une échappatoire, à dire qu'il fallait se marier, qu'il fallait avoir des enfants". Le mariage et les enfants c'est finalement très souvent un moyen de se divertir de soi-même, de ne plus avoir de temps pour l'ennui qui nous oblige à s'asseoir au fond de nous-mêmes. Elle résume efficacement cette dichotomie - structurelle dans sa vie - du dehors social et familial opposé à l'intérieur trouble de la personnalité profonde : <b>"Au-dessous tout est noir, tout est tentaculaire et d'une profondeur insondable ; mais de temps à autre nous montons à la surface et c'est à cela que vous nous voyez"</b>. Comme chez Woolf, le personnage est habité par une tristesse insoluble qui semble infinie : "Personne jamais n'avait eu l'air aussi triste. Une larme, peut-être, se forma, amère et noire, dans les ténèbres, à mi-chemin du puits qui conduisait de la lumière du jour jusqu'aux tréfonds ; une larme coula ; la surface de l'eau se troubla légèrement à son contact puis redevint lisse. Personne jamais n'avait eu l'air aussi triste". <b>L'eau est une métaphore constante de la vie et des états du cœur dans le roman</b>. La mer est omniprésente chez Mrs. Ramsay qui entend sans cesse les vagues en arrière plan sonore, elle subordonne souvent à ce bruit l'activité de son esprit : "le bleu se retira de la mer et déferla en vagues d'une pure couleur citron qui se recourbaient, s'enflaient et se brisaient sur la grève et la jouissance éclata dans ses yeux et des vagues de pur plaisir se propagèrent dans les tréfonds de son esprit et elle se dit : Assez! Assez!". Le personnage du mari, Mr. Ramsay est également très intéressant. Universitaire de talent en philosophie propulsé dans la recherche grâce à un premier ouvrage qui fit date dans l'histoire de la pensée, il peine à se renouveler. En tant que père, il est cette figure autoritaire et distante que ses enfants craignent autant qu'ils admirent. En tant que mari il est déchiré entre deux attitudes : celle de l'enfant et celle du mari autoritaire. Sa femme, trop belle, trop féminine, semble évoluer sur d'autres sphères que les siennes. <b>Ils sont séparés par une mer</b> : "Elle était loin de lui à présent, dans sa beauté, dans sa tristesse". Mr. Ramsay se heurte sans cesse à l'échec de sa vie : comprendre sa femme. La comprendre au sens étymologique, la faire sienne, l'intégrer toute entière à ce qu'il est :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Elle tricotait avec calme et fermeté, les lèvres un peu pincées, et, à son insu, durcissait tellement ses traits, se composait par habitude un visage si sévère que lorsque son mari passa, tout amusé qu'il fût à l'idée que Hume, le philosophe, devenu épouvantablement gros, était resté coincé dans une tourbière, il ne put s'empêcher de remarquer, en passant, la sévérité qui se logeait au cœur de sa beauté.</blockquote>
Le personnage de William Bankes, vieux célibataire solitaire dont le projet d'union avec Lily Briscoe a échoué et qui gravite autour de la famille Ramsay à la recherche de compagnie, semble être le portrait de ce qu'est vraiment Mr. Ramsay : "il s'arrêtait pour regardait un arbre, ou la vue sur le lac, pour admirer un enfant [...] de la manière vague et distante naturelle à un homme qui passait tellement de temps dans les laboratoires que le monde, quand il sortait, paraissait l'éblouir, si bien qu'il marchait lentement, levait la main pour se protéger les yeux et faisait de petites haltes, la tête rejetée en arrière, rien que pour humer l'air". <b>Mrs. Ramsay est un personnage si incroyable, que j'ai l'impression qu'elle s'est inscrite en moi, que j'ai gardé - comme une relique à protéger - à l'issue de cette lecture, une partie d'elle</b>. En tant que jeune mariée, elle me fascine et me présente beaucoup de choses à apprendre. En tant que lectrice, je me reconnais dans ces hommes et ces femmes que le texte décrit qui "oubliant pour un temps la complexité des choses, avaient connu auprès d'elle le soulagement de la simplicité". Le texte regorge de phrases magnifiques gorgées d'un sens profond : "<b>Une mère à l'enfant pouvait être ramenée à une ombre sans irrévérence</b>". La dernière partie du roman est une tentative de synthèse, un essai d'aboutissement. Certaines tentent de qualifier la famille Ramsay : "c'était une maison pleine de passions désaccordées". Lily Briscoe, la vieille fille peintre qui parcourt le roman ainsi que l'histoire de la famille est une observatrice détachée. Du début jusqu'à la fin, elle essaie de peindre une toile, entre vision et réflexion elle parvient finalement à une révélation qui théorise et illustre ce que Woolf appelle des "<b>moments of being</b>", des instants de vie :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Quel est le sens de la vie? Rien d'autre - question simple, qui semblait se faire plus pressante au fil des années. La grande révélation n'est jamais arrivée. En fait, la grande révélation n'arrivait peut-être jamais. C'étaient plutôt de petits miracles quotidiens, des illuminations, allumettes craquées à l'improviste dans le noir ; en voici une. Tout cet ensemble ; elle-même, Charles Tansley et la vague déferlante ; Mrs. Ramsay les rassemblant ; Mrs. Ramsay disant : "Qu'ici la vie s'arrête" ; Mrs. Ramsay faisant de cet instant quelque chose de permanent [...] - cela tenait de la révélation. Une forme existait au milieu du chaos ; cette fuite incessante, cet écoulement perpétuel (elle regarda passer les nuages et s'agiter les feuilles), se stabilisait soudain. Qu'ici la vie s'arrête, disait Mrs. Ramsay. "Mrs. Ramsay! Mrs. Ramsay!" répéta-t-elle. Elle lui devait cette révélation.</blockquote>
On saisit dans cette révélation quelque chose d'étonnamment mélancolique qui essaie de luter contre l'inévitable <i>panta rhei</i> de la vie. Le Phare est un symbole, les personnages marchent "<i>to te lighthouse</i>", vers la maison de lumière, vers la découverte d'une vérité. C'est une métaphore du chemin de vie. Mrs. Ramsay a marqué son monde, mais comment peut-il lui survivre? Prue, sa fille qui lui ressemble se marie et meurt en couche. Son mari qui lui survit, tend toujours ses bras dans le vide. Lily Briscoe peint et suit le modèle d'une femme qu'elle ne sera jamais. Andrew, le fils précoce meurt fauché par un obus. <b>Mrs. Ramasay n'a fleurit qu'une fois et a emporté à jamais les secrets de sa sève</b>. Chaque personnage, et c'est beaucoup, n'emporte d'elle que des images... le lecteur aussi.<br />
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<u>Du même auteur :</u>
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Unknownnoreply@blogger.com2Angleterre, Royaume-Uni52.3555177 -1.174319700000069142.4994672 -21.828616700000069 62.2115682 19.479977299999931tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-77500835758334993752016-02-22T14:42:00.003+01:002017-10-28T17:30:20.773+02:00La Marche de Radetzky de Joseph Roth<span style="font-size: large;">Critique de <i>La Marche de Radetzky</i> de Joseph Roth</span><br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgmzqr-8Ui4_fsJ_O5oQVEmnRM5Kyw7mYr58IMzntWwiza9CjX6Q5ynaWFQQC04sncweENfGvepi1CT9QDe3IFNlfXTqYUppjUg5vRc3oL9LsPTh3wglhJe8WP3TvEH3wrGUkbgFtc4Rmhl/s1600/MarcheRadetzky_Roth.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgmzqr-8Ui4_fsJ_O5oQVEmnRM5Kyw7mYr58IMzntWwiza9CjX6Q5ynaWFQQC04sncweENfGvepi1CT9QDe3IFNlfXTqYUppjUg5vRc3oL9LsPTh3wglhJe8WP3TvEH3wrGUkbgFtc4Rmhl/s320/MarcheRadetzky_Roth.jpg" width="193" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture : Sur le champ de bataille de Solferino, le sous-lieutenant von Trotta sauve la vie de l'empereur d'Autriche. Cet acte lui vaut d'être anobli. Arrachés à leur condition de paysans slovènes, les membres de la famille von Trotta voient leur destin bouleversé. Sur trois générations, l'auguste faveur se transforme en une malédiction irrémédiable... Un requiem sur la chute de la monarchie austro-hongroise.</i><br />
Cette fresque sur trois générations débute à partir de la prouesse du grand-père Trotta, alors dans l'infanterie, qui préserve de justesse et en mettant en danger sa propre vie l'existence du jeune empereur. Ce haut fait d'armes est largement relayé comme un exploit de bravoure et vaut à son auteur d'être décoré de la plus haute distinction militaire, l'ordre de Marie-Thérèse. Par ailleurs le jeune sous-lieutenant Trotta entre dans la noblesse et prend pour nom "Joseph Trotta von Sipolje", plus tard il recevra même le titre de baron. Ses origines slovènes transparaissent encore dans la mention de "Sipolje" mais un fossé tacite s'est creusé entre lui et ses ancêtres. Sa descendance va alors amorcer un lent déclin. Le jeune empereur traverse le roman jusqu'à atteindre une vieillesse avancée, il semble être le symbole de l'Empire austro-hongrois tout entier qui se délite année après année. Ces deux échelles, celle de l'Empire et celle de la famille Trotta, marquent deux itinéraires parallèles qui se figurent l'un l'autre. Et c'est aussi la faillite d'une vision du monde, d'un rêve où des contrées de langues, de religions et d'ethnies différentes pourraient cohabiter sous une même bannière patriotique et identitaire.</div>
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<a name='more'></a><u><br /></u>
<u>Mon avis :</u><br />
Le titre de ce roman renvoie directement à celui d'une pièce musicale, une marche militaire signée Johann Strauss père qui rend hommage à Joseph Radetzky von Radetz vainqueur d'une bataille contre les Piémontais. Le roman de Joseph Roth quant à lui s'ouvre sur une défaite, celle de la bataille de Solferino, ce qui contribue à le présenter comme <b>une contre Marche de Radetzky</b>. Cette défaite militaire qui matérialise le début de la désagrégation lente de l'Empire lance également le court moment d'apogée puis le déclin des Trotta. L'exploit du grand-père n'est que substantiellement décrit. D'emblée l'attention est portée sur les répercussions familiales et sociales de l'anoblissement et de la montée en grade qui en résulte. <b>Une fracture s'est ouverte entre lui et son père</b> : "Son père était séparé de lui par une montagne de grades militaires". Le texte file la métaphore de la métamorphose : "Le capitaine Trotta avait été séparé de sa longue lignée d'ancêtres slaves. Une race nouvelle commençait avec lui". Pour autant, il ne peut s'agir que d'un leurre. Le sang ne ment pas : "Il était aussi simple et irréprochable que ses états de service et seule la colère qu'il prenait quelquefois aurait pu avertir un psychologue que l'âme du capitaine Trotta recelait aussi ces abîmes obscurs où dorment les tempêtes et les voix d'ancêtres anonymes". Le premier épisode dysphorique intervient lorsque le capitaine Trotta ouvre le livre d'histoire de son fils. Sa bravoure y est contée comme une légende le transformant en cavalier intrépide tout droit sorti d'une épopée chevaleresque. Son sang rustique ancré dans la vérité brute s'insurge et il demande la révision de ce texte. On lui réplique sur un ton paternaliste qu'il faut arranger la vérité pour instruire les enfants. Le lecteur devine que ces enfants désignent aussi toute la population de l'Empire : il convient de leur transmettre une image d’Épinal fantasmée de cette entité imaginaire pour faire naître un sentiment d'unité patriotique. Dès cet instant, le héros de Solferino cesse d'adhérer à cette idéologie : "Il avait été chassé de ce paradis qu'était sa foi rudimentaire en l'Empereur, la vertu, la vérité et le droit. Prisonnier du mutisme, il découvrait que la ruse fonde la pérennité du monde, la force des lois et l'éclat des majestés". Cette prise de distance essentielle engage ce dernier à retourner à un mode de vie proche de ses ancêtres, même s'il ne pourra jamais revenir à sa condition première. L'histoire du capitaine Trotta est brève dans le roman même si elle revient souvent par la suite sous la forme de réminiscences. Sa vie fait figure de mythe des origines, il est le premier homme, un Adam chassé du paradis terrestre selon une image développée dans le roman. Du même coup, le roman s'attache au fils et au petit-fils qui consomment la faute originelle et en illustrent les conséquences.<br />
Le roman déroule son histoire sur trois générations, celle du grand-père, du père et du fils. Les femmes sont très nettement absentes ou en marge. Elles correspondent presque systématiquement à des stéréotypes : la tentatrice ou encore la mère absente et désirée. Peu d'enfants également, la jeunesse du père et du fils est bien évidemment décrite mais d'emblée ils sont présentés comme des petits adultes s'efforçant d'entrer le plus rapidement possible dans le plan qui a été arrêté pour eux. Ils sont condamnés à revivre sans trêve l'acte originel qui prend un caractère parodique nettement accusé de génération en génération car "quand on était un Trotta, on sauvait sans interruption la vie de l'Empereur".<b> La présence de l'Empereur dans le texte est tutélaire, surplombante</b>. L'omniprésence de portraits semble porter témoignage de son don d'ubiquité. La scène du sauvetage de l'Empereur est parodiée en une reprise burlesque où le petit-fils retire un portrait d'un bordel : "Il prit le cadre, fendit le dos de papier noir et sortit le portrait. Il le plia en deux, le replia encore une fois et le fourra dans sa poche." <b>Pour autant les portraits semblent se détériorer au fil du roman, devenant de moins en moins précis, plus impressionnistes</b> : "le tableau se dissociait en cent petites tâches de lumière et mouchetures huileuses, la bouche était un trait rose pâle et les yeux semblaient deux noires paillettes de charbon". La figure de l'Empereur est attachante en ce qu'elle se partage entre deux visages. Il y a le visage public à la fois austère et bienveillant et le visage privé romantique, méditatif et mélancolique. Extrêmement conscient de son rôle et de la tenue qu'il impose, le lecteur le sent souvent nostalgique de son humanité plus spontanée d'autrefois : "Une seule fois [...] il avait vu une vraie puce vivante dans son lit, mais il n'en avait rien dit à personne. Car il était l'Empereur et l'Empereur ne parle pas d'insectes". Ce passage montre bien l'importance du hiatus entre ses deux personnalités :<br />
<blockquote class="tr_bq">
Un jour, il avait lu un livre sur lui-même où se trouvait cette phrase : "François-Joseph Ier n'est pas un romantique". "Ils disent de moi que je ne suis pas un romantique, songeait le vieillard, pourtant j'aime les feux de bivouac." Il aurait voulu être simple lieutenant et jeune.</blockquote>
<b>Le système de frise sur trois générations permet aussi de fournir au lecteur une interprétation symbolique</b>. Le grand-père, auteur malgré lui de la fissure originelle est celui qui s'est astreint à rester loin de toutes les compromissions. Le père, lui, conscient de la nécessité de bâtir un modèle nouveau est la figure du juste-milieu. Il demeure attaché à l'idéologie de l'Empire et a une conscience très nette de ses devoirs et de la mise qu'il faut avoir en société. Pour autant il ne fait pas de carrière militaire. Le fils quant à lui est celui qui consomme la chute par un comportement déréglé ou encore une conscience insuffisante du maintien social et des rôles de chacun. Il se compromet et oblige les autres (et notamment son père) à se compromettre à leur tour pour éviter sa disgrâce (et pas conséquent celle de son nom). Le point de bascule se situe peut-être lors de l'épisode de l'affaire Demant. Demant, un médecin de l'armée est un jeune homme juif droit et attentif aux autres. Il ne s'épanouit pas dans l'armée et fait la connaissance du petit-fils du héros de Solferino avec lequel il se lie d'amitié. Un jeu de séduction semble exister tacitement entre la femme du docteur Demant et le petit-fils Trotta. Un jour, le capitaine Tattenbach glisse à ce sujet une allusion insultante. L'affaire, selon le code d'honneur, ne peut se régler qu'en duel. Ce sera le docteur Demant contre Tattenbach. On remarque que von Trotta, pourtant l'objet intime de la querelle, n'est pas appelé à se battre en duel comme on pourrait naturellement s'y attendre. <b>C'est le personnage-même du anti-héros, un double parodique de son grand-père</b>.<br />
Certains passages sont très réussis, notamment le bal chez Chojnicki où on apprend la mort du prince héritier à Sarajevo ce qui déchaîne les débordements nationalistes et délie les langues en révélant l'unité fissurée de l'Empire. Une contre Marche de Radetzky se fait alors entendre entourée d'une ronde de fous : "Dans les deux grandes salles où l'on avait dansé jusqu'à présent, les deux musiques militaires, dirigées par leurs chefs souriants, écarlates, jouaient la marche funèbre de Chopin, tandis que quelques invités tournaient tout autour, en cercle, au rythme de la marche funèbre, des serpentins bariolés et des étoiles de coriandre sur les épaules et sur les cheveux". J'ai particulièrement apprécié également le passage du duel et toutes les scènes où le père a une large part notamment lorsqu'il va solliciter l'aide de l'Empereur pour réhabiliter son fils.<b> Le portrait du père est alors très fin et sensible et j'ai trouvé qu'il sonnait très juste et qu'il pouvait constituer à lui seul la leçon du livre</b>. C'est le personnage qui m'a émue le plus avec l'<b>ordonnance Onufrij</b>, paysan magistral chez qui toutes les grandes valeurs humaines semblent être des composées de sa nature profonde. Il donne lieu à belle réflexion sur la littérature : "Il n'était pas assez expérimenté, le sous-lieutenant Trotta, pour savoir qu'il existe aussi, dans la réalité, de jeunes paysans mal dégrossis au noble cœur et qu'on raconte dans de mauvais livres beaucoup de choses vraies empruntées à la vie du monde, qui sont seulement mal copiées".<br />
Cet ouvrage propose une peinture fine de la chute de l'Empire austro-hongrois. Cette peinture est d'autant plus touchante qu'on perçoit <b>l'adhésion de l'auteur au système politique, religieux et social proposé par l'Empire</b>. Les constats de dissolutions sont bien souvent teintés de mélancolie : "Il voyait le grand soleil des Habsbourg descendre, fracassé, dans l'infini où s'élaborent les mondes se dissocier en plusieurs petits globes solaires qui avaient à éclairer, en tant qu'astres indépendants, des nations indépendantes...". Cette phrase en elle-même pourrait résumer le sort de l'Empire. Pour autant, <b>cet état de fait est forgé de plusieurs trajectoires convergentes</b>. Il y a effectivement l'éveil des nationalismes, mais également un rejet des juifs de plus en plus marginalisés à la frontière. On le sait, l'auteur Joseph Roth a souvent renié sa judéité qui ouvrait pour lui de grands questionnements identitaires. Dans le texte,<b> les juifs sont présentés sous deux aspects</b>. Le père du docteur Demant apparaît souvent, il est sans cesse décrit à l'image des premiers patriarches dans l'Ancien Testament : "Il passait son samedi penché sur de grands livres pieux. Sa barbe argentée recouvrait la moitié inférieure des pages imprimées en noir". Les juifs de la frontière où est muté le petit-fils Trotta après l'affaire du duel sont dépeints sous un jour plus ambigu. Bien que miséreux, ils correspondent au stéréotype du juif marchand. On a déjà noté l'adhésion de l'auteur à ce modèle, sensible par plusieurs aspects du texte, elle peut s'expliquer en partie par sa judéité. Les Trotta (nom dans lequel on entend le patronyme de l'auteur Roth) sont d'origine slovènes, ils sont donc marginaux et rappellent le statut des juifs. C'est d'autant plus prégnant si l'on sait que "slovène" était un nom de code pour parler des juifs. Le modèle de l'Empire austro-hongrois offrait aux juifs une patrie et une sécurité pour pratiquer leur religion et préserver leur communauté. La montée des nationalismes les menace en premier lieu. Ainsi, si Joseph Roth adhère aux idées de l'Empire, malgré sa judéité problématique voire niée, c'est aussi pour l'idéologie inclusive et les valeurs de tolérance qu'il propose et préserve.<br />
Ce roman n'est pas de nature à changer votre vision de monde, ou à vous offrir d'infléchir le regard que vous portez sur la vie. Pour autant il propose un portrait sensible et subtil à plusieurs égards de la chute de l'Empire austro-hongrois. Bien que l'auteur soit lucide sur les failles et les mensonges d'un tel système se basant sur une image usurpée de lui-même, une nostalgie n'en demeure pas moins présente et s'épanche lorsqu'il s'agit de faire le constat amer de sa disparition annoncée.</div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgZbLw0pR5PnLQWTCISTll4FKKwnVyzffPCli4yWO0cCQgbCuVgg6dm5b3kIGXp2YNA3F0sSvGZdQkmx6DWB-6niF7H9EFTCswbn2gBPdJJiIflSQlz_X4hm1jJfvg-WJ68JDCgc560jwr6/s1600/Harchi_ampleursaccage.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgZbLw0pR5PnLQWTCISTll4FKKwnVyzffPCli4yWO0cCQgbCuVgg6dm5b3kIGXp2YNA3F0sSvGZdQkmx6DWB-6niF7H9EFTCswbn2gBPdJJiIflSQlz_X4hm1jJfvg-WJ68JDCgc560jwr6/s400/Harchi_ampleursaccage.jpg" width="212" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : Héritiers d'un effrayant geste collectif qui, trente ans plus tôt, a marqué leurs destins du sceau de la désespérance, quatre hommes liés par le souvenir d'un sacrilège traversent la Méditerranée pour connaître, sous le ciel algérien, l'ultime épisode de leur désastre. Sur un motif de tragédie antique, de crimes réitérés et d'impossible expiation, Kaoutar Harchi retrace, de la nuit d'une prison française à la quête des origines sous les cieux de l'Algérie, la fable d'une humanité condamnée à s'entre déchirer dès lors que ceux qui la composent, interdits de parole ou ligotés par le refoulement de leur mémoire, s'avèrent incapables d'exorciser les démons qui gouvernent leur chair animale.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Arezki, Si Larbi, Ryeb, Riddah, quatre hommes, quatre focales à partir desquelles se développe le roman. Ils se cherchent, se reconnaissent, se rencontrent à nouveau sans jamais dévoiler ouvertement la nature intime de leur lien. Le lecteur est invité à comprendre, dans le creux des dialogues et dans des échanges faits surtout de silences, la clef de cette fraternité problématique. Leur drame se déroule entre la France et l'Algérie, plus que des cadres ces lieux sont des patries, des parents qui marquent leurs enfants de leurs propres histoires et imaginaires qu'ils soient imposés ou refoulés. La Méditerranée ne les sépare pas, elle les lie : tantôt appel à l'ailleurs, tantôt gouffre où s'abîmer la seule véritable alternative est la traversée pour partir à la source, pour chercher l'origine. Ces quatre voix sont comme les angles d'un carré dont le lecteur est appelé à trouver le centre. C'est donc une autre voix qu'il nous faudra entendre, mais parle-t-elle le même langage?</div>
<div style="text-align: justify;">
<a name='more'></a><u><br /></u>
<u>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
Le roman s'ouvre avec la voix d'Arezki. Le récit semble débuter sans préambule pour autant le personnage s'attache à livrer un portrait détaillé de lui-même, le regard est curieusement extérieur, comme s'il se voyait comme un objet à analyser pour un regard scientifique. Ce portrait préalable permet de poser méthodiquement chaque aspect du "saccage". La mère : "Je pense peu à mon géniteur, seule ma génitrice m'obsède. Je suis en quête perpétuelle du ventre qui m'a porté et nourri, d'où j'ai froidement été expulsé". L'identité : "Mon nom est Arezki et, d'ordinaire, on ne m'appelle pas". L'impossibilité de s'illustrer en tant qu'homme : "A Paris, le travail n'existe plus. Nostalgique, je continue de fréquenter les usines et traîne sur les grands boulevards". L'autre sexe : "Les femmes me sont inconnues. D'elles je ne sais que les formes animales et pornographiques". Le lecteur semble face à un catalogue de névroses introduites en un seul corps. L'identité d'Arezki siège dans la somme de ses échecs à devenir lui-même, comme une existence en négatif. Le premier acte est posé. Sera-t-il celui d'une tragédie grecque? Le roman s'ouvre aussi sur un viol décrit dans toute sa crudité par une voix froide et décalée qui est celle d'un enfant ou d'un monstre.<br />
Malgré une langue souvent très fine qui traduit bien la complexité d'un regard, je pense notamment à la description de Si Larbi qui bien que très réaliste semble pouvoir constituer une allégorie : "De sa carcasse hagarde, seuls ses yeux sont demeurés vifs. Si Larbi, continuellement affalé, rêve d'un ailleurs folklorique béni d'insouciance, bordé par une mer bleue tranquille" ; il manque un ciel sur tout cela. Le tableau dressé est celui d'une humanité impossible, tout est entièrement glauque et noir. Le jeu d'une énigme cachée derrière la pesanteur d'un quotidien insensé est également inégalement mené. Certaines phrases sont trop explicites et laissent peu de place au doute : "Cause abandonnée au bon vouloir des mystères mutiques, je dérive le long des impostures, épuisé, car tous les ports d’accueil ont disparu: j'ignore d'où je viens". Ainsi, on a parfois l'impression d'être un étudiant en psychanalyse invité à se pencher sur un cas facile pour parfaire sa pratique et son expérience.<br />
Je n'ai pas croisé une seule envolée dans ce texte. Je pense que la littérature doit pouvoir donner un message, inviter à quelque chose. J'ai été surprise par ce texte et je ne suis pas parvenue à le comprendre - je ne suis pas parvenue à le faire mien. Globalement, ce roman se construit sur des idées et un imaginaire qui ne sont pas les miens. Tout cela ne m'a pas empêché de saisir le sens et peut-être le but du texte, mais je n'adhère pas à l'esprit. D'ailleurs je ne pense pas qu'on puisse s'asseoir dans cette vision du monde, dans cette peinture de la vie. Le texte achoppe sur des questions lancinantes que j'ai personnellement résolues en tant que personne humaine. En ce qui me concerne, elles ne sont donc plus pertinentes pour moi.<br />
Le texte se clôt avec la vocation d'écrivain d'Arezki. Une nouvelle fois le fait est présenté sous l'angle de la névrose : "Le médecin ne sait rien de ma manie de noircir. J'ignore encore comment lui demander de me procurer un cahier et des stylos sans qu'il ne me juge".<br />
Bien que le tableau soit plus noir que nature, du texte émane tout de même une certaine vérité. J'ai apprécié rencontrer ces individualités - Arezki, Si Larbi, Ryeb, Riddah - qui sortent parfois de l'archétype, du cas d'étude ou de la caricature pour devenir, par instants, des êtres auprès desquels on peut cheminer. C'est souvent le cas lorsque les personnages sont décrits par des regards extérieurs : "Certains témoins ont juré à la famille que le jeune homme, durant de longues minutes, appuyé contre un lampadaire, avait tenu le corps de la petite contre lui, visiblement accablé". Je me suis particulièrement attachée au personnage de Nour qui, comme son nom l'indique, est la lumière du roman. C'est à travers son regard que j'aurais aimé lire l'histoire.<br />
Cette expérience de lecture était intéressante à plusieurs titres. D'abord elle m'a permise de rencontrer des individualités perpétuellement sujets à des questionnements et à des tensions qui ne me sont pas familières. Ensuite, de cette brève incursion dans un univers qui n'est pas le mien développant des idées avec lesquelles je ne suis pas en accord, m'a invitée à affermir mes propres positions et mon regard sur la vie. Cette ambiance m'évoque, dans une certaine mesure, celle du thriller <i>Tchao pantin</i> d'Alain Page mais l'incroyable charge d'espoir contenue dans ce texte le démarque du roman de Kaoutar Harchi et me touche bien davantage. <i>L'Ampleur du saccage</i>, conformément à son titre, présente au lecteur un portrait à charge qui ne pointe pas les personnages comme des coupables mais comme des victimes parmi d'autres. On aurait tout de même souhaité entendre d'autres voix, le texte manque d'enfant, il manque de mères, il laisse peu de place à la vie.<br />
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<u>Du même auteur :</u>
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<ul>
<li><i>A l'Origine notre père obscur</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
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<ul>
<li><i>Le Serment des barbares </i>de Boualem Sansal</li>
<li><i>L'arabe, comme un chant secret</i> de Leïla Sebbar</li>
<li><i>Tchao Pantin </i>d'Alain Page</li>
</ul>
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</div>
Unknownnoreply@blogger.com0Algérie28.033886 1.65962600000000290.184708999999998 -39.648967999999996 55.883063 42.96822tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-1768377577635603162012-12-23T00:41:00.001+01:002012-12-27T22:54:07.653+01:00La Religieuse de Diderot<span style="font-size: large;">Critique de <i>La Religieuse</i> de Diderot</span><br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiS9vVwRCGar32270X_WW3kkeIEOqGugK8KBm-iGmmDN1S4za-j0ivkeEsbQGw7W9ZbX0LrXSKEO180OZBh1A9PHwIe2IcuCRUjxsfSb_Rmfwq1be03_m1g8gUKPduCt_fLOUQhdYWZi-J3/s1600/religieuse.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiS9vVwRCGar32270X_WW3kkeIEOqGugK8KBm-iGmmDN1S4za-j0ivkeEsbQGw7W9ZbX0LrXSKEO180OZBh1A9PHwIe2IcuCRUjxsfSb_Rmfwq1be03_m1g8gUKPduCt_fLOUQhdYWZi-J3/s320/religieuse.jpg" width="193" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : "Tuez plutôt votre fille que de l'emprisonner dans un cloître malgré elle, oui, tuez-la" : c'est ainsi que Suzanne Simonin, bâtarde contrainte par sa famille à s'engager en religion, s'adresse à l'honnête marquis dont elle attend secours en lui racontant une vie semée d'épreuves et d'humiliations. Roman pathétique d'une réprouvée en quête d'amour, roman politique d'une prisonnière en quête de justice, roman philosophique des passions troubles engendrées par les interdits sexuels, roman pictural du clair-obscur des corps et des âmes : </i>La Religieuse<i> engage aussi son lecteur sur les sentiers tortueux d'un érotisme noir ; c'est que Suzanne, qui se proclame figure de l'innocence persécutée, est sans doute plus ambiguë qu'on ne le croit...</i><u> </u></div>
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Suzanne Simonin est la cadette de trois filles issues d'une famille sans histoires. Surpassant ses sœurs par la beauté et l'esprit, elle va très rapidement être confinée au rôle d'une Cendrillon délaissée. Ce sont les autres qui - progressivement - vont entreprendre à sa place de tracer les lignes d'un destin qu'elle ne reconnaît pas comme sien. Ainsi contrainte à entrer dans les ordres, elle s'emploie dans un premier temps à une résistance ouverte en s'opposant frontalement à l'idée de prendre le voile. Mais un coup de théâtre va ruiner à jamais ses désirs d'indépendance et de libre-arbitre, la forçant de reconnaître dans sa situation, l'expression d'une fatalité implacable "on était résolu à disposer de moi sans moi" écrit alors l'héroïne. Suzanne va donc découvrir les micro-sociétés que sont les couvents de femmes au XVIIIème siècle et considérer, dans ses passages successifs d'une mère supérieure à une autre, les déviances et les troubles qui habitent ces lieux retirés.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br />
<a name='more'></a><u>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>La Religieuse</i> est un roman dont la genèse a en elle-même quelque chose de très romanesque. En effet, ce texte est issu d'une mystification orchestrée par Diderot et ses amis afin de faire revenir à la capitale l'un de leurs proches le Marquis de Croismare parti en province. Ce jeu de lettrés a consisté à jouer avec un fait divers du temps autour de la vocation forcée de Marguerite Delamarre qui avait beaucoup ému le Marquis en inventant la figure d'une religieuse retenue contre son gré dans un couvent. Diderot et son cercle de lettrés lancent alors une fausse correspondance qui convainquit le destinataire de ce jeu littéraire au point de le faire envisager un plan d'évasion et de réinsertion dans la société pour la malheureuse. Devant la ferveur du Marquis pour cette cause touchante, on coupe court à la mystification en faisant mourir la protagoniste principale. Les lettres issues de cette plaisanterie à la fois réelles et fictives - puisqu'elles sont écrites sous le nom d'un personnage inventé - serviront plus tard à Diderot pour la conception de son roman <i>La Religieuse</i> qui fustige les couvents en général et les vocations forcées en particulier.</div>
<div style="text-align: justify;">
<div style="margin-bottom: 0cm;">
Le caractère critique et satirique de cet ouvrage est sans doute un des aspects les plus frappants du texte. Plus qu'une dénonciation des milieux conventuels, Diderot dresse ici les actes d'une véritable condamnation. Ce sont les portraits et les agissements des supérieures des couvents qui prennent en charge l'essentiel de l'attaque faite à cette institution religieuse. Suzanne entre d'abord dans son premier couvent dont la supérieure est Madame de Moni, une femme visiblement touchée par la Grâce et la vocation divine. Se rapprochant d'une conception janséniste de la Foi chrétienne, cette supérieure distingue dans sa maison des "élues" parmi ses religieuses qui seraient plus aptes que les autres à recevoir cette Grâce divine qui n'est pas donnée à toutes. Mme de Moni est sans conteste la supérieure la plus digne de sa fonction et celle qui certainement peut être considérée comme une adjuvante. Mais il faut tout de même nuancer cet aspect du personnage car elle aussi est touchée par une sorte de déviance qui, malgré la sincérité de sa foi, l'empêche d'accepter le fait qu'une jeune fille comme Suzanne - qu'elle pense appelée à la Grâce - ne puisse pas sentir en elle la vocation. Cette tendance à privilégier certaines religieuses en dépit d'autres marque aussi une ambivalence dans ce caractère qu'on serait pourtant tenté de placer sans équivoque du côté du bien. Et ceci conforte le lecteur dans l'idée que rien ici ne plaide pour les couvents ou ne vient atténuer la critique de Diderot qui se durcit à l'extrême dans les portraits des deux supérieures suivantes. Il y a d'abord la sœur Sainte-Christine qui succède à Mme de Moni. À l'inverse de cette dernière, Sainte-Christine aborde la Foi chrétienne dans la perspective des jésuites en pratiquant la casuistique et mettant en œuvre un attirail de sanctions implacables pour expier les crimes des pensionnaires. Les exercices de piété sont pour le moins problématiques puisqu'ils reposent pour l'essentiel sur la mortification, en effet, cette nouvelle supérieure interdit paradoxalement la lecture de la Bible normalement considérée comme la parole de Dieu : elle "renvoya à chaque religieuse son cilice et sa discipline et fit retirer le Nouveau et l'Ancien Testament". Devant ces manœuvres arbitraires qui s'opposent à toute pratique de la Foi, la rébellion de Suzanne se ravive à ce nouveau foyer de contestation et elle désobéi ouvertement à cette autorité qu'elle ne reconnaît plus. Sainte-Christine fait alors de la jeune fille un bouc-émissaire qu'elle est libre de torturer et de présenter à la vindicte des autres sœurs. La position délicate qui est alors celle de Suzanne la conduira à subir des scènes de torture qui seront une nouvelle fois prétexte à l'illustration de la veine satirique de Diderot. Il y a notamment le passage de l'<i>in pace</i> où Suzanne est conduite et enfermée. Elle acquiert ici une dimension proprement christique, harassée par ses pairs sur ce chemin de croix, ce qui met en lumière ce paradoxe des religieuses dépeintes en bourreaux du Christ lui-même. Le lecteur le comprend, Diderot réalise ici un brûlot hautement polémique qui lance une attaque extrêmement grave à l'égard du milieu conventuel. Mais il ne s'arrête naturellement pas là puisque la supérieure suivante - celle du couvent d'Arpajon qui n'est pas directement nommée - va permettre à Diderot de reprendre toutes les topiques de la littérature libertine autour des couvents pour radicaliser encore davantage sa condamnation. En effet, cette supérieure pourrait aisément figurer en maître de harem disposant à sa guise du corps de ses religieuses. Dès son arrivée, elle est touchée par la beauté et l'histoire de Suzanne qui devient dès lors sa favorite occultant la sœur Sainte Thérèse encore amoureuse de la supérieure. Diderot reprend ici un <i>topos</i> de la littérature libertine qu'est le couvent comme espace de débauche. On peut retrouver ce thème dans des textes très lus à l'époque comme <i>Thérèse Philosophe</i> de Boyer d'Argens ou le <i>Portier des Chartreux</i> de Gervaise de Latouche deux textes pornographiques à dimension philosophique venant exalter le sensualisme contre la vertu austère qui mutile les corps. Le corps du personnage justement, est un fil rouge de <i>La Religieuse</i>. Diderot injecte dans ce texte une réflexion philosophique autour de la formation du corps dans la société et les conséquences des contraintes exercées sur lui. Le corps des personnages et notamment celui de Suzanne illustre d'abord la pensée moniste matérialiste de Diderot qui ne croyait pas au dualisme entre l'âme et le corps. Ainsi, le corps se voit glorifié en tant que réceptacle des sens et donc vecteur de la connaissance du monde. Le corps contraint des religieuses serait donc, selon Diderot, un corps prédestiné à diverses pathologies et déviances résultant des privations et de l'enfermement. C'est à partir de ce thème de l'enfermement dans la micro-société qu'est le couvent, que Diderot appuie la part philosophique et physiologique de sa critique. S'appuyant sur des descriptions cliniques du corps et des pathologies de l'enfermement - notamment dans le passage de l'<i>in pace </i>dans le deuxième couvent et dans le passage de l'orgasme au piano de la supérieure du dernier couvent - le philosophe rend le corps sensible dans le texte et lui donne une importance de premier plan. Ceci lui permet alors de présenter les couvents comme des institutions tout à fait contre-nature ce qui représente un point de vue radical qui n'admet pas de nuance. Ainsi, même le personnage de Mme de Moni porte un aspect de la critique et se range aux côtés des opposants à Suzanne. Le corps de Suzanne contraint et abusé devient alors la preuve du caractère néfaste et inhumain de la prise de voile.
Cependant, il faut noter que <i>La Religieuse</i> est un roman mémoire. C'est Suzanne elle-même qui écrit sa vie pour l'envoyer au Marquis de Croismare afin de tenter d'obtenir son aide. On peut donc rapprocher ce texte de <i>La Vie de Marianne</i> de Marivaux, un autre roman mémoire où l'héroïne pose souvent la question du problème de sincérité que convoque l'autoportrait. Ce choix du roman mémoire n'est pas innocent puisque c'est un genre qui n'est plus à son apogée alors que Diderot écrit, le roman épistolaire l'a en effet supplanté en popularité. Il y a donc un sens précis dans le choix du genre du roman mémoire. Et de fait, le lecteur peut se questionner quant à la sincérité de Suzanne qui apparaît bien souvent comme une victime irréprochable et dont la naïveté semble trop poussée pour être plausible. Lorsqu'elle est face à la supérieure du couvent d'Arpajon qui a un orgasme devant elle, elle suppose qu'elle est en proie à quelque mal qui la ronge sans apparemment se douter un seule seconde de la vraie nature du transport que subit la supérieure. Le fait que le personnage de Suzanne revête aussi une dimension christique au couvent de Longchamp en subissant diverses tortures est également polémique puisque c'est Suzanne elle-même qui se décrit de cette façon. Ne faut-il pas voir ici une stratégie de l'héroïne pour émouvoir le Marquis de Croismare qu'elle présente au début du texte comme étant un bon chrétien? Elle dit en effet : "On m'a fait l'éloge de sa sensibilité de son honneur et de sa probité, et j'ai jugé par le vif intérêt qu'il a pris à mon affaire, et par tout ce qu'on m'en a dit, que je ne m'étais point compromise en m'adressant à lui". Pour toucher le Marquis, Suzanne doit montrer qu'elle a su rester pure dans un monde où tout concourrait à la détourner du droit chemin (c'est-à-dire paradoxalement le monde des couvents). Mais il y a deux "je" dans le texte, celui de Suzanne au moment où elle vit les faits et celui de Suzanne au moment où elle les raconte. Le deuxième "je" est donc doté d'un recul non négligeable sur les faits qui lui a permis, malgré la naïveté du premier "je", de comprendre ce qu'il se passait notamment dans le dernier couvent. Le deuxième "je" bénéficie donc de ce que J. Rustin (*) nomme "le détachement du mémorialiste" or plusieurs fois dans ce texte, Suzanne écrivant ses mémoires semble feindre une naïveté qui normalement aurait dû cesser d'être sienne dans le recul que suppose la retransmission écrite des faits. C'est notamment le cas lorsqu'elle raconte son entretient avec un confesseur qui lui défend de répondre aux avances de la supérieure d'Arpajon, elle écrit : "j'en parlai à mon directeur qui traita cette familiarité, qui me paraissait innocente et qui me le paraît encore". De fait, lorsque Suzanne rédige ses mémoires, elle a pris connaissance de la véritable nature des faveurs de la supérieure, ces dernières ne peuvent donc pas lui paraître encore "innocente[s]". Il y a là un des intérêts majeurs du texte qui parvient à introduire dans le caractère de Suzanne une ambiguïté importante tenant au fait qu'elle se peint elle-même dans le but affiché d'obtenir de l'aide du Marquis de Croismare.
<i>La Religieuse</i> est un texte intéressant car - comme beaucoup de fictions de l'auteur - il illustre l'ambivalence de Diderot. Philosophe autant qu'homme de Lettres, il n'hésite pas à injecter à ses fictions une haute portée polémique et à prêter à ses personnages des réflexions philosophiques qui - on le devine - les érigent en porte-parole. C'est le cas de Suzanne dans <i>la Religieuse</i> qui vient verbaliser la thèse de Diderot qui cimente sa condamnation des couvents : "Voilà l'effet de la retraite. L'homme est né pour la société. Séparez-le, isolez-le, ses idées se désuniront, son caractère se tournera, mille affections ridicules s'élèveront dans son cœur, des pensées extravagantes germeront dans son esprit comme les ronces dans une terre sauvage. Placez un homme dans la forêt, il y deviendra féroce ; dans un cloître où l'idée de nécessité se joint à celle de servitude, c'est pis encore : on sort d'une forêt, on ne sort plus d'un cloître ; on est libre dans la forêt, on est esclave dans le cloître". Ce passage pourrait tout à fait se fondre dans un traité de philosophie mais ici allié à la fiction qui fonctionne comme une preuve par l'expérience et son impact en est décuplé. Et tout est<span style="font-family: Times New Roman, serif;"> </span>dit.<br />
<br />
(*) J. RUSTIN, "<i>La Religieuse</i> de Diderot : mémoires ou journal intime?" dans <i>Le Journal intime et ses formes littéraires</i>, dir. V. Del Litto, Droz, 1978, p. 37.<br />
<br />
<u>Du même auteur :</u>
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<ul>
<li><i>Jacques le Fataliste</i></li>
<li><i>Le Neveu de Rameau</i></li>
<li><i>Paradoxe sur le Comédien</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u>
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<ul>
<li><i>Thérèse Philosophe</i> de Boyer d'Argens</li>
<li><i>Le Portier des Chartreux</i> de Gervaise de Latouche</li>
</ul>
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</div>
Unknownnoreply@blogger.com8France46.227638 2.213749000000007134.9656245 -18.440547999999993 57.4896515 22.868046000000007tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-55508036210222502582012-09-08T19:46:00.000+02:002016-03-05T12:18:33.891+01:00"Les arcs-en-ciel du noir" : Victor Hugo, en lisant, en écrivant, en dessinant<div style="text-align: center;">
<span style="color: #990000; font-size: large;">Exposition à la Maison de Victor Hugo (Paris) du 15 mars au 19 août 2012</span></div>
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEic4UxQoA4N5hivxiEF1bBE0A4rcNQ7ZGbKn9pem3X3jmGYCEA3VxmxuqUEk8MMVhGMNr7j22rMVJd3fKuyFhW5qC4qAF7etnjgAujru-sKdc6FCk54agzZiinm46_HtB1bZQfFQXjv7dJE/s1600/631_vignette_arcencieldunoir.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEic4UxQoA4N5hivxiEF1bBE0A4rcNQ7ZGbKn9pem3X3jmGYCEA3VxmxuqUEk8MMVhGMNr7j22rMVJd3fKuyFhW5qC4qAF7etnjgAujru-sKdc6FCk54agzZiinm46_HtB1bZQfFQXjv7dJE/s400/631_vignette_arcencieldunoir.jpg" width="278" /></a> </div>
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
Nous connaissons naturellement Hugo auteur et même Hugo lecteur, mais qu'en est-il du dessinateur? Car oui, Hugo prend la plume, mais pas uniquement pour écrire. C'est à l'encre d'un noir profond, en traits nuancés, qu'il esquisse les surfaces trapues de châteaux forts, des ruines embuées de brouillard ou encore la silhouette en clair obscur d'un pendu anonyme.</div>
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<a name='more'></a><br />
<div style="color: #cc0000;">
<u>Organisation et présentation :</u></div>
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Le visiteur à peine entré dans le périmètre de l'exposition que le ton est déjà donné : les fenêtre sont camouflées par de larges tentures sombres, les murs blancs dissimulés derrière des toiles noires et un éclairage timide vient tout juste illuminer les pièces présentées. Noir, c'est noir. Passé les premières surprises on arrive tout de même à se sentir plus à l'aise : c'est l'entrée dans une intimité qui apparaît comme refermée sur elle-même ou captive. Mais n'y a-t-il pas là quelque chose de l'ordre de cette "obscure clarté qui tombe des étoiles"?</div>
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L'exposition prend place dans un des étages de ce bâtiment de la place des Vosges qui abritât autrefois l'appartement de la famille des Hugo. La présentation s'articule en sept grandes parties chacune occupant une ou plusieurs salles :</div>
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<li><b>Noir comme la jeunesse :</b> Quelques pièces intéressantes sont présentées comme des pages de cahier (Victor Hugo et Eugène Hugo : <i>Cahier manuscrit de notes et d'exercices de géométrie, 1816 - 1817</i>) ou encore quelques lettres (Victor Hugo : <i>Lettre à son père, 8 mai 1823</i>). On trouve également des éléments de genèse sur des textes comme <i>Han d'Islande</i>, <i>Bug-Jargal</i> et <i>Notre-Dame de Paris</i> à propos desquels l'auteur a déclaré avec humour : "Un matin je me suis dit : je ferai trois romans sur les numéros des trois premiers cabriolets que je rencontrerai aujourd'hui. J'ai rencontré les numéros 1699, 1792 et 1482. C'est pourquoi j'ai fait <i>Han d'Islande</i>, <i>Bug-Jargal</i> et <i>Notre-Dame de Paris</i>." Mais entre des illustrations de Gustave Doré et de George Rochegrosse sont présentés des dessins de Victor Hugo : sombres et parfois en relation avec la mort ils annoncent notamment ses prises de position contre la peine capitale dans <i>Le Dernier jour d'un condamné</i>. Ainsi, on rencontre un fou, des ruines, des potences et un fac-simile de Victor Hugo intitulé JVSTITIA.</li>
<li><b>Noir comme le théâtre des passions :</b> Il s'agit ici de la passion du théâtre mais aussi de la passion des femmes notamment avec Juliette Drouet. Hugo investit l'espace de la scène : en représentant des personnages costumés par exemple ; il investit également la diversité des genre théâtraux en s'illustrant à la fois au mélodrame, à la tragédie, au vaudeville, à l'opéra-comique et aussi au drame romantique. Dans cette pièce est exposée une robe portée par Juliette Drouet pour le rôle de la princesse Negroni dans <i>Lucrèce Borgia</i> (1833) : la rencontre de cette dernière avec l'auteur est donc marquée à la base par le sceau du théâtre et de la passion. Deux facettes d'un même élan.</li>
</ul>
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<a href="http://loiclegall.com/images/mvh_2183.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://loiclegall.com/images/mvh_2183.jpg" height="239" width="320" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<span style="color: #7f6000;"><span style="font-size: x-small;"><i>Vue sur un pan de la deuxième partie - "Noir comme le théâtre des passions".</i></span></span> </div>
<ul style="text-align: justify;">
<li><b>Noir comme les voyages :</b> Hugo écrivait dans<i> Choses Vues</i> (1863) "C'est au-dedans de soi qu'il faut regarder le dehors" et il apparaît notamment à travers ses dessins qu'il s'est appliqué à mettre en pratique ce précepte. Les représentations ne sont pas évidentes, elles sont comme passées à travers le philtre d'une intériorité qui nous échappe. Les silhouette massive des châteaux se dérobent dans le lointain et le ciel semble crouler sous une épaisse chape de plomb. Victor Hugo écrivait dans une lettre à Baudelaire en 1860 : "du crayon, du fusain, de la sépia, du charbon, de la suie et toutes sortes de mixtures bizarres qui arrivent à rendre à peu près ce que j'ai dans l'oeil et surtout dans l'esprit." Par ces voyages, Hugo saisit et présente une réalité vue et sentie qui lui est très personnelle.</li>
<li><b>Noir comme la liberté :</b> Dans sa jeunesse, l'auteur a des positions politiques ultras - c'est-à-dire qu'il s'ancre dans un mouvement plutôt aristocratique prônant le retour de la royauté - mais au cours de sa vie il progressera radicalement vers la gauche en connaissant l'exil et il ira même jusqu'à héberger des communards (des anarchistes libertaires réprimés de façon sanglante par le pouvoir versaillais, parmi les communards on trouve notamment Louise Michel envoyée au bagne de Cayenne). Cette partie de l'exposition propose au visiteur un éclairage sur la période de l'exil puisque Hugo a été proscrit en 1851 pour s'être opposé à Napoléon III. C'est ici qu'est exposé le dessin du pendu sous-titré "ECCE LEX" ce qui lance sans ambages au visiteur un sentiment très dur d'ironie tragique. Ici, les discours politiques sont présentés à côté de dessins et de lettres : cette diversité des pièces nous laisse entrevoir l'énergie considérable qui anime Hugo dans son combat pour la liberté.</li>
<li><b>Le choix du Noir :</b> "L'homme qui ne médite pas vit dans l'aveuglement, l'homme qui médite vit dans l'obscurité. Nous n'avons que le choix du noir" Victor Hugo, <i>William Shakespeare</i>, I,5, les Âmes I, 1864. Cette constatation pathétique et tragique accueille le visiteur dans cette nouvelle pièce. Encore une fois le ton est donné d'emblée : il n'y a pas d'autres alternatives que le noir. Après l'énergie du combat pour la liberté, il y a ici quelque chose de l'ordre de la léthargie et de l'étouffement. Les dessins représentent quasiment exclusivement des décors d'intérieurs. On se sent comme immobilisés dans une atmosphère pesante et un peu étouffante. Le choix du Noir doit-il être nécessairement tragique?</li>
</ul>
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<a href="http://www.officiel-galeries-musees.com/uploads/expositions/1f9e7f207e7f8c9ed5a4ffc2389c01524a0d9a74.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://www.officiel-galeries-musees.com/uploads/expositions/1f9e7f207e7f8c9ed5a4ffc2389c01524a0d9a74.jpg" height="400" width="213" /></a></div>
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<span style="color: #7f6000;"><i><span style="font-size: x-small;">Victor Hugo, </span></i><span style="font-size: x-small;">Le Phare des Casques<i>, 1866.</i></span></span> </div>
<ul style="text-align: justify;">
<li><b>Noir comme l'infini</b> <b>:</b> L'infini, presque systématiquement associée au noir dans la mythologie hugolienne, vient ici désengorger le coeur qui s'étouffe et offre au visiteur une bouffée d'air. L'infini décloisonne l'espace. C'est le retour de l'énergie avec les dessins de bateaux secoués par les vagues. On trouve dans cette partie de l'exposition le frontispice dessiné par Hugo pour <i>La Légende des siècles</i> ou encore plusieurs portraits de Copeau des <i>Travailleurs de la mer</i>. Si l'infini est noir, le noir est à conquérir.</li>
<li><b>Noir comme l'éblouissement :</b> "L'état normal du ciel, c'est la nuit... les univers qui y sont noyés y gravitent comme à l'aventure sans savoir autour de quoi [alors que] le jour, bref dans la durée comme dans l'espace, n'est qu'une proximité d'étoile." Victor Hugo. Cette dernière salle est entièrement noire. Qu'en est-il des pièces présentées? Il n'y en a pas. Juste une voix qui lit doucement un texte. Deux projecteurs accrochent sur les murs des clartés qui essaient de représenter des figures qui nous échappent. Des bancs permettent de nous asseoir, entièrement plongés dans le noir, en attendant l'éblouissement.</li>
</ul>
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<u>Impressions :</u></div>
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Cette atmosphère extrêmement noire et renfermée est très particulière. Le visiteur entre dans un état de bien-être avec la sensation du refuge offert mais il ressent aussi comme un enfermement, un état de cécité brutalement provoqué. Les salles qui se succèdent sont donc comme autant d'étapes d'un tunnel qu'il faudrait traverser. Mais au bout du tunnel, nulle lumière, seulement un noir total et enveloppant. Peut-être aurait-il été plus classique de présenter au visiteur un éclaircissement final : des murs nus, un éclairage, une fenêtre ouverte? Cependant, selon Hugo, si éblouissement il y a, c'est dans le noir le plus profond qu'il survient. Alors laissez-vous étreindre dans la chaleur d'une pièce entièrement sombre et patientez : l'éblouissement dans le noir est la quête... de toute une vie.</div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_0dEe7ef3qybmVRFoZ_CVQOGbCjnylzV3B2IYDivVaNm5UkVRmOEfN0dA3-L3zqA9Cy0499vUh9VLTT5LRpxxemNg4g-BXj3n2ZGV-7v0mbnfwGnO2f2CDQVm7yzjkSDl25QlztzoOQbw/s1600/maison_hugo.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh_0dEe7ef3qybmVRFoZ_CVQOGbCjnylzV3B2IYDivVaNm5UkVRmOEfN0dA3-L3zqA9Cy0499vUh9VLTT5LRpxxemNg4g-BXj3n2ZGV-7v0mbnfwGnO2f2CDQVm7yzjkSDl25QlztzoOQbw/s320/maison_hugo.JPG" width="275" /></a></div>
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<div style="text-align: justify;">
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<span style="color: #7f6000;"><span style="font-size: x-small;"><i>La Maison de Victor Hugo, Place des Vosges (Paris).</i></span></span></div>
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<u>La Maison de Victor Hugo :</u></div>
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Victor a séjourné dans cet hôtel de Rohan-Guéménée sur la place des Vosges à Paris de 1832 à 1842. On peut y visiter une reconstitution de son appartement et d'autres lieux dans lesquels il a vécu scindée en trois parties :</div>
<ul style="text-align: justify;">
<li>Avant l'exil : Antichambre et Salon de Réception ;</li>
<li>Pendant l'exil : Salon chinois de Juliette Drouet à Guernesey, Salle à manger de Juliette Drouet à Guernesey et Salon de Victor Hugo ;</li>
<li>Depuis l'exil : Cabinet de travail, Chambre de Victor Hugo.</li>
</ul>
<div style="text-align: justify;">
Certaines pièces présentées sont authentiques ce qui est très émouvant, il s'agit de s'immerger pleinement dans l'univers de cet homme d'exception. Cette visite est un bon moyen de découvrir ou redécouvrir cette figure très importante de la littérature française.<br />
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<a href="http://www.linternaute.com/musee/image_musee/540/54663_1404178180/maison-de-victor-hugo.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://www.linternaute.com/musee/image_musee/540/54663_1404178180/maison-de-victor-hugo.jpg" height="266" width="400" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<span style="font-size: x-small;"><i><span style="color: #7f6000;">Chambre de Victor Hugo avenue d'Eylau.</span></i></span></div>
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Unknownnoreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-26829083952687104142012-08-18T17:49:00.002+02:002012-08-18T19:54:10.810+02:00Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez<span style="font-size: large;">Critique de <i>Cent ans de solitude</i> de Gabriel García Márquez</span><br />
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<a href="http://www.mollat.com/cache/Couvertures/9782020238113.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://www.mollat.com/cache/Couvertures/9782020238113.jpg" width="195" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture : Une épopée vaste et multiple, un mythe haut en couleurs plein de rêve et de réel. Histoire à la fois minutieuse et délirante, d'une dynastie : la fondation, par l'ancêtre d'un village sud-américain isolé du reste du monde ; les grandes heures marquées par la magie et l'alchimie ; la décadence ; le déluge et la mort des animaux. Ce roman proliférant, merveilleux et doré comme une enluminure, est à sa façon un Quichotte sud-américain : même sens de la parodie, même rage d'écrire, même fête cyclique des orages et des mots.</i></div>
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José Arcadio Buendia et Ursula Iguarán sont cousins germains mais s'engagent pourtant dans une liaison incestueuse. Une menace évidente de consanguinité pèse sur cette union qui répond à celle de la tante d'Ursula mariée à l'oncle de José Arcadio. En effet, cette alliance première avait engendré un enfant à queue de cochon. Ursula vit alors dans la crainte de donner naissance à une créature similaire et refuse de se donner à son mari José Arcadio qui doit essuyer les propos dégradants d'impuissance qui circulent dans le village de Riohacha à son sujet. À l'occasion d'un combat de coqs, un homme - Prudencio Aguilar - mentionne la rumeur en face de José Arcadio qui décide de le provoquer en duel et le tue. Le couple décide alors de fuir Riohacha avec certains villageois et ils fondent finalement le village de Macondo. Débute alors une large fresque familiale et humaine racontant le quotidien d'une lignée condamnée à cent ans de solitude.</div>
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<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
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On m'avait beaucoup parlé de cet auteur colombien, prix Nobel de littérature en 1982. J'avais donc très envie de le découvrir d'autant plus que mes références sont très faibles en ce qui concerne la littérature sud américaine.</div>
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Depuis la fondation de Macondo par les Buendia jusqu'à l'abandon du village et l'extinction de la lignée, on a une fresque familiale qui rappelle l'histoire de l'humanité avec Adam et Ève bannis de l'Eden suite au péché originel. En effet, après la liaison incestueuse de José Arcadio Buendia et d'Ursula, la lignée est condamnée à cent ans de solitude bien loin de l'âge d'or perdu qui fait clairement référence au mythe des origines. Cette construction donne à cet ouvrage une richesse et une densité incroyables qui évoquent des mythes et des contes comme les <i>Mille et Une Nuits</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette fresque est également empreinte d'un réalisme magique très spécial et coloré : les gitans qui amènent des objets fantastiques, les arabes qui utilisent des tapis volants avec leurs perroquets, la prophétie du vieux gitan Melquiades, l'élévation de Remedios-la-belle, la lévitation de l'homme d'église lorsqu'il déguste une tasse de chocolat chaud, les morts qui reviennent parler aux vivants... Autant d'éléments qui s'ancrent dans une réalité imaginée et magique. C'est à partir de ces faits que se façonne une mythologie toute particulière à Macondo. Malheureusement, au fil des générations, cette magie propre au village s'efface jusqu'à disparaître totalement. C'est une nouvelle perte de l'âge d'or qui conduit les derniers représentants des Buendia à se demander si cette magie n'est pas un mythe, des fables racontées par leur parents pour tenter de réenchanter le présent.</div>
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Comme dans l'évolution d'une dynastie, certains caractères meurent, d'autres apparaissent dans un renouvellement constant qui apparaît comme un cycle qui se répète. Ursula par exemple est un personnage qui traverse le récit et reste présent pratiquement du début à la fin. Ainsi qu'une figure tutélaire du récit, elle passe successivement par le stade de jeune femme, de mère, de grand-mère et d'ancêtre. Elle subit également la cécité et la folie dans le cadre d'une dégradation progressive. Certains noms sont donnés de génération en génération comme Aureliano, José Arcadio pour les hommes ou encore Remedios et Amaranta pour les femmes. La plupart du temps - et c'est particulièrement vrai pour les hommes - ces noms portent en eux certains traits physiques et psychologiques qui réapparaissent donc périodiquement au sein de la famille grâce à cette transmission. Il s'agit véritablement de faire renaître l'ancêtre dans sa descendance.</div>
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On trouve relativement peu de personnages qui ne font pas partie de la famille des Buendia. Certains de ces personnages extérieurs à la lignée et donc secondaires sont intégrés aux Buendia par le mariage ou l'adoption et deviennent alors des figures importantes. C'est le cas par exemple pour Pietro Crespi ou encore Rebecca et Remedios. Les maîtresses également sont tacitement admises au sein de la lignée, en effet, Pilar Ternera et Petra Cotes sont deux caractères importants qui traversent le texte. Les personnages qui restent en marge de la famille demeurent généralement secondaires à part naturellement le vieux gitan Melquiades qui apparaît comme un devin mystique tenant dans ses mains le destin des Buendia. La jeune Remedios, foudroyée par la vie, entre dans la famille grâce à un mariage précoce, c'est un modèle d'intégration au sein de la lignée étant donné que son nom sera donné ensuite à la génération suivante avec la magnifique Remedios-la-belle ce personnage étrange et distancié qui aura d'ailleurs l'étrange destin de s'élever au ciel comme une figure d'engeance divine. La transmission d'un nom inscrit systématiquement l'histoire personnelle de son porteur originel dans la mythologie de Macondo et des Buendia.</div>
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J'ai trouvé que ce texte était très riche en références littéraires. On trouve Rabelais avec les énormes buffets qui ne vont pas sans rappeler les géants Gargantua et Pantagruel. L'auteur utilise également le carnavalesque théorisé par Mikhaïl Bakhtine dans l'<i>Œuvre de François Rabelais </i>grâce notamment aux notions d'inversion ou de haut et bas corporel<i>.</i> Certains personnages tendent également à amasser une connaissance encyclopédique qui s'ancre directement dans le désir humaniste de connaître le monde et de se connaître soi-même. Mais n'y a-t-il pas là également l'expression de l'une des trois tentations bibliques parmi lesquelles on trouve <i>libido sciendi</i>, (soif de connaître) <i>libido sentiendi</i> (soif des plaisirs de la chair) et <i>libido dominandi</i> (soif de pouvoir) ? Le désir de connaître relayé par des péchés comme la vanité, l'orgueil et la curiosité est une des concupiscences qui trouve ici une puissante illustration. <i>Libido sentiendi </i>et <i>libido dominandi</i> trouvent aussi périodiquement leur expression au cours du récit. La <i>Bible</i> est donc également l'une des influences Gabriel García Márquez lorsqu'il rédige <i>Cent ans de solitude</i>. La construction même du Livre Saint et reprise avec la Genèse et l'Exode dans l'<i>Ancien Testament</i> ainsi que l'Apocalypse dans le <i>Nouveau Testament</i>. On trouve aussi dans cet ouvrage la couleur des <i>Mille et Une Nuits</i> avec ces contes fabuleux et fantastiques.</div>
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Comme le souligne Albert Bensoussan dans une introduction à l'ouvrage, Gabriel García Márquez écrit aussi sur la réalité du monde latino-américain. En effet, lors de la fondation du village, les hommes trouvent un vieux bateau et une armure abandonnée à la rouille qui sont autant de références aux premiers conquérants. Il y a de même la compagnie bananière symbole du capitalisme qui engendre les grèves et la lutte sociale qui demeurent des réalités sud américaines. Plus généralement s'exprime aussi à Macondo le rapport conflictuel entre les conservateurs et les libéraux. <i>Cent ans de solitude</i> est donc un livre dense qui autorise plusieurs lectures qui contribuent à sa richesse intrinsèque.</div>
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Nous sommes donc face à un ouvrage éminemment fort et poétique fait d'histoires et de légendes qui viennent finalement construire un mythe. J'ai été très troublée et touchée par les dernières pages de l'ouvrage qui opèrent une montée en tension fascinante et accélèrent le récit jusqu'à sa chute finale. Et comme l'affirme Albert Bensoussan dans sa présentation à l'ouvrage : <i>"l'espace se transforme en temps éternellement recommencé et qui se referme sur un siècle de solitude"</i>. Et c'est d'ailleurs ce que nous dit l'implacable dernière phrase du roman qui offre au lecteur une vérité insondable : <i>"aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n'était pas donné sur terre de seconde chance."</i></div>
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<u>Du même auteur :</u></div>
<ul>
<li><i>Chronique d'une mort annoncée</i></li>
<li><i>L'Amour au temps du choléra</i></li>
<li><i>Douze contes vagabonds</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
<ul>
<li><i> Pantagruel</i> de Rabelais</li>
<li><i>Les Mille et Une Nuits</i></li>
<li><i>L'Odyssée </i>d'Homère</li>
</ul>
Merci aux éditions <a href="http://www.editionspoint2.com/" target="_blank">Point 2</a> <a href="http://www.jeunesse.hachette-livre.fr/" target="_blank"></a> pour ce partenariat. Merci également au site internet <a href="http://www.livraddict.com/" target="_blank">Livraddict</a> pour avoir assuré son organisation.
Unknownnoreply@blogger.com8Colombie4.570868 -74.297333-11.424770500000001 -94.5121765 20.5665065 -54.082489499999994tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-20566384105279408392012-08-15T23:16:00.000+02:002018-02-03T21:05:13.171+01:00"Sur la route" de Jack Kerouac : L'épopée, de l'écrit à l'écran<div style="color: #990000; text-align: center;">
<span style="font-size: large;">Exposition au Musée des Lettres et des Manuscrits (MLM) du 16 mai au 19 août 2012</span></div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh5MFTWSv1qoSrdmTxGuu9zOgknv6VgMg4JOjrsBla8tkoEB1BWMShz4kwyuS5fcK8FNxi4ByZcQM1a73vmBHL2mMMGL6Suc68FTm8ipAw9TCOBp4b2k0lz9qemggN31p4nJjx5xwOK1pOQ/s1600/7242462116_d909e917e7_o(2).jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh5MFTWSv1qoSrdmTxGuu9zOgknv6VgMg4JOjrsBla8tkoEB1BWMShz4kwyuS5fcK8FNxi4ByZcQM1a73vmBHL2mMMGL6Suc68FTm8ipAw9TCOBp4b2k0lz9qemggN31p4nJjx5xwOK1pOQ/s400/7242462116_d909e917e7_o(2).jpg" width="273" /></a><span style="font-size: large;"> </span></div>
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Récemment adapté à l'écran par Walter Salles, l'ouvrage incontournable de la littérature mondiale <i>Sur la route</i> de Jack Kerouac connaît ces temps-ci une actualité riche. Le Musée des Lettres et des Manuscrits qui se trouve à Paris dans le quartier littéraire de Saint-Germain-des-Prés (VIIème arrondissement) profite de l'occasion pour lancer une exposition en partenariat avec MK2 autour de ce chef-d'oeuvre de Jack Kerouac et de sa récente adaptation cinématographique.</div>
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<a name='more'></a><br /></div>
<div style="color: #990000; text-align: justify;">
<u>Organisation et présentation :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
L'exposition (bilingue français/anglais) prend place dans une seule salle de taille plutôt moyenne, cependant les pièces présentées sont nombreuses. L'exposition est donc très dense en informations et il vous faudra largement plus de trente minutes pour faire le tour de tout ce qu'il y a à voir.</div>
<div style="text-align: justify;">
Globalement, l'exposition se divise en trois parties :</div>
<ul style="text-align: justify;">
<li>La première nous propose une plongée dans l'univers de Jack Kerouac qui n'est pas seulement l'auteur de son livre mais aussi l'un de ses personnages. Dès l'entrée, on trouve un large panneau qui récapitule les étapes importantes de sa vie depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Ceci nous permet de comprendre les enjeux de sa relation avec Neal Cassady. Ensuite de nombreuses vitrines réparties sur toute la longueur de la pièce nous projettent dans son univers quotidien avec l'exposition de vinyls de blues, de tubes de benzedrine, d'une machine à écrire ou encore d'ouvrages de la littérature mondiale qui figuraient parmi ces influences majeures (<i>Feuilles d'herbe</i> de Walt Whitman, <i>Walden </i>de Thoreau, <i>la Comédie Humaine </i>de Balzac, <i>Voyage au bout de la nuit </i>de Céline, <i>Une saison en enfer </i>de Rimbaud, <i>Du côté de chez Swann</i> de Proust, Dostoïevski, Tolstoï, Mark Twain...). Grâce à ces pièces exposées on saisit mieux l'ambiance dans laquelle Jack Kerouac évoluait et comment il s'est construit en tant qu'auteur. D'autres figures majeures de la Beat Generation sont également représentées en vitrine où l'on découvre notamment <i>Howl </i>d'Allen Ginsberg et des portraits de Neal Cassady.</li>
</ul>
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://www.francetvinfo.fr/image/74r8nyxbr-eb3d/570/320/555127.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://www.francetvinfo.fr/image/74r8nyxbr-eb3d/570/320/555127.jpg" height="223" width="400" /></a></div>
</div>
<div style="text-align: center;">
<i><span style="color: #7f6000;"><span style="font-size: x-small;">Première partie de l'exposition.</span></span></i> </div>
<ul style="text-align: justify;">
<li>La deuxième se compose de la pièce majeure et mythique de cette exposition : le rouleau original de <i>Sur la route</i>. Cet objet est composé d'innombrables feuilles de papier calque coupées et reliées entre elles par du scotch. Le tout mesure 36 mètres. Contrairement à la légende, le visiteur pourra observer que ce tapuscrit est bien ponctué. Jack Kerouac a façonné cet objet afin de laisser libre court à son inspiration sans possibilité de corrections ultérieures et de retouches qui s'apparentaient pour lui à de l'auto-censure. C'est un espace entièrement consacré à la prose spontanée. Jack Kerouac déclare à propos de ce rouleau : <i>"J'ai écrit ce livre sous l'emprise du café [...] 6.000 mots par jour, 12.000 le premier jour et 15.000 le dernier" </i>et <i>"Je l'ai fait passer dans la machine à écrire et donc pas de paragraphes, [je] l'ai déroulé sur le plancher et il ressemble à la route"</i>. Selon une anecdote avérée, le fin du rouleau a été dévorée par un chien. Le rouleau est exposé sous verre au centre de l'exposition accompagné de petites notes concernant les différences fondamentales entre le texte du rouleau et celui des premières éditions du roman, largement édulcorées. Des tables de présentation vitrées contiennent également des lettres et des articles de presse qui rendent compte des difficultés de Jack Kerouac à se faire publier ainsi que de l'accueil mitigé dont le livre à bénéficié à sa sortie.</li>
</ul>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgjkqFafQ3no3LEq3uD_upTw7z5ms9HiWLI4nPhd1GFBEzfEk2XCYfnuiSAuQ0MuitJxW97YtRZEAHdV6kDrKUovrb1xTXD3RG9JVkAPg6vm_0VQn4HtqoW_wUWLCLvDlWqKGWg-DbECCyd/s1600/expo_kerouac3.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="405" data-original-width="348" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgjkqFafQ3no3LEq3uD_upTw7z5ms9HiWLI4nPhd1GFBEzfEk2XCYfnuiSAuQ0MuitJxW97YtRZEAHdV6kDrKUovrb1xTXD3RG9JVkAPg6vm_0VQn4HtqoW_wUWLCLvDlWqKGWg-DbECCyd/s320/expo_kerouac3.jpg" width="274" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<br /></div>
<ul style="text-align: justify;">
</ul>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<div style="text-align: center;">
<i><span style="color: #7f6000; font-size: x-small;">Le rouleau original prolongé par la route en perspective.</span></i> </div>
<ul style="text-align: justify;">
<li>Enfin la troisième est majoritairement centrée sur l'adaptation cinématographique. On y trouve de nombreux clichés de tournage et des explications sur les lieux qu'il a parfois été nécessaire de totalement reconstituer. Un <i>Who's Who</i> indique les correspondances entre les acteurs et les personnages réels : le visiteur sera certainement étonné de constater la ressemblance entre les clichés comparatifs. Une lettre de Jack Kerouac à Marlon Brando indique que l'auteur de Sur la route avait réellement envisagé l'adaptation cinématographique de son ouvrage et qu'il proposait même de le réorganiser afin de le conformer à ce nouveau format. De nombreux objets utilisés durant le tournage (carnets, photographie...) sont aussi présentés avec certains témoignages des acteurs qui parlent de leur relation au livre. Enfin, des extrait du film sont disponibles sur un écran qui diffuse également un interview de Jack Kerouac où ce dernier s'exprime en français.</li>
</ul>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://www.lexpress.fr/pictures/640/327715_l-acteur-sam-riley-dans-le-role-de-l-ecrivain-jack-kerouac-dans-le-film-sur-la-route-du-bresilien-walter-salles.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://www.lexpress.fr/pictures/640/327715_l-acteur-sam-riley-dans-le-role-de-l-ecrivain-jack-kerouac-dans-le-film-sur-la-route-du-bresilien-walter-salles.jpg" height="218" width="320" /></a></div>
<div style="color: #7f6000; text-align: center;">
<i><span style="font-size: x-small;">Sam Riley incarne Sal Paradise (Jack Kerouac) dans l'adaptation du roman de Walter Salles.</span></i></div>
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</div>
<div style="color: #990000; text-align: justify;">
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<br /></div>
<u>Des choix judicieux :</u></div>
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J'ai trouvé cette exposition très intéressante et bien faite. En effet, l'organisation des pièces permet au visiteur de s'y retrouver et d'appréhender l'univers du livre et du film en toute simplicité. Les objets présentés sont de natures différentes : lettres, livres, objets, photographies, vidéos ou encore vinyls. Ce bel effort de diversité nous invite à découvrir tout un univers.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le thème de la route et du voyage et repris dans la décoration de la salle. Sur le sol, un linoleum qui représente la route avec le rouleau original à la place du revêtement en goudron est collé et se marie totalement avec les tons de l'affiche de l'exposition. Le vrai rouleau original quant à lui est exposé précisément au centre de cette fausse route au sol ce qui rappelle les propos de Jack Kerouac concernant le rouleau représentant la route. Dans un coin de la pièce, une très grande affiche reproduit les couvertures de <i>Sur la route</i> dans toutes les langues et dans beaucoup d'éditions différentes. Le visiteur devient donc à sa façon un voyageur de la route grâce à l'immersion dans l'ambiance de la Beat Generation.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les notes explicatives concernant chaque pièce ainsi que les panneaux écrits sont très clairs et intéressants. Les explications générales côtoient des commentaires érudits dans un ensemble contrasté qui ravira les promeneurs autant que les connaisseurs. J'ai même retenu certaines phrases comme cette note concernant Proust et Kerouac : <i>"Proust voulait inscrire l'instant dans l'éternité, Jack Kerouac quant à lui voulait inscrire l'éternité dans l'instant."</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Il ne reste que quelques jours pour voir l'exposition mais vous pouvez toujours lire <i>Sur la route </i>de Jack Kerouac et visionner l'adaptation de Walter Salles!</div>
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<br /></div>
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<u>Le Musée des Lettres et des Manuscrits :</u></div>
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En 2004, Gérard Lhéritier décide de fonder un musée entièrement dédié à la présentation de Lettres et de Manuscrits. Composé de plusieurs salles, les collections se déclinent selon différents thèmes : l'Histoire, les Arts, la Littérature, les Sciences et la Musique. Il est très émouvant de découvrir les lettres manuscrites de figures importantes qui sont comme autant de témoignages du passé. Certaines pièces datent même du Moyen-Âge. Qu'on soit scientifique, littéraire, historien ou musicien, impossible de ne pas y trouver son compte!</div>
<div style="text-align: justify;">
Le Musée des Lettres et des Manuscrits organise toute l'année des expositions, n'oubliez pas de jeter parfois un coup d'oeil à la programmation! Quelques exemples d'expositions présentées en ses murs : "Marcel Proust, du temps perdu au temps retrouvé" ; "l'Académie Française au fil des lettres" ; "Romain Gary : des <i>Racines du ciel</i> à <i>La vie devant soi</i>" ; "Des lettres et des peintres (Manet, Gauguin, Matisse...).<br />
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhId9s24NdFSOctV199QasnWiOYwndXq4uDujbTE9MI24PnaODhdwnUND5Rc47Y545KA9vBkcTH0c-dZSqXFOMN8Ln7Qk4rjiyUUNFTXQYSkXtTZbNUJeUA3OHeiGJ5OMadad5F_qzk-G40/s1600/7232463724_c24be01361_c.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhId9s24NdFSOctV199QasnWiOYwndXq4uDujbTE9MI24PnaODhdwnUND5Rc47Y545KA9vBkcTH0c-dZSqXFOMN8Ln7Qk4rjiyUUNFTXQYSkXtTZbNUJeUA3OHeiGJ5OMadad5F_qzk-G40/s400/7232463724_c24be01361_c.jpg" width="266" /></a></div>
<div style="text-align: center;">
<i><span style="color: #7f6000;"><span style="font-size: x-small;">Le Musée des Lettres et des Manuscrits.</span></span></i> </div>
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<br /></div>
</div>
Unknownnoreply@blogger.com2Paris, France48.856614 2.352221948.773036 2.1942934 48.940192 2.5101504tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-1639111879057578462012-07-21T22:57:00.002+02:002016-12-20T21:32:59.354+01:00Les Nuées d'Aristophane<span style="font-size: large;">Critique des <i>Nuées</i> d'Aristophane</span><br />
<br />
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</div>
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<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhAQwwMOaq-CNhKd4iW2UHEe-2cf4WpYH7zu8WPR3dq5i1E6oJTcebMvwMOKZ9DaQoVjBS2AvI7RROq1ZGSouu0zEbOZEPs_9szVk1GuxxL-UAZuRXCdNgwaJnI_9z4rAM93xbzCJRwKTGb/s1600/nuees_aristophane.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhAQwwMOaq-CNhKd4iW2UHEe-2cf4WpYH7zu8WPR3dq5i1E6oJTcebMvwMOKZ9DaQoVjBS2AvI7RROq1ZGSouu0zEbOZEPs_9szVk1GuxxL-UAZuRXCdNgwaJnI_9z4rAM93xbzCJRwKTGb/s320/nuees_aristophane.jpg" width="194" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : Ils vont nu-pieds, leur teint est pâle comme celui des cadavres, leurs regards sont brillants. Ils se servent de leur langue affûtée pour enseigner, contre salaire, l'art exquis de douter de tout, de transformer le discours juste en discours injuste et de vivre au-dessus des lois. Dans l'ombre du "pensoir", ces morts-vivants ont pour maître le bavard, le divin Socrate.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>À travers ces personnages, synthèse des différents intellectuels qui vivaient à Athènes aux alentours de 423 av. J.-C., Aristophane s'interroge sur l'impact qu'on les idées des sophistes sur les citoyens. Conservateur résolu, ardent défenseur de la morale et de l'éducation léguées par la tradition, il déteste les novateurs et met dans le même sac les sophistes et Socrate, cet homme étrange qui semblait toujours dans les nuages.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Les </i>Nuées<i> sont la plus connue des comédies d'Aristophane, mais aussi une de ses plus belles réussites.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Strepsiade, un homme de condition modeste, est marié à une femme d'origine sociale plus élevée que lui dont il a un fils, Phidippide. Le garçon nourrit une passion pour l'équitation et le monde du cheval qui ruine la famille et petit à petit, Strepsiade s'enterre sous les dettes. Ce dernier a alors l'idée de rendre visite à Socrate, l'un de ces philosophes qui parcourent la cité pour vanter leur philosophie de maîtrise de la langue et de la rhétorique. Strepsiade pense pouvoir convaincre ses créanciers, grâce à l'utilisation du discours injuste, de renoncer à leur argent. Cependant, Strepsiade n'est absolument pas réceptif aux enseignements de Socrate et apparaît petit à petit comme incapable de tout raisonnement philosophique et logique. Dans un tel cadre, Strepsiade enjoint son fils à recevoir à sa place la sagesse de Socrate. Et si ces petites manoeuvres fourbes n'aboutissaient pas?</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u></u><br />
<a name='more'></a><u>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
Cette pièce a été présentée aux Grandes Dionysies de 423 av. J.-C. et cette dernière y avait obtenu la troisième place. Ce fait est d'ailleurs évoqué dans la première parabase (v. 510 - 626) dans laquelle Aristophane moque ses rivaux Cratinos et Amipsias qui obtinrent respectivement le premier et le second prix ce qui indique d'ailleurs qu'il y a eu au moins deux versions des <i>Nuées</i>. Ce n'est pas là seule fois que l'auteur s'attache à rompre l'illusion dramatique, ce qui est le propre de la parabase. Il se trouve que les interpellations en direction du spectateur et les prises à témoin sont nombreuses. Je me suis habituée à ce procédé très fréquent dans le théâtre antique mais il est vrai que de prime abord le lecteur peut en être dérouté et surpris.</div>
<div style="text-align: justify;">
Une des cibles de ce texte sont les sophistes qui enseignent la rhétorique et le <i>logos Adikos </i>(le discours politique) qui s'oppose ici au <i>logos Dikaios</i> (le discours juste). Les sophistes assurent même la conversion du <i>logos Dikaios </i>en <i>logos Adikos</i> par le moyen du <i>glossostrophein,</i> le façonnement de la langue. J'ai beaucoup apprécié le personnage comique de Socrate qui se confond avec les sophistes. Il m'est apparu comme relativement ambivalent du fait qu'il soit tantôt montré comme un <i>goês</i>, <i>"un magicien, un enchanteur capable de plier les dieux à sa volonté"</i> (1) puisqu'il semblerait qu'il se présente sur scène à l'aide d'une machine surélevée et tantôt raillé dans sa condition même de philosophe, je pense notamment au passage de la fiente du lézard qui laisse entendre qu'il ne sait pas distinguer la peau d'un lézard moucheté d'une voûte céleste étoilée : </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>"UN DISCIPLE. Et dernièrement donc, il fut frustré d'une grande pensée par un lézard.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>STREPSIADE. Comment cela? Raconte-le moi.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>LE DISCIPLE. Comme il observait la lune pour étudier son cours et ses révolutions, voilà qu'au moment où il regardait en l'air la bouche ouverte, du haut du toit, la nuit, un lézard moucheté lâcha sur lui sa... fiente.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>STREPSIADE. Délicieux! Un lézard qui lâche sa fiente sur Socrate!" (2)</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Faire ainsi participer ce personnage respectable de philosophe à des plaisanteries qui le ramènent à sa condition de mortel faillible tendent ainsi à le diminuer graduellement.</div>
<div style="text-align: justify;">
La première scène d'<i>agôn</i> de cette comédie oppose deux allégories qui représentent le <i>logos dikaios</i> et le <i>logos adikos</i>. C'est une scène assez longue qui représente naturellement un point clef de la pièce. Certains critiques et historiens affirment que sur les planches, le "raisonnement juste" et le "raisonnement injuste" étaient déguisés en coqs de combat qui s'affrontaient.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le personnage de Strepsiade est également une autre cible de la pièce : c'est un homme de condition modeste qui a fait un mariage avec une femme plus élevée socialement que lui et dont il a eu un fils, Phidippide dont le nom même reflète qu'il est issu d'un mariage problématique. En effet, les noms en <i>-hippos</i> se rencontraient surtout dans la haute société athénienne et le nom de Phidippide se compose de <i>"pheidon"</i> et <i>"hippos"</i> comme le remarque Silvia Milanezi (3) : "<i>Phidippide porte un nom ridicule qui allie les aspirations aristocratiques et rustiques. Fabriqué à partir de</i> "pheidon" <i>et </i>"hippos", <i>il signifie quelque chose comme </i>"celui qui épargne le cheval"." Ce fils est passionné d'équitation, une occupation très onéreuse et au-dessus des moyens du ménage de Strepsiade qui petit à petit, se crible de dettes. Strepsiade représente donc l'archétype du paysan près de son argent et parfois malhonnête puisqu'il a recours au <i>logos adikos</i> pour tenter de ne pas payer ses créancier. Les sophistes ont donc ici une influence néfaste sur le citoyen. D'ailleurs Strepsiade est présenté comme plein de <i>pôneria </i>: la malice, l'iniquité, la dépravation et les désirs mauvais.</div>
<div style="text-align: justify;">
La deuxième scène d'<i>agôn</i> (v. 1345 - 1451) oppose Strepsiade à son propre fils Phidippide qui a appris à manier le <i>logos adikos</i> qu'il utilise finalement à l'encontre de son propre père. C'est un des retournements de situation les plus comiques de la pièce qui donne également lieu à une altercation physique entre le père et le fils.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le <i>"pensoir"</i> est le lieu ou Socrate apprend le maniement du logos ainsi que toute une philosophie qui remplace les dieux traditionnels par d'autres figures comme les Nuées, le Vide (<i>Chaos</i>) ou encore la langue (<i>Glossa</i>) à ses disciples. Strepsiade dit ceci à propos du <i>"pensoir"</i> : <i>"Des âmes sages c'est l'école, le "pensoir". Là dedans habitent des gens qui, parlant du ciel, vous persuadent que c'est un étouffoir, qu'il est autour de nous et que nous sommes les charbons. Ces gens-là vous apprennent, moyennant de l'argent, à faire triompher par la parole toutes les causes, justes et injustes."</i> (4) Or à la fin de la pièce, Strepsiade enflamme le <i>"pensoir"</i> qui devient donc effectivement un étouffoir :</div>
<div style="text-align: justify;">
<i><br /></i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>"SOCRATE. Hélas! infortuné! je vais misérablement suffoquer.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>LE SECOND DISCIPLE. Et moi, malheureux je serais consumé!" </i>(5)</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il y a là une espèce d'ironie tragique.</div>
<div style="text-align: justify;">
D'ailleurs la pièce semble fonctionner comme une parodie de tragédie. Il y a d'abord le personnage de Strepsiade qui s'emplit d'<i>hybris</i> en choisissant de maîtriser le <i>logos adikos</i>. Ensuite, comme le souligne Silvia Milanezi dans son introduction aux <i>Nuées</i> <i>"on trouve en effet dans les </i>Nuées,<i> des échos de la poésie tragique : les hymnes de victoire qu'entonne le héros, une fois que Socrate lui rend son fils, peuvent être compris comme l'accalmie qui précède les catastrophes tragiques. Et dans la dernière partie de la pièce, la parodie de la tragédie va s'intensifiant."</i> (6)</div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai beaucoup apprécié ce premier contact avec une comédie de l'antiquité grecque. Je compte poursuivre ma découverte de cet auteur notamment avec <i>les Guêpes</i> ou encore <i>Les Grenouilles</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
(1) Introduction aux <i>Nuées</i> d'Aristophane par Silvia Milanezi, Les Belles Lettres, Collection classiques en poche, p. XVIII.</div>
<div style="text-align: justify;">
(2) <i>Nuées</i> d'Aristophane, Les Belles Lettres, Collection classiques en poche, p. 21, v. 169 - 174.</div>
<div style="text-align: justify;">
(3) <i>Nuées</i> d'Aristophane, Les Belles Lettres, Collection classiques en poche, note n°21, p. 9.</div>
<div style="text-align: justify;">
(4) <i>Nuées</i> d'Aristophane, Les Belles Lettres, Collection classiques en poche, p. 13, v. 94 - 99.</div>
<div style="text-align: justify;">
(5) <i>Nuées </i>d'Aristophane, Les Belles Lettres, Collection classiques en poche, p.159, v. 1504 - 1505.</div>
<div style="text-align: justify;">
(6) Introduction aux <i>Nuées</i> d'Aristophane par Silvia Milanezi, Les Belles Lettres, Collection classiques en poche, p. XXV.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u>Du même auteur :</u></div>
<ul>
<li><i>Les Guêpes</i></li>
<li><i>Les Grenouilles</i></li>
<li><i>Lysistrata</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
<ul>
<li><a href="http://www.lenlivree.com/2011/12/amphitryon-de-plaute.html"><i>Amphitryon</i></a> de Plaute</li>
<li><i>Charançon </i>de Plaute</li>
<li><i>Les Ménechmes </i>de Plaute </li>
</ul>
Unknownnoreply@blogger.com3Grèce39.074208 21.82431232.772088 11.71689 45.376328 31.931734tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-16581514814184452102012-07-19T23:53:00.000+02:002016-06-30T20:03:29.782+02:00N'oubliez pas de vivre de Thibaut de Saint Pol<span style="font-size: large;">Critique de <i>N'oubliez pas de vivre</i> de Thibaut de Saint Pol</span><br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://www.mollat.com/cache/Couvertures/9782253117605.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://www.mollat.com/cache/Couvertures/9782253117605.jpg" width="196" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : L'enfer des prépas. Travailler, exceller jusqu'à "oublier de vivre". Apprendre à tout connaître et ne plus rien savoir. De soi ni des autres.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Pensionnaire pendant ses deux années d'hypokhâgne et de khâgne dans un lycée de la banlieue parisienne, un jeune homme découvre avec stupéfaction les rouages d'un monde à part. Comme un enfant pris au piège, il cherche secrètement à rompre l'isolement. Un mot, un geste, un regard échangé avec Quentin, et c'est le début d'une amitié inavouable. Dans les couloirs des classes préparatoires, là où se forme l'élite de la nation, la souffrance est silencieuse.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Un premier roman d'apprentissage, d'angoisse et de douleur, qui révèle le talent et le style remarquables d'un nouvel auteur.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Le bac en poche, mention très bien cela va sans dire, le narrateur s'apprête à franchir un nouveau pas dans sa vie : il entre en classe préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Il est naturellement conscient que la voie qu'il a choisie est exigeante et difficile, cependant il est prêt à s'investir jusqu'au bout pour atteindre son but. Il fera des rencontres et construira même une magnifique histoire d'amitié. Mais le chemin de l'excellence n'est pas sans embûches... Et si il y avait un prix à payer?</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u></u><br />
<a name='more'></a><u>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour ces élèves qui choisissent les classes préparatoires. Certes il existe des classes préparatoires tout à fait vivables et intéressantes mais d'autres sont de véritables paniers de crabes! Notre narrateur est tombé dans une CPGE où la compétition est certes présente mais où l'entraide est également quotidienne. Les cours sont denses et les méthodes d'apprentissage ressemblent étrangement à du gavage : aucune alternative il faut travailler dur et tout le temps car c'est le seul moyen de réussir.</div>
<div style="text-align: justify;">
Je me suis parfois reconnue dans le profil du narrateur qui a un but tout désigné pour lequel il se bat chaque jour. Il illustre parfaitement les valeurs de pugnacité, de l'effort et du travail. J'ai trouvé son univers de vie très aride voire traumatisant. Je pense notamment à cette pression constante qui fait que même se coucher provoque une montée de culpabilité car on sait pertinemment que dans les chambres d'à côté, la lumière du bureau est encore allumée. J'étais moi-même en tension à la lecture de cet ouvrage que j'ai terminé en moins de deux jours. Le jeune homme est obligé d'être efficace dans toutes ses actions, même le repos doit être intense pour mieux préparer les travaux à venir. Son seul réconfort est son ami Quentin ainsi que le chat de la concierge qui lui tient compagnie pratiquement chaque soir. Le narrateur se pose continuellement des questions : est-il justifié de sacrifier deux de ses plus belles années de jeunesse pour s'enfermer à travailler? Qu'en tirera-t-il de plus que les autres, ces étudiants qui profitent de la vie tout en menant leurs études? Entrer à l'ENS oui, mais si la vie s'arrêtait demain?</div>
<div style="text-align: justify;">
Cette amitié - bien plus profonde et ambigüe qu'une amitié ordinaire - que le jeune homme noue avec Quentin m'a fortement touchée. Cette relation mêle les sentiments d'amour et de fraternité pour venir former quelque chose d'unique. Le cadre de leur rencontre et de leur vie, c'est-à-dire l'internat d'une classe préparatoire, fait qu'ils développent un lien extrêmement fort qui leur permet de se soutenir dans les périodes difficiles. Cependant ils demeurent des rivaux se présentant au même concours : il y a là quelque chose de profondément dérangeant qui laisse entrevoir une issue tragique.</div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai véritablement apprécié évoluer au côté du narrateur pendant ses deux ans d'hypokhâgne et de khâgne. Je comprenais ses émotions à la veille d'un concours où durant les épreuves pour les avoir éprouvées quelquefois en tant qu'étudiante. On se sent conviés à un moment crucial de la vie de ce jeune homme en partageant l'horreur la plus profonde comme la joie viscérale de l'accomplissement le plus complet.</div>
<div style="text-align: justify;">
Je conseille cet ouvrage à tous ceux qui s'intéressent au milieu des classes préparatoires mais aussi à tous les curieux car il ne correspond absolument pas à une présentation de ce type d'études ou même à un plaidoyer pour attirer les nouveaux bacheliers. C'est un témoignage qui narre une réalité froide parfois fabuleuse et parfois tragique. L'intérêt qu'il y a à lire ce texte dépasse donc de loin l'attrait de sa valeur documentaire.</div>
<div style="text-align: justify;">
En ce qui me concerne je reste persuadée que ce milieu n'était pas fait pour moi, on a chacun nos façons de travailler et de s'épanouir dans la vie. Il n'y a pas de voies royales et parfois, il faut se dire que tous les chemins mènent à Rome! L'important est de trouver sa voie et de faire ce que l'on aime, la passion est le seul moteur de la réussite!</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u>Du même auteur :</u></div>
<ul>
<li><i> Pavillon noir</i></li>
<li><i>À mon coeur défendant</i></li>
</ul>
<u> Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
<ul>
<li><i>Les Nourritures Terrestres</i> d'André Gide</li>
<li><i>L'Éducation Sentimentale</i> de Flaubert </li>
</ul>
Unknownnoreply@blogger.com2France46.227638 2.21374940.608644 -7.893673 51.846632 12.321171tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-28126163503688484202012-07-19T00:34:00.003+02:002012-07-19T00:46:42.061+02:00Contes de Perrault<span style="font-size: large;">Critique des <i>Contes</i> de Perrault</span><br />
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://images-booknode.com/book_cover/11/contes-10817-250-400.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://images-booknode.com/book_cover/11/contes-10817-250-400.jpg" width="198" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : "Il était une fois un roi et une reine...", "il était une fois une petite fille de village..." Il suffit de cette clé magique pour que s'ouvre à nous le monde où paraissent tour à tour la belle au bois dormant, le petit chaperon rouge, la Barbe bleue ou Cendrillon. Perrault puise dans le folklore ancien pour nous conter dans des récits courts et alertes des histoires qui nous éloignent délicieusement du monde, avant que la morale finale nous y reconduise. Des contes de fées? Sans doute. Mais, autant que le merveilleux, ce qui nous enchante, c'est le naturel et la savante simplicité d'un art d'écrire qui, à chaque page, séduit notre imagination.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>D'abord parus séparément en 1694 et 1697, ce n'est qu'à la fin du XVIIIème siècle que les contes en vers et en prose seront réunis en un même volume, signe que l'engouement qu'ils avaient suscité du vivant de Perrault ne se démentait pas, en dépit du jugement sévère des gens de lettres, à l'époque des Lumières, pour ces puériles bagatelles. Mais le public le plus large demeurait fidèle à ces contes - et ce public, c'est aujourd'hui nous dont l'esprit d'enfance ne s'est pas perdu.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Le petit chaperon rouge, barbe bleue, le petit Poucet ou encore le chat botté, autant de noms qui éveillent naturellement tout un imaginaire fantastique de rêves ou de cauchemars. Certains contes nous sont plus familiers que d'autres, parfois ils évoquent des souvenirs personnels ou des rituels du soir avec les veillées en famille : chacun a sa propre relation aux contes. Ceux de Perrault sont courts et vont à l'essentiel, ils contiennent souvent une morale dont le sens ne s'offre pas toujours à la première lecture. Enfin ils s'adressent à tous car chacun peut en extraire un sens!</div>
<div style="text-align: justify;">
<u><br /></u></div>
<div style="text-align: justify;">
<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
Il existe tellement d'adaptations sur différents supports des contes de Perrault qu'il est parfois intéressant de revenir aux textes originaux. C'est dans cette démarche de redécouverte de ces petits classiques intemporels que j'ai commencé la lecture de ce recueil. En tout cas c'était une entreprise très intéressante et j'ai été surprise par la forme de certains contes qu'ils soient en vers ou en prose très concentrée.</div>
<div style="text-align: justify;">
Perrault est un grand homme du XVIIème siècle qui a notamment joué un rôle très important aux côtés des modernes lors de la Querelle des Anciens et des Modernes ce qui l'opposa entre autre à des auteurs comme Boileau. Il a également siégé à l'Académie. Comment se fait-il alors que la postérité ne reconnaisse aujourd'hui que les contes de cet homme de lettres important? De fait, Perrault s'est illustré dans de nombreux autres genres comme l'ode ou encore le dialogue mais comparé aux contes, ces textes apparaissent comme tombés dans l'oubli.</div>
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Grâce à la lecture de ces contes je me suis posé la question de l'importance des traditions orales en littérature. On remarque d'emblée que certains contes sont en vers or le travail des rimes et des rythmes permet largement de favoriser la mémorisation d'un texte. Ceci nous rappelle combien à l'époque la transmission orales des histoires et des fables était importante d'ailleurs la lecture a longtemps été une activité pratiquée en commun. On racontait des contes lors de veillées villageoise comme on lisait des correspondances ou encore du théâtre dans les salons mondains. La lecture est devenue une activité solitaire et silencieuse que très tardivement dans l'histoire de la littérature. Ces contes, avec leur forme taillée sur mesure pour un échange oral, nous posent la question de l'évolution des pratiques de lecture en histoire littéraire.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais cette tradition d'oralité fait émerger un autre problème : celui de la paternité des oeuvres. Dans la mesure où Perrault reprend largement des trames d'intrigues et des personnages déjà présents dans certains folklores, peut-on vraiment lui accorder une paternité totale pour ses contes? Ses larges emprunts ont en effet engagé certains à parler d'adaptation plus que de création pure et effectivement, il est difficile de trancher.</div>
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Je me suis également demandée si l'intérêt de ces historiettes était uniquement didactique. La présence systématique d'une morale nous pousse à envisager les contes comme des vecteurs d'apprentissage. Cependant, ils possèdent un autre attrait : le plaisir de partager un moment privilégié lorsqu'il s'agit de lectures publiques ou encore tout simplement le plaisir du divertissement. Le conte à la fois didactique et plaisant s'adresse donc à un public large et diversifié.</div>
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Plaisir du divertissement oui, mais le conte est-il pour autant à classer du côté des genres mineurs? À l'époque, la lecture de récits fictifs comme les contes ou les romans était considérée comme une activité frivole et dangereuse pouvant même altérer la pureté des jeunes filles. Il semblerait que Perrault essaie avec ses contes de redonner une certaine noblesse à ce genre décrié. Loin des intrigues romanesques et alambiquées, l'auteur revient à une grande simplicité : les péripéties sont réduites et le tout est concentré à l'extrême dans la recherche de l'essentiel. Ensuite, il appartient à chacun de rajouter des épisodes et de s'approprier le récit lorsqu'il s'agira de le transmettre oralement.</div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai apprécié me replonger dans cet univers de contes peuplé de personnages familiers. C'est là toute la magie de ce monde tantôt enfantin tantôt impitoyable. Les personnages représentent des types humains très schématiques : le bon, le méchant, le jaloux ou le peureux - et s'ils sont souvent désignés par leur condition, "un roi", "une paysanne" ou encore "une belle princesse" c'est peut-être pour faciliter l'identification de l'auditeur ou du lecteur. Dans tous les cas, il est crucial de continuer à se raconter des histoires, à transmettre des récits qui viendront traverser les générations pour venir capter l'attention des oreilles attentives.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il faut également réenchanter le monde : le regarder avec des yeux d'enfants pour découvrir que ces contes narrent le passé, le présent et certainement l'avenir, ils racontent l'ici et l'ailleurs, ils sont intemporels.</div>
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<br /></div>
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<u>Du même auteur :</u></div>
<ul>
<li><i>Parallèle des Anciens et des Modernes</i></li>
<li><i>Le Siècle de Louis Le Grand</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être :</u><br />
<ul>
<li><i>Contes</i> d'Andersen</li>
<li><i>Contes </i>de Grimm</li>
<li><i>Fables</i> de La Fontaine </li>
</ul>Unknownnoreply@blogger.com5France46.227638 2.21374940.608644 -7.893673 51.846632 12.321171tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-14200296828560667372012-07-17T00:31:00.001+02:002012-07-17T00:31:22.536+02:00Cap sur la gloire d'Alexander Kent<span style="font-size: large;">Critique de <i>Cap sur la gloire</i> d'Alexander Kent</span><br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://images-booknode.com/book_cover/4/cap-sur-la-gloire-3696-250-400.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://images-booknode.com/book_cover/4/cap-sur-la-gloire-3696-250-400.jpg" width="218" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : Le capitaine de la frégate Richard Bolitho, en ce mois de janvier 1782, aurait dû être porté par la seule fierté d'aller prêter main-forte aux corsaires de la Révolution américaine naviguant au large des Caraïbes. Las!, son équipage est au bord de la mutinerie. Ces hommes, gueux, meurtriers ou paysans arrachés à leur terre à coups de gourdin, vont côtoyer le pire : chefs hagards couverts de débris humains, compagnons au ventre ouvert s'arrachant les entrailles pour en finir, membres tranchés glissant dans la mélasse pourpre... Oui, le jeune Bolitho aurait dû être fier. En aura-t-il seulement le temps?</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Richard Bolitho reprend le commandement de la <i>Phalarope </i>une frégate belle et puissante mais dont l'équipage est sur le point de se mutiner. Saura-t-il gagner la confiance de son équipage pour parvenir à mener à bien sa mission de soutien aux révolutionnaires américains? Le voyage réserve à Bolitho et à son équipage bien des surprises et on devine que ce qui les attend est bien pire qu'un petit mal de mer...</div>
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<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai toujours été fascinée par les récits d'aventures en mer. La couverture de ce bouquin m'a immédiatement attirée chez mon libraire d'autant plus qu'Alexander Kent était apparemment l'un des plus grands maîtres du genre. J'étais donc très enthousiaste à l'idée de lire ce livre qui promettait d'être très divertissant et entraînant.</div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Cap sur la gloire</i> est le premier tome des aventures de Richard Bolitho qui s'étalent sur 22 ouvrages. On est donc face à une large fresque maritime. Je me suis beaucoup attachée au héros Bolitho qui représente tout à fait l'archétype du bon capitaine de navire ayant un grand sens de l'honneur et du devoir et étant toujours respectueux de ses hommes. Il est souvent difficile de peindre un personnage héroïque et bon qui soit suffisamment profond pour ne pas paraître artificiel et vide. Ici, Bolitho connaît des moments de doute et parfois il semble totalement perdu : ce sont précisément ces errances qui le grandissent comme Ulysse pleurant sur son sort ou affrontant les dieux par hybris.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'intrigue du livre est ancré dans une réalité historique. En effet, le récit débute en janvier 1782 dans le cadre d'un conflit qui oppose la flotte anglaise à la flotte française entre autre. Il n'y a aucune présence de surnaturel, de légendes de marins peuplées de monstres aquatiques ou de trésors cachés. À bord de la <i>Phalarope</i> - la frégate sous le commandement de Bolitho - il n'y a de place que pour la réalité froide et cruelle. J'ai beaucoup apprécié cette attention portée à un certain réalisme loin des stéréotypes habituels et communs des récits maritimes. J'ai eu l'impression de me retrouver embarquée dans toute l'horreur d'un conflit historique et réel, proches de ces hommes ayant lutté à bord de bateaux perdus sur les mers.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mutineries, conflits sur le pont des bateaux, jeunes mousses éventrés ou décapités : <i>Cap sur la gloire </i>est aussi un roman qui assume pleinement une partie des poncifs du genre des voyages fictifs en mer. Le lecteur est happé dans l'aventure tout au long du texte et l'intrigue ne laisse aucune place à l'ennui car les événements se succèdent à un rythme effréné et délirant. Perdant tout contrôle, les personnages sont souvent emportés par des péripéties meurtrières ou salvatrices qui passionneront le lecteur jusqu'à la dernière page. </div>
<div style="text-align: justify;">
L'écriture est tout de même très soignée. L'auteur réalise de magnifiques descriptions des batailles et des bateaux. Il s'applique aussi parfois à nous faire entrer dans l'intériorité des personnages pour les moments de doutes et de tension. J'ai été séduite par l'utilisation massive de termes de navigation - noms des voiles des bateaux, des aménagements de bord ou encore termes se référant aux manoeuvres militaires de la flotte : grâce à cette lecture, vous saurez tout sur le vocabulaire technique maritime! En tout cas cela contribue largement à dépayser le lecteur et à favoriser l'imagination.</div>
<div style="text-align: justify;">
Bolitho n'est pas le seul personnage important. Autour de lui, on a beaucoup de personnages secondaires cruciaux comme son père, son frère et certains membres de l'équipage de la <i>Phalarope</i>. L'auteur parvient à donner à beaucoup d'entre eux des caractères distincts et construits qui empêchent radicalement toute interprétation manichéenne des faits de chacun. On s'attache très vite aux matelots méritants parfois injustement condamnés et fouettés pour des erreurs qu'ils n'ont pas commises. Beaucoup de scènes intenses m'ont fascinée et littéralement entraînée dans l'intrigue.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cependant ce texte n'est pas une invitation au voyage et à l'évasion, c'est bien davantage un texte dur qui nous présente une froide réalité que personne n'aimerait vivre. Alexander Kent s'appelle en réalité Douglas Reeman. Très jeune, il est engagé à la Royal Navy où il travaillera durant la Seconde Guerre mondiale. Alexander Kent est le nom d'un de ses amis décédé en mer. L'ambition de l'auteur n'est donc pas de faire rêver ses lecteurs avec des récits d'évasion poétiques et exotiques. Il nous montre au contraire l'horreur du quotidien sur un bateau de guerre : la saleté, le manque de vivres, le manque de liens familiaux et sociaux, la menace constante du fouet et la compétition entre matelots sont autant d'inconforts et de dangers permanents. Finalement, le bateau est représenté comme une prison. Il n'y a aucune possibilité d'échappatoire et chacun y est pratiquement déchu de sa condition humaine. On le voit nettement au début du livre dans le chapitre "Gare à la Presse!" qui met en scène la difficulté qu'il y a à recruter des matelots étant donné que tous les hommes valides fuient à l'approche des navires de guerre près des côtes. En effet, ils ne veulent pas être arrachés à leur travail et à leur famille : quoi de plus naturel? Il est donc difficile d'imaginer ici des centaines de jeunes hommes volontaires rêvant de voyages, d'îles inconnues et de belles étrangères.</div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai été totalement séduite par ce premier tome de la saga des aventures de Richard Bolitho que je compte naturellement poursuivre dès que l'occasion se présentera. D'ailleurs je ne conteste pas les propos du New York Times concernant Alexander Kent présenté comme <i>"le maître incontesté du roman d'aventures maritimes"</i>, c'est une thèse que l'on pourrait certainement soutenir!</div>
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<br /></div>
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<u>Du même auteur :</u></div>
<ul>
<li><i>Capitaine de Sa Majesté</i></li>
<li><i>Mutinerie à bord</i></li>
<li><i>Victoire oblige</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
<ul>
<li><i>L'île au trésor</i> de Stevenson</li>
<li><i>La Mer cruelle </i>de Monsarrat</li>
<li><i>H.M.S. Ulysses </i>d'Alistair Mc Lean </li>
</ul>
Unknownnoreply@blogger.com1Royaume-Uni55.378051 -3.43597336.641164 -43.8656605 74.114938 36.9937145tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-64664736167905561002012-07-15T22:01:00.000+02:002012-07-15T22:01:22.007+02:00Indignation de Philip Roth<span style="font-size: large;">Critique d'<i>Indignation</i> de Philip Roth</span><br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://media.biblys.fr/book/60/36360.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://media.biblys.fr/book/60/36360.jpg" width="194" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : Nous sommes en 1951, deuxième année de la guerre de Corée. Marcus Messner, jeune homme de dix-neuf ans d'origine juive, poursuit ses études au Winesburg College, dans le fin fond de l'Ohio. Il a quitté le New Jersey où habite sa famille, dans l'espoir d'échapper à la domination de son père, fou d'angoisse à l'idée que son fils bien-aimé entre dans l'âge adulte. En s'éloignant de ses parents, Marcus va tenter sa chance dans l'Amérique des années 1950. L'inconnu s'offre à lui, avec son cortège d'embûches et de surprises.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Avec ce roman d'apprentissage, Philip Roth poursuit son analyse de l'histoire de l'Amérique - celle des années cinquante, des tabous et des frustrations sexuelles - et de son impact sur la vie d'un homme jeune, isolé, vulnérable.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Marcus Messner est un garçon sans histoires : fils d'un boucher kasher il fait ses études sur un petit campus du New Jersey où il fournit un travail sérieux et obtient de bonnes notes. Cependant son père nourrit pour lui une si grande fierté qu'il commence à entrer dans une espèce de paranoïa qui le pousse à restreindre les libertés de son fils afin que ce dernier ne se trouve jamais en situation de danger. Petit à petit Marcus étouffe, et ce à un tel point qu'il ressent un urgent besoin de partir étudier ailleurs afin de quitter cette emprise paternelle étouffante et destructrice. Débute alors un parcours initiatique vers toujours plus de maturité. Mais si Marcus avait fuit un danger potentiel, pour se jeter dans les bras d'un autre?</div>
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<br /></div>
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<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
Cela fait pas mal de temps que j'avais envie de découvrir cet auteur, en effet un professeur à l'université - dans le cadre d'un cours de littérature comparée autour de la question de l'identité - nous avait longuement parlé d'un de ses texte intitulé <i>La Tache</i>. Le sujet de ce livre m'avait vivement frappée et le nom de l'auteur était donc resté dans un coin de mon esprit.</div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai passé un très bon moment avec <i>Indignation</i> que j'ai lu très rapidement : l'histoire m'a happée aux côtés de Marcus Messner pour qui j'ai immédiatement éprouvé une vive sympathie. Ce personnage principal de jeune homme sur le point d'entrer dans l'âge adulte m'a touchée par sa maturité d'esprit tout à fait frappante qui côtoie par moment des actes enfantins et en décalage avec son comportement habituel. Paradoxalement, c'est son père qui l'étouffe et le "materne" alors que sa mère adopte une posture détachée et raisonnable. J'ai trouvé cette inversion des rôles traditionnels assez intéressante et je me suis posé la question de savoir s'il n'y avait pas là un rapport avec le métier du père qui est boucher. Le fils, accorde une attention particulière à la réussite de ses études : il veut être le meilleur et s'en donne les moyens. Par cette résolution, il entend certainement s'échapper de la condition de boucher qu'il a pu toucher du doigt alors qu'il travaillait avec son père dans la boucherie. Il convient aussi de remarquer que le père n'a pas d'autre ambition pour son fils que de le voir reprendre l'affaire familiale. Marcus Messner essaie donc de se détacher de sa classe d'appartenance grâce au tremplin des études supérieures. J'ai trouvé ce thème très intéressant et touchant d'autant plus qu'aujourd'hui, les études longues tendent petit à petit à perdre leur rôle d'ascenseur social.</div>
<div style="text-align: justify;">
Étant également étudiante, j'ai bien aimé retrouver dans ce livre des aspects de mes expériences personnelles quotidiennes : les longues heures de travail solitaire à la bibliothèque universitaire, les camarades de promo ou encore les déjeuners pris sur le pouce pour terminer un devoir. Le milieu universitaire est un univers que j'aime beaucoup et que je prends toujours beaucoup de plaisir à retrouver dans la fiction.</div>
<div style="text-align: justify;">
Je n'ai donc eu aucun problème à m'identifier au jeune homme et à ressentir une vive sympathie pour ce personnage harcelé de tous côtés par sa famille, le doyen des étudiants ou encore ses compagnons de chambrée. On partage avec les lui les moment d'allégresse et les moments de doutes exactement comme s'il s'agissait d'un vieil ami que l'on connaît bien. Ce personnage a réussi a m'intéresser à un point tel qu'il m'était difficile de me détacher de cette lecture pour une autre occupation.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cependant, en parallèle de ce contexte plutôt innocent, la deuxième guerre de Corée fait rage et la tension devient de plus en plus palpable au fil du texte. L'auteur réalise une véritable prouesse avec cette tension qui augmente par paliers réguliers et qu'il est difficile d'identifier formellement au fil de la lecture. Les allusions voilées à la guerre deviennent de plus en plus précises mais lorsque l'on comprend, il est peut-être déjà trop tard...</div>
<div style="text-align: justify;">
Finalement, le roman nous enseigne à quel point le plus inoffensif de nos choix présents peut radicalement et inéluctablement influencer notre avenir. Personnellement, je n'arrivais absolument pas à me résoudre à un pareil dénouement même si l'auteur l'annonce largement vers le milieu du livre. Il y a là aussi un coup de maître : Philip Roth nous emmène là où on ne veut surtout pas aller.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce roman rejoint les textes qui présentent des cercles vertueux soudainement brisés et des destins foudroyés par la fatalité. Toutefois, l'auteur nous rappelle avec insistance et raison qu'il ne faut jamais oublier que nous sommes bien souvent les acteurs principaux de notre propre tragédie.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u>Du même auteur :</u></div>
<ul>
<li><i>La Tache</i></li>
<li><i>La Bête qui meurt</i></li>
<li><i>Le Rabaissement</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
<ul>
<li><i>Un été dans l'Ouest </i>de Philippe Labro</li>
<li><i>Demande à la poussière </i>de John Fante </li>
</ul>
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<div style="text-align: justify;">
Merci aux éditions <a href="http://www.gallimard.fr/" target="_blank">Gallimard</a> et leur collection <a href="http://www.folio-lesite.fr/Folio/accueil.action" target="_blank">Folio</a> pour ce partenariat. Merci également au site internet <a href="http://www.livraddict.com/" target="_blank">Livraddict</a> pour avoir assuré son organisation.</div>Unknownnoreply@blogger.com3États-Unis37.09024 -95.71289111.6301275 -136.1425785 62.5503525 -55.2832035tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-13348511042473255692012-07-13T23:37:00.000+02:002012-07-13T23:37:23.975+02:00Autoportrait de l'auteur en coureur de fond de Haruki Murakami<span style="font-size: large;">Critique d'<i>Autoportrait de l'auteur en coureur de fond </i>de Haruki Murakami</span><br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://storage.canalblog.com/70/06/503764/63631009.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://storage.canalblog.com/70/06/503764/63631009.jpg" width="195" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : Le 1er avril 1978, Murakami décide de vendre son club de jazz pour écrire un roman. Assis à sa table, il fume soixante cigarettes par jour et commence à prendre du poids. S'impose alors la nécessité d'une discipline. La course à pied lui permet de cultiver sa patience, sa persévérance. Courir devient une métaphore de son travail d'écrivain. Journal, essai, au fil des confidences inédites, Murakami nous livre une méditation lumineuse sur la vie, qui, comme la course, ne tire pas son sens de sa fin inéluctable.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>"Un traité de sagesse à la japonaise, et c'est aussi la source cachée de l'oeuvre de Murakami, l'homme aux semelles de vent qui dévore les mots et le bitume avec la même fringale." André Clavel, </i>L'Express<i>.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Un jour, Haruki Murakami - l'auteur de plusieurs bestsellers mondiaux - a ressenti le besoin de courir. Depuis il ne s'est jamais arrêté. Un entraînement quotidien et assidu lui permet même d'enchaîner les marathons. Cette discipline de fer qui règle ses journées et qu'il s'inflige maintenant tout à fait naturellement lui permet de mener à bien son travail de romancier. Ces deux passions dévorantes rythment sa vie et se nourrissent l'une de l'autre en créant un cercle vertueux qui affine l'art de sa plume. C'est ce livre à la main que le lecteur accompagne Haruki Murakami dans ses joggings matinaux ou sur le chemin des plus grands marathons.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
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<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
J'avais entendu parler de cette hygiène de vie si particulière de l'auteur Haruki Murakami. En effet, il se couche et se lève avec le soleil, dans un rythme de vie sain. Il court également chaque matin plusieurs kilomètres conformément à une habitude prise il a déjà longtemps. J'ai été encore plus intriguée d'apprendre qu'il existait un ouvrage dans lequel il parlait de cette entreprise quotidienne!</div>
<div style="text-align: justify;">
Le sport est un sujet qui m'intéresse beaucoup au regard de la maxime très célèbre "un esprit sain dans un corps sain". Les deux étant intimement liés je suis toujours fascinée par la volonté de fer des grands sportifs et cette discipline personnelle qu'ils s'infligent avec une exigence sans commune mesure. Le sport stimule l'activité intellectuelle et procure une sérénité très douce inhérente à l'activité physique. Mais au-delà de ces conséquences purement physiologiques le sport nous apprend à nous surpasser grâce à des valeurs comme la persévérance, la pugnacité, l'endurance et le dépassement de soi qui nous conduisent à offrir chaque jour le meilleur de nous-mêmes.</div>
<div style="text-align: justify;">
Chez Murakami la pratique sportive se rapproche d'un mode de vie ascétique. C'est cette purification par l'exercice qui permet au romancier d'être régulier dans son travail. Les auteurs ayant déjà publié au moins un bestseller forment une catégorie particulière d'écrivains. Souvent ils ont un cercle de lecteurs assidus qui s'est constitué au fil des publications et il s'agit de ne pas décevoir ses attentes qui sont généralement éclectiques. Dans un tel cadre, Haruki Murakami doit adopter un train de vie qui lui permette d'écrire des ouvrages variés et de qualité étant donné que ses textes sont attendus dans le monde entier.</div>
<div style="text-align: justify;">
Mais le lien entre ces deux passions est encore plus profond. Le titre du livre qui est une traduction faisant référence au texte de Joyce <i>Le portrait de l'artiste en jeune homme</i> suggère qu'il existe une cohérence métaphorique entre l'auteur et le coureur. Comme lorsque Murakami sort de chez lui le matin très tôt pour aller s'entraîner, la pratique de l'écriture est un moment très ritualisé et codifié. L'auteur exprime ce lien fort entre le physique et l'écriture qui s'illustre entre autre dans la ritualisation des actes dans un interview donné au <i>Magazine Littéraire</i> (n° 517, Mars 2012) <i>"Je vais chaque jour à mon bureau, je m'assois à ma table et j'allume l'ordinateur. Là, je dois ouvrir la porte. C'est une grande, une lourde porte. Il faut passer dans l'Autre Pièce. Métaphoriquement, bien entendu. Et il faut revenir dans cette pièce-ci. Et il faut refermer la porte. Et, si je perds cette force, je ne peux plus écrire de roman. Je peux écrire des nouvelles, mais pas de roman."</i> Pour Murakami, cet exercice du corps est partie prenante de son travail d'écriture, cela participe d'un même effort. Ces deux occupations se nourrissent l'une de l'autre.</div>
<div style="text-align: justify;">
Cet ouvrage nous convie aux côtés de l'auteur pour éprouver la progression dans l'effort, le travail de chaque jour, le doute aussi bien que l'effervescence. Haruki Murakami décrit à merveille les différentes étapes de sa vie de coureur, les difficultés du début, le moment de grâce et les performances qui retombent avec l'âge. Ces étapes, on les retrouve lors d'un seul et même marathon, lorsqu'il passe du sentiment de pouvoir courir toujours sans fatigue à l'impression que ses jambes ne lui obéissent plus et se détachent de son corps. N'importe quel sportif d'endurance se reconnaîtra dans ces différents états d'esprit successifs qui certainement sont également applicables au romancier qui lui aussi pratique à sa manière une activité d'endurance. On retrouve la maxime de l'auteur dans les moments de douleur : <i>"pain is inevitable, suffering is optional"</i> c'est-à-dire <i>"on ne peut éviter d'avoir mal, il dépend de soi de souffrir ou non"</i>.</div>
<div style="text-align: justify;">
Finalement la clé de cette alliance parfaite entre l'écriture et la course est certainement l'assiduité dans l'effort et la régularité. Cette discipline très exigeante que s'inflige l'auteur lui permet d'ancrer chaque journée dans la continuation d'un cheminement personnel. Ainsi, la capacité de travail d'Haruki Murakami s'en trouve décuplée.</div>
<div style="text-align: justify;">
Moi qui suis plutôt une nageuse, ce livre m'a séduite et m'a donné très envie de me mettre au jogging en attendant - qui sait - peut-être de trouver l'inspiration romanesque?</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u>Du même auteur :</u></div>
<ul>
<li><i>Les amants de Spoutnik </i></li>
<li><i>La Ballade de l'impossible</i></li>
<li><i>Saules aveugles, femme endormie</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
<ul>
<li><i>Courir</i> de Jean Echenoz </li>
</ul>Unknownnoreply@blogger.com3Japon36.204824 138.25292423.145487000000003 118.03808000000001 49.264161 158.467768tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-13849580664479101142012-07-12T15:40:00.000+02:002012-07-12T15:40:15.013+02:001Q84, livre 2 de Haruki Murakami<span style="font-size: large;">Critique de <i>1Q84, livre 2</i> de Haruki Murakami</span><br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://www.comptoirdulivre.fr/I-Grande-25-1q84-livre-2-juillet-septembre.net.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://www.comptoirdulivre.fr/I-Grande-25-1q84-livre-2-juillet-septembre.net.jpg" width="199" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : "Les choses qui restent enfermées dans notre coeur n'existent pas en ce monde. Mais c'est dans notre coeur, ce monde à part, qu'elles se construisent pour y vivre."</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Le Livre 1 a révélé l'existence du monde 1Q84.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Certaines questions ont trouvé leur réponse. D'autres subsistent : qui sont les Little People? Comment se fraient-ils un chemin vers le monde réel? Pourquoi deux lunes dans le ciel? Et la chrysalide de l'air, est-elle ce lieu où sommeille notre double?</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Ceux qui s'aiment ne sont jamais seuls.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Le destin de Tengo et d'Aomamé est en marche.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Aomamé et Tengo continuent à vivre leurs destins parallèles. Au-dessus d'eux, il y a deux lunes qui brillent dans le ciel, aucun doute n'est plus permis, ils ont intégré un nouveau monde : celui d'1Q84. Les Little People semblent être des forces négatives qui se fraient des chemins entre les mondes et le temps grâce à la construction de chrysalides de l'air. Mais quel est le rôle que doivent jouer Tengo et Aomamé? Quant à cette étrange secte des Précurseurs et son mystérieux leader : sont-ils si malfaisants que les faits le laisse paraître? Alors que des zones d'ombres s'éclaircissent d'autres se dérobent encore à la compréhension des deux protagonistes. Auront-ils seulement le temps de se retrouver?</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
Le tome 1 de cette trilogie avait éveillé mon intérêt pour le monde d'1Q84. En effet, de nombreux mystères étaient restés sans réponses. Je pense notamment aux Little People, ces figures ambigües dont je ne parvenais pas à saisir la nature. J'avais été également très interloquée par la mort du chien de garde aussi spectaculaire qu'horrifiante. C'est donc avec curiosité que je me suis plongée dans le tome 2 afin que le brouillard se dissipe sur certaines questions.</div>
<div style="text-align: justify;">
On suit toujours la construction en parallèle des points de vue de Tengo et d'Aomamé si ce n'est qu'au fil de l'ouvrage on parvient à trouver de plus en plus de liens entre ces deux personnages apparemment tout à fait différents. On les cerne davantage dans leurs caractères et leurs psychologie grâce à leurs faits et gestes. On revient également sur leur enfance ou sur les problèmes de leurs vie présente. C'est ainsi que l'auteur nous livre un passage très émouvant où Tengo va voir son père dans une maison d'accompagnement de fin de vie. Ce moment est d'ailleurs très poétique et j'ai été touché par la façon dont l'auteur a décrit le cadre de la rencontre et les attitudes du père et du fils. Les intimités se dévoilent donc peu à peu avec toujours plus d'intensité.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ce tome 2 apporte aussi sont lot de coups de théâtre avec certains noeuds d'intrigue qui finalement se dénouent et d'autres qui se forment. Je pense à la petite fille ancienne membre de la secte des Précurseurs qui avait été recueillie par la vieille femme amie d'Aomamé qui finalement s'enfuit et dont on n'entend plus parler (pour le moment peut-être). Le leader des Précurseurs se place par contre au centre de l'intrigue surtout en ce qui concerne le personnage d'Aomamé. Le tout donne un ensemble dynamique et le lecteur ne s'ennuie jamais.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'intrigue se resserre également autour de Tengo et d'Aomamé et surtout de leur rencontre supposée. L'auteur parvient véritablement à créer un suspense important autour de cette question à un point tel que lorsqu'ils étaient proches de se rencontrer j'étais systématiquement happée par le récit sans pouvoir me détacher de la page. Le fait qu'on découvre peu à peu la nature de leurs liens augmente un peu notre intérêt pour ce couple qui souffre finalement de ne pas en être totalement un. Les obstacles qui se dressent pour empêcher leur union nous fascinent et nous horrifient à la fois et l'auteur les utilise et les orchestre afin de laisser planer le doute jusqu'au moment ultime.</div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai beaucoup aimé également le motif de la chrysalide de l'air qui apparaît comme très poétique et esthétique. C'est une construction magique réalisée à partir de rien à la fois belle et terriblement dangereuse. Malgré certaines révélations elle reste auréolée de mystère et d'indécision, on ne sait pas trop si elle est à considérer comme un forme bienfaisante ou malfaisante. J'ai été envoûtée par les passages consacrés à la chrysalide qui m'ont autant fait frissonner que rêver.</div>
<div style="text-align: justify;">
Le personnage du leader est à mon sens tout à fait emblématique des nouveautés qui s'offrent dans ce deuxième tome. Je l'ai trouvé tout à fait charismatique et à mon avis, l'auteur en créant ce personnage, réalise un véritable tour de force. En effet, ce leader de la secte des Précurseurs nous a toujours été représenté comme un caractère tout à fait néfaste et monstrueux. Cependant, Haruki Murakami parvient à nous faire aimer cet être qui a pourtant commis des actes abjects. Le leader est profondément malade, rongé par un mal qui ne dit pas son nom. Pour atténuer sa douleur il fait appel à Aomamé qui était censée l'aider par le travail de ses muscles mais qui en réalité est là pour le tuer. Malgré sa haine viscérale pour le leader, Aomamé n'arrive pas à se résoudre à accomplir sa mission. Dans ce passage j'ai été très fascinée par la description du travail des muscles qu'opère Aomamé sur son patient : les douleurs qu'engendrent de simples mouvement et l'exigence du travail de son corps. J'ai trouvé là un parallèle avec l'expérience de l'auteur Haruki Murakami qui pratique la course de fond et a d'ailleurs écrit un ouvrage sur le sujet : <i>Autoportrait de l'auteur en coureur de fond.</i> Ce dernier court chaque matin plusieurs kilomètres. Il y a là quelque chose qu'on retrouve dans le traitement dur qu'Aomamé inflige au leader, cette exigence froide portée sur le corps qui doit être en bonne santé et actif. C'est une obsession que l'on retrouve souvent chez Haruki Murakami, par exemple Aomamé possède un corps athlétique et musculeux sans aucune graisse superflue. Dès qu'un personnage malfaisant ou négatif apparaît dans la fiction, il est très souvent présenté comme souffrant d'embonpoint ou comme étant graisseux et sale. J'ai trouvé ce point très intéressant d'autant plus qu'on trouve d'autres exemples de cet état de fait dans d'autres ouvrages de l'auteur même si cette dichotomie n'est pas systématique.</div>
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Comme il s'agit d'un second tome, on reste naturellement sur notre fin sur pas mal de questions et il est très difficile de donner un avis tranché et net.<br />
<div style="margin: 5px 20px 20px;">
<div class="quotetitle">
<b>Spoiler:</b> <input onclick="if (this.parentNode.parentNode.getElementsByTagName('div')[1].getElementsByTagName('div')[0].style.display != '') { this.parentNode.parentNode.getElementsByTagName('div')[1].getElementsByTagName('div')[0].style.display = ''; this.innerText = ''; this.value = 'Cacher'; } else { this.parentNode.parentNode.getElementsByTagName('div')[1].getElementsByTagName('div')[0].style.display = 'none'; this.innerText = ''; this.value = 'Afficher'; }" style="font-size: 10px; margin: 0px; padding: 0px; width: 45px;" type="button" value="Afficher" /></div>
<div class="quotecontent">
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Dans tous les cas, je suis vraiment intéressée par l'arrivée d'un nouveau point de vue, celui d'Ushikawa, l'éditeur qui a publié le bestseller <i>La Chrysalide de l'air </i>écrit par Fukaéri et adapté par Tengo. J'ai été aussi très surprise par la mort d'Aomamé et je suis tout à fait pressée d'en savoir plus malgré le marché qu'elle avait passé avec le leader des Précurseur et qui annonçait cette mort précoce.</div>
</div>
</div>
</div>
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J'attends donc de lire le tome 3 pour réellement poser mon avis car pour le moment je ne suis ni charmée, ni déçue mais très intriguée et curieuse.<br />
<br />
<u>Du même auteur :</u><br />
<ul>
<li><a href="http://www.lenlivree.com/2011/10/1q84-livre-1-de-haruki-murakami.html"><i>1Q84, livre 1</i></a></li>
<li><i>1Q84, livre 3</i></li>
<li><a href="http://www.lenlivree.com/2011/05/kafka-sur-le-rivage-de-haruki-murakami.html"><i>Kafka sur le rivage</i></a></li>
<li><a href="http://www.lenlivree.com/2011/08/sommeil-de-haruki-murakami.html"><i>Sommeil</i></a></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
<ul>
<li><i>1984</i> de George Orwell </li>
</ul>
</div>Unknownnoreply@blogger.com2Japon36.204824 138.25292423.145487000000003 118.03808000000001 49.264161 158.467768tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-27582391369604156342012-07-07T21:20:00.000+02:002016-02-23T11:59:25.349+01:00Le Rouge et le Noir de Stendhal<span style="font-size: large;">Critique de <i>Le Rouge et le Noir</i> de Stendhal</span><br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj13PL4GG8O0hyphenhyphenAw5vBDHd81iGx4uk4cPDLFSKFhyphenhyphentg4COmm16qiY9OlDvNGlbBq06fLQ3CuvBzCAwYS48mGjWDuZk1ZrIFsGMrS6F0Aid0XxlA14SBBAbIPpc9MN8i1hxsoJNJ4UxN9OH2/s1600/rougeetnoir_stendhal.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj13PL4GG8O0hyphenhyphenAw5vBDHd81iGx4uk4cPDLFSKFhyphenhyphentg4COmm16qiY9OlDvNGlbBq06fLQ3CuvBzCAwYS48mGjWDuZk1ZrIFsGMrS6F0Aid0XxlA14SBBAbIPpc9MN8i1hxsoJNJ4UxN9OH2/s320/rougeetnoir_stendhal.jpg" width="190" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : </i>Le Rouge et le Noir<i>, roman central de Stendhal, porte un titre qui symbolise la table de jeu. Une fois une couleur amenée il n'est plus temps de revenir en arrière. Mais le jeu comporte une direction ou un dessous des cartes qui est l'énergie. La présence, le degré ou l'absence de l'énergie, voilà ce qui fait une déstinée.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Le Rouge et le Noir, <i>c'est le roman de l'énergie, celle d'un jeune homme ardent, exigeant et pauvre dans la société de la Restauration. Il a pour sous-titre : </i>Chronique de 1830, <i>cela signifie la France, toute la France, la Province et Paris. Julien est délégué à l'énergie provinciale, le délégué du talent à la carrière, des classes pauvres à la conquête du monde.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>L'énergie de Julien ne va pas sans une violence de tempérament, une intensité de chauffe, qui le conduit à l'échafaud. Cette peinture, pleine, puissante, normale de l'énergie d'un homme, d'un pays, d'une époque, compose une oeuvre immense que son temps ne comprit pas mais dont la vivante influence n'est pas encore épuisée.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Le jeune Julien Sorel vit au sein de la société française de la Restauration. Son père est charpentier dans la petite ville de Verrières et sa constitution trop fragile l'empêche d'effectuer efficacement des travaux manuels comme ses frères. Il est alors accepté chez l'abbé Chélan où il apprend le latin dans le but d'entrer au séminaire. M. de Rênal, le maire de Verrières, décide de l'employer comme précepteur de ses enfants afin d'asseoir encore d'avantage son aura de supériorité sur les habitants de la ville. Le jeune homme rencontre alors Mme de Rênal, une femme exemplaire dont la beauté et le caractère le touchent. Julien Sorel, ce garçon tiraillé entre sa condition de paysan et son modèle napoléonien, s'engagera alors dans une folle odyssée qui le mènera - dans le cadre d'une trajectoire parabolique - jusqu'au sommet des salons parisiens, pour échouer ensuite dans un cachot sombre de Besançon.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<u></u><br />
<a name='more'></a><u>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
Ce roman se pose incontestablement en grand chef-d'oeuvre dans la littérature française du XIXème siècle. Étant plus jeune, j'avais essayé de le commencer mais je n'avais alors pas la maturité nécessaire pour l'apprécier. C'est donc avec curiosité que je me suis plongée dans cet ouvrage qui s'est révélé être très envoûtant et fort.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les portraits brossés des différents personnages sont réellement intéressants et justes puisqu'ils parviennent à dépeindre certains caractères types de la société française sous la Restauration. J'ai beaucoup aimé le personnage de Pirard, ce janséniste austère du séminaire. De même M. de la Mole, M. de Rênal ou encore Tanbeau et Mme de Rênal sont autant de figures en conformité avec leur temps et qui viennent justifier le sous-titre donné au roman : <i>Chronique de 1830</i>. Cette construction des personnages vient proposer au lecteur la vérité d'un monde révolu. Ainsi, l'auteur parvient à capter l'essence de ce temps grâce à des procédés fictionnels. Il y a peut-être ici une illustration de l'idée du <i>"mentir-vrai"</i> du roman dont parlais Louis Aragon.<br />
Ce texte est également le roman des tensions entre deux univers. D'aucuns ont interprété le titre comme la référence à l'opposition de deux carrières : ecclésiastique (noir) et militaire (rouge). On trouve beaucoup d'oppositions qui caractérisent finalement la société paradoxale de la Restauration. Il y a par exemple les jésuites contre les jansénistes en religion ou encore les libéraux contre les ultras en politique. Autant de tiraillements qui rappellent l'énergie de Julien Sorel qui affronte une société profondément marquée par une carence en vie. On peut remarquer ici une image reflétée de la propre ambivalence de Julien écartelé entre sa naissance de basse condition et l'admiration sans bornes qu'il porte à Napoléon.<br />
Je trouve cette ambivalence particulièrement intéressante. Elle reflète le mal-être et l'absence de perspectives de toute une génération puisque qu'après l'énergie des guerres napoléoniennes, qui mettent le pays à feu et à sang mais qui créent également un immense élan national, c'est la morne plaine de la fin de l'Empire. Cette période d'énergie s'affaisse immédiatement avec la Restauration qui apparaît comme un retour en arrière rétrograde et une absurde négation de la Révolution Française. L'idée de cette génération perdue et cassée dans son élan créateur est particulièrement bien décrite par Alfred de Musset dans l'incipit de son ouvrage <i>La Confession d'un enfant du siècle </i>: <i>"Alors il s'assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d'un sang brûlant qui avait inondé la terre ; ils étaient nés pendant la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans de neiges de Moscou et du soleil des Pyramides ; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n'étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d'Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout était vide et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain.</i><br />
<i>De pâles fantômes, couverts de robes noires, traversaient lentement les campagnes ; d'autres frappaient à la porte des maisons, et dès qu'on leur avait ouvert, ils tiraient de leurs poches de grands parchemins tout usés avec lesquels ils chassaient les habitants. [...]</i><br />
<i>Trois éléments partageaient donc la vie qui s'offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s'agitant encore sur les ruines, avec tous les fossiles des siècles de l'absolutisme ; devant eux l'aurore d'un immense horizon, les premières clartés de l'avenir ; et entre ces deux mondes... quelque chose de semblable à l'Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le présent de l'avenir, qui n'est ni l'un ni l'autre et qui ressemble à tous les deux à la fois, et où l'on ne sait, à chaque pas qu'on fait, si l'on marche sur une semence ou un débris.</i><br />
<i>Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d'audace, fils de l'empire et petit-fils de la révolution."</i> Julien fait pleinement partie de cette génération emportée par l'élan de l'empire et laissée là - comme abandonnée - avec les ecclésiastes et les nobles revenus de l'étranger. Il y a comme une suspension du temps qui après s'être follement accéléré reprend un cours lent et sinistre. C'est certainement la cause de l'admiration sans bornes et pourtant dangereuse que Julien Sorel voue à Napoléon : son livre de chevet est d'ailleurs le <i>Mémorial de Sainte-Hélène</i>. Une seule voie s'offre pourtant à lui : la carrière ecclésiastique. Ce fait est souligné dans le texte d'Alfred de Musset par la mention des <i>"cloches de leurs paroisses [qui] résonnaient seules dans le lointain"</i> : il n'y a plus d'autres alternatives que de porter l'habit noir qui s'oppose au rouge qui symbolise la carrière militaire pourtant plus propre à traduire l'énergie du personnage. Entrer au séminaire est donc un choix par défaut, et même, par obligation.<br />
Le fait divers de l'affaire Berthet duquel Stendhal s'est inspiré transpire également de cette énergie. C'est une histoire qui ne peut pas laisser indifférent avec cet élan des passions soudainement rompu par l'échafaud. On trouve l'idée que Julien était nécessairement un être condamné à la mort qu'elle soit symbolique avec une intégration du personnage au sein d'une société fondamentalement morte elle aussi ; ou réelle avec la condamnation à la guillotine.<br />
L'auteur nous livre aussi une peinture riche de la Province mais aussi de Paris (que d'aucuns ont trouvé moins réussie que la précédente). Les personnages jouent un rôle important dans la description de ces deux univers différent. On remarque plus spécialement ces deux femmes : Mme de Rênal et Mlle de la Mole qui malgré leurs différences trouvent un point commun dans leur amour de Julien. Mme de Rênal est une femme douce aimante et pieuse qui soutient son mari qu'elle n'a vraisemblablement jamais aimé n'ayant d'ailleurs jamais connu l'amour. C'est encore Stendhal qui la définit le mieux :<i> "Mme de Rênal est une de ces femmes qui ne savent pas si elles sont belles, qui s'ignorent, qui regardent leur mari comme le premier homme du monde, tremblantes devant ce mari et croyant l'aimer de tout leur coeur, douces, modestes, toutes entières à leur ménage, chastes et retirées, aimant Dieu et priant. Sans compter que leur négligé est élégant, qu'elles sont le plus souvent en robes blanches, qu'elles aiment les fleurs, les bois, l'eau qui coule, l'oiseau qui chante, la poule qui court entourée de ses poussins, femmes charmantes, sans faste, sans tristesse, sans gaité, et qui meurent souvent sans avoir connu l'amour".</i> Mlle de la Mole elle, représente la parisienne de salons : promise à être duchesse elle doit se marier avec M. de Croisenois pour obtenir ce titre. J'ai été touché par ces femmes qui s'enrichissent l'une l'autre par leurs différences de caractères. Stendhal profite de la relation entre Julien Sorel et Mathilde de la Mole pour dépeindre une façon d'aimer très parisienne : ne jamais se laisser abandonner à des transports amoureux incontrôlables mais ne pas hésiter au contraire à se montrer froid et distant pour faire croire à l'être aimé qu'on peut le quitter demain et ainsi le pousser à l'attachement. Cette façon d'aimer qui oblige à jouer un rôle souligne l'hypocrisie de Julien qui n'est jamais lui-même, et tranche totalement avec l'amour que lui porte par exemple Mme de Rênal. Stendhal évoque d'ailleurs l'amour de Mme de Rênal en ces termes : <i>"l'amour vrai, simple, ne se regardant pas soi-même"</i>. Cet amour triomphe finalement dans le coeur de Julien, puisque lorsqu'il est dans son cachot, c'est nettement à Mme de Rênal qu'il donne la préférence.<br />
J'ai également été vivement intéressée par la façon dont Stendhal traite son sujet. En effet, il faut savoir qu'à l'époque se développe un nouveau lectorat hors des salons, issu d'une condition plutôt modeste. Les libraires publient alors une nouvelle catégorie de livres pour "femmes de chambre" qui présentent souvent des intrigues extrêmement romanesques généralement basées au Moyen-Âge avec un héros très beau et vertueux. À l'inverse les lecteurs des salons parisiens rejettent tous ces développement romanesques et la figure du héros parfait apte à procurer de l'émotion aux femmes pour des textes plus sérieux ayant d'autres buts que le divertissement simple. La démarcation entre ces deux types de livres n'est pas encore nette à l'époque et il n'y a pas véritablement de distinction entre la littérature et la para-littérature. Dans <i>Le Rouge et le Noir</i>, on remarque une adresse aux deux publics et c'est là une des forces du livre que de pouvoir satisfaire deux attentes totalement différentes. C'est particulièrement clair lors du procès de Julien Sorel où l'on remarque que la mention de sa jeunesse, de sa beauté particulière ainsi que des bancs remplis de femmes en larmes coexiste avec sa prise de parole à consonance politique et polémique aujourd'hui extrêmement connue : <i>"Messieurs les jurés,</i><br />
<i>L'horreur du mépris, que je croyais pouvoir braver au moment de ma mort, me fait prendre la parole. Messieurs, je n'ai point l'honneur d'appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s'est révolté contre la bassesse de sa fortune.</i><br />
<i>Je ne vous demande aucune grâce, continua Julien en affermissant sa voix. Je ne me fais point illusion, la mort m'attend : elle sera juste. J'ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Mme de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J'ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Mais quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s'arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans une classe inférieure et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation et l'audace de se mêler à ce que l'orgueil des gens riches appelle la société.</i><br />
<i>Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d'autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés..."</i><br />
Le lecteur est donc face à un roman riche et paradoxal qui traite de Paris et de la Province ; de la société plate et hypocrite de la Restauration et de l'énergie ; de la carrière ecclésiastique et des salons de la capitale ; de la Vie encore, et de la Mort ; du Rouge enfin, et du Noir.<br />
<br />
<u>Du même auteur :</u><br />
<ul>
<li><i>La Chartreuse de Parme</i></li>
<li><i>Lucien Leuwen</i></li>
<li><i>Vie de Henry Brulard</i></li>
<li><i>Racine et Shakespeare</i></li>
</ul>
<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
<ul>
<li><i>La Confession d'un enfant du siècle</i> d'Alfred de Musset</li>
<li><i>Les Souffrances du jeune Werther</i> de Goethe </li>
</ul>
<u>Lecture commune avec... :</u></div>
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<a href="http://livresdemalice.wordpress.com/2012/07/07/le-rouge-et-le-noir/" target="_blank">Azilice</a> - <a href="http://lunazione.over-blog.com/article-le-rouge-et-le-noir-stendhal-107401761.html" target="_blank">Luna</a> - <a href="http://biblekisssbible.blogspot.fr/2012/07/le-rouge-et-le-noir-de-stendhal.html" target="_blank">coffeebee</a> - <a href="http://paysdecoeuretpassions-critiques.blogspot.ca/2012/06/rouge-ou-noir.html" target="_blank">isallysun</a> - <a href="http://lunazione.over-blog.com/article-le-rouge-et-le-noir-stendhal-107401761.html" target="_blank">Luna</a> (organisatrice) - <a href="http://readingmarmotte.wordpress.com/2012/07/07/grignotage-n242-le-rouge-et-le-noir-stendhal/" target="_blank">Marmotte</a> - <a href="http://petitepom.wordpress.com/2012/07/07/le-rouge-et-le-noir-stendhal/" target="_blank">Petitepom</a> </div>
Unknownnoreply@blogger.com8France46.227638 2.21374940.608644 -7.893673 51.846632 12.321171tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-25626669507458749632012-07-06T23:53:00.000+02:002012-07-07T00:26:52.665+02:00Écrivain cherche place concierge de Nicolas Ancion<span style="font-size: large;">Critique d'<i>Écrivain cherche place concierge</i> de Nicolas Ancion</span><br />
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://ancion.hautetfort.com/media/01/01/124156765.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://ancion.hautetfort.com/media/01/01/124156765.jpg" width="195" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
<div style="text-align: justify;">
<i>Quatrième de couverture : "Victor a les cheveux noirs, comme les poils que sa mère cachait sous ses bras ; il ne porte pas de lunettes, comme le chat qu'il n'a jamais eu lorsqu'il était enfant ; il s'est mis à ronfler sur le tard, comme à jouer aux échecs et à écrire des livres. Car Victor écrit. Pas beaucoup. Juste ce qu'il faut pour n'être pas complètement chômeur." Ecriv. ch. pl. concierge. C'est avec cette petite annonce que Victor, jeune écrivain paresseux et sans le sou, a décidé de trouver du boulot. Concierge, n'est-ce pas l'occupation idéale pour écrire au calme? Surtout quand il s'agit simplement de garder un château, perdu au milieu de la campagne. Mais la campagne n'est plus ce qu'elle était. Bien sûr, il reste les fermes en pierres de taille, les bouses de vache, l'herbe humide sous les pieds nus. Mais il faut ajouter à cela les trajets de bus interminables, les mariages qui tournent mal, les mobylettes et les motos, les filles en tenue de tennis, et, par-dessus tout, un lapin en peluche et un ours amateur de gâteaux au chocolat. On le comprend, au milieu de tout ça, Victor n'a plus vraiment ni le temps, ni l'envie d'écrire.</i></div>
<div style="text-align: justify;">
Entre une petite chambre dont le loyer est en "stand by" depuis quelques mois, les flâneries dans la ville ou encore les jeunes filles qui ne rappellent pas, difficile de trouver le temps d'écrire! Que penser alors d'une place sympa en tant que concierge dans un château? Intéressant pour se poser et se mettre au travail à tête reposée. Mais voilà, l'écrivain n'est pas au bout de ses surprises : son collègue majordome est un lapin en peluche et il aura pour hôte... un ours brun! Et si c'était l'imagination qui lui jouait un tour?</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
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<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
<div style="text-align: justify;">
J'ai lu ce livre dans le cadre d'une rencontre avec mon club de lecture <a href="http://lireamontpellier.blogspot.fr/" target="_blank">Lire @ Montpellier</a> et l'auteur s'était manifesté pour venir à cette séance sur le thème de la littérature belge. Malheureusement, ce dernier nous a posé un lapin (en peluche) et c'était bien dommage car j'avais beaucoup de questions à lui poser!</div>
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J'ai énormément apprécié le début du livre qui effectue un effort narratif particulier pour entrer dans l'intériorité du personnage. Le lecteur évolue véritablement avec lui dans sa démarche de poser une petite annonce au journal : on attend la réponse et on se demande aussi si la jolie fille de l'accueil va rappeler bien que la technique de drague de notre écrivain soit assez maladroite. L'auteur semble s'inspirer des techniques de monologue intérieur pour nous faire suivre le flux des pensées du personnage. J'ai beaucoup aimé cette façon d'écrire qui m'a poussée très rapidement à avoir de la sympathie pour ce personnage malgré son existence de looser un peu pathétique.</div>
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Cependant, dès que l'écrivain trouve sa place de concierge dans le fameux château, les choses se corsent avec l'arrivée soudaine d'un lapin en peluche animé et parlant. Le début du récit étant tout à fait réaliste et vraisemblable, le lecteur est happé dans une suite d'événements qu'il n'attendait pas et auxquelles il n'était pas du tout préparé. J'ai été très sceptique face à ce retournement de situation très spécial consistant à introduire des éléments complètement absurdes et irréels dans l'histoire. Je pense qu'à ce stade là, il ne faut pas trop se poser de questions et continuer la lecture du texte en se laissant aller sans trop essayer de rationaliser. Rapidement, on arrive à une surabondance de nouvelles figures fantastiques : les phoques et les pingouins gangsters, l'ours fan de chocolat et j'en passe de meilleures. Honnêtement j'ai été emportée dans un fouillis indescriptible sans trop comprendre ce qu'il se passait, ce qu'on essayait de me transmettre par cet enchevêtrement de situations toutes aussi absurdes les unes que les autres!</div>
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On retrouve l'image du lapin blanc qui rappelle le monde d'<i>Alice au pays des merveilles </i>de Lewis Carroll. À partir de là, on pense immédiatement à la frontière entre le réel et l'imagination. L'arrivée au château de l'écrivain symbolise donc peut-être ce passage de l'autre côté du miroir. En effet, ce dernier ne parvenait pas à écrire dans son univers quotidien d'où la nécessité d'habiter un nouvel espace plus propice à l'épanchement de l'imagination et à la création. Il me semble que c'est un des sens que l'on peut extraire de l'irruption soudaine de figures fantastiques dans le récit. C'est là certainement une illustration intéressante d'une vision du processus d'écriture : laisser librement courir son imagination pour ensuite tisser des intrigues et un canevas de base qui fassent sens. Ici, l'écrivain est dans un travail d'imagination étant donné qu'à aucun moment dans le livre il n'est mis en scène en train d'écrire. J'ai trouvé ce paradoxe assez intéressant : le personnage n'est donc ni pleinement concierge ni pleinement écrivain.</div>
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Finalement, cet ouvrage m'a profondément surprise, c'est une lecture à laquelle je ne m'attendais pas du tout. J'ai été déçue au départ par cette plongée dans l'absurde et dans le fantastique, mais après réflexion, il y a là de quoi donner à penser. Je conseille donc ce petit texte à tous ceux qui n'ont pas peur de se laisser embarquer dans des aventures folles qui les dépassent totalement.</div>
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<u>Du même auteur :</u></div>
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<li><i>Les ours n'ont pas de problèmes de parking </i></li>
<li><i>Nous sommes tous des playmobiles</i></li>
<li><i>Quatrième étage</i></li>
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<u>Vous aimerez peut-être aussi :</u><br />
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<li><i>Alice au pays des merveilles </i>de Lewis Carroll </li>
</ul>Unknownnoreply@blogger.com3Belgique50.503887 4.46993649.211200999999996 1.9430804999999998 51.796573 6.9967915tag:blogger.com,1999:blog-693954340591991630.post-57700073831360222582012-06-26T12:44:00.000+02:002012-06-26T12:44:26.055+02:00Les Forestiers de Thomas Hardy<span style="font-size: large;">Critique de <i>Les Forestiers</i> de Thomas Hardy</span><br />
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<a href="http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/ZoomPE/2/0/1/9782752904102.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://multimedia.fnac.com/multimedia/images_produits/ZoomPE/2/0/1/9782752904102.jpg" width="206" /></a></div>
<u>Résumé :</u><br />
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<i>Quatrième de couverture : Lorsque Grace Melbury revient dans le petit hameau boisé de Little Hintock, après ses études, son avenir est depuis longtemps tracé, déterminé par une promesse intérieure faite entre son père et celui de Giles Winterborne, décédé. Grace et Giles sont promis l'un à l'autre, ils se marieront. Mais Grace a grandi. Elle a découvert, hors des frontières de son village, une tout autre vie, d'autres rêves. Portée par l'ambition et ses nouvelles aspirations, elle tombe dans les bras du beau, irrésistible et troublant Dr Edred Fitzpiers. Mais ce chemin n'est-il pas à mille lieues de ses envies sincères, de ses affection profondes?</i></div>
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<i>"Hardy n'a rien écrit de plus intelligent, de plus ému, de plus parfait. C'est une perle sans défaut, d'un orient incomparable", écrit André Gide dans son </i>Journal<i>, à propos du roman le plus injustement méconnu de l'auteur anglais.</i></div>
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Grace Melbury est une jeune fille élevée dans un petit village perdu en pleine forêt. Son père l'envoie à la ville suivre une bonne éducation afin qu'elle puisse acquérir un esprit fin et s'élever au-dessus de sa condition. Lorsqu'elle revient, la vie n'a pas changé dans le petit patelin de Little Hintock. Elle est toujours promise au jeune Giles Winterborne : un jeune paysan honnête et aimant. Mais elle, est-elle restée la même? L'arrivée d'un homme - le docteur Fitzpiers - dans le village va-t-elle changer le cours normal des évènements?</div>
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<u><a name='more'></a>Mon avis :</u></div>
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Je suis tombée par hasard sur ce livre en librairie et j'ai été littéralement charmée par la citation tirée du <i>Journal</i> d'André Gide, à propos de ce texte. Vraiment, quel éloge incroyable! Je l'ai donc acheté les yeux fermés et je n'ai absolument pas été déçue.</div>
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J'ai d'abord été frappée par le titre <i>Les Forestiers</i> qui évoque instantanément toute une imagerie de conte de fées et de forêts obscures. La forêt m'est apparue comme un élément crucial du texte. Elle représente les frontières d'un huis clos qui se joue dans le petit village de Little Hintock mais semble parfois se révéler être un véritable personnage du roman. En effet, la forêt est un cadre autant qu'une entité qui agit dans l'action : les personnages s'y perdent, s'y retrouvent, s'y aiment, y meurent, y gagnent leur vie ou encore s'y découvrent. On trouve ici l'ambivalence d'une Nature mère et protectrice autant que dure et implacable qui s'illustre dans l'opposition des deux<i> topoï (lieux communs littéraires) </i>en littérature : <i>locus amoenus (jardin, lieu d'une nature accueillante) </i>et <i>locus terribilis (forêt, lieu d'une nature sauvage et inhospitalière).</i> Ainsi les personnages de forestiers vivent grâce au bois de la forêt qui leur permet de gagner leur vie mais en échange, ils sont privés de toute liberté puisque condamnés à ne vivre qu'à proximité de cette dernière. La forêt est ainsi peinte comme une entité presque divine qui donne et reprend et qui seule détiens les clefs de l'intrigue qui se joue à ses pieds.</div>
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Le lecteur va également trouver ici un microcosme de personnages enclavés par l'étreinte de cette forêt. Ils évoluent au rythme de la vie et c'est finalement la multiplicité des caractères qui crée les évènements. On a aussi l'illustration de différentes classes sociales puisque il y a une noble Mrs Charmond ainsi que le docteur Fitzpiers qui par son instruction s'élève au-dessus des habitants de Little Hintock. Ces deux personnages se tiennent en marge du petit village puisque Mrs Charmond vit dans un château excentré et que Fitzpiers semble n'avoir que peu de relations avec les habitants d'autant plus qu'il passe son temps à lire la nuit bien qu'il habite une maison au sein du hameau. Les travailleurs de la forêt aux sont clairement rattachés aux classes sociales paysannes : ils sont attachés à la terre et au dur labeur. C'est le cas de Giles Winterborne qui est profondément ancré dans les valeurs du respect de la terre et de l'autre. Les paysans sont représentés comme des personnages stables et conscients des réalités de la vie tandis que les nobles sont des caractères névrosés et profondément instables comme condamnés à être écartelés entre des sentiments contradictoires. Entre ces deux mondes qui sont pratiquement opposés se trouve la jeune Grace qui porte en elle des caractères appartenant aux deux classes sociales. Cette hybridité est précisément la source des problèmes qui affecteront le village dès son retour de la ville où elle s'est instruite.</div>
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L'un des thèmes fondamentaux de ce livre réside d'ailleurs dans l'idée qu'il est impossible de s'extraire fondamentalement de sa classe sociale. En effet, les développement tragiques du textes sont bien souvent dus aux déviations qu'opèrent les personnages, des chemins qui leur avaient été tracés.</div>
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J'ai adoré le personnage de Marty, cette jeune fille paysanne amoureuse de Giles Winterborne qui est promis à Grace dont il est strictement épris. Son quotidien est précaire et elle travaille dur pour gagner son pain jusqu'à vendre ses longs cheveux - pourtant ses seuls atouts physiques - à Mrs Charmond afin qu'elle se fasse des extensions. J'ai été très touchée par ce caractère profondément tragique et pathétique qui n'a pas d'autres ambitions que de vivre une vie simple et heureuse.</div>
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À travers le personnage de Giles Winterborne, Thomas Hardy nous offre une magnifique vision de l'amour chaste et simple qui conduit le personnage jusqu'au sacrifice de lui-même afin de préserver la vertu de sa belle Grace Melbury. Giles Winterborne est un caractères qui ne souffre aucune ambivalence : il est profondément bon de façon univoque. C'est peut-être Marty qui le caractérise le mieux : <i>"Va, jamais je ne t'oublierai, car tu étais un brave homme, qui ne savait faire que le bien".</i> Le sacrifice de Winterborne apparaît comme le seul moyen de retrouver une quiétude dans le village sans nuire à l'honneur de Grace. Il y a là quelque chose de profondément tragique qui rappelle le sacrifice d'Iphigénie pour que la flotte d'Agamemnon dont elle est la fille puisse prendre la mer et aller en guerre. Une mécanique implacable qui condamne le seul personnage entièrement tourné vers le bien du récit. D'un point de vue religieux on entrevoit aussi le symbole du sacrifice du Christ pour les croyants. J'ai été bouleversée par cette image forte et touchante.</div>
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Cette histoire est très riche, Thomas Hardy sait mêler à la perfection le comique le plus hilarant avec un tragique des plus pathétiques sans que jamais les tons ne s'entrechoquent. Je rejoins donc entièrement l'avis de Gide sur cette ouvrage qui m'encourage à découvrir prochainement les autres textes de l'auteur.</div>
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<br /><u>Du même auteur :</u></div>
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<li><i>Jude l'Obscur</i></li>
<li><i>Tess d'Uberville</i></li>
<li><i>Loin de la foule déchaînée</i></li>
</ul>
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<li><a href="http://www.lenlivree.com/2012/06/la-maison-du-chat-qui-pelote-de-balzac.html"><i>La Maison du Chat-qui-pelote</i></a> de Balzac</li>
<li><i> <a href="http://www.lenlivree.com/2011/10/madame-bovary-de-flaubert.html">Madame Bovary</a></i> de Flaubert</li>
</ul>Unknownnoreply@blogger.com3Angleterre34.5442609 -91.969028434.5311819 -91.9887694 34.557339899999995 -91.9492874