mardi 22 novembre 2011

Le roman libertin

Qu'est-ce que le roman libertin?


      Au XVIIIème siècle le roman, considéré comme un genre mineur par les critiques, obtient la seconde place des ventes littéraires. Placé après la poésie il semble passionner les lecteurs malgré la connotation péjorative du terme qui renvoie dans l'imaginaire aux goûts des femmes et du peuple. Parmi des romans galants ou des romans d'aventures paraissent des centaines de romans libertins qui connaissent un succès important. Onze éditions pour Les Confessions du comte de *** de Duclos paru en 1741, douze pour l'Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux de Gervaise de Latouche en 1745 ou encore dix éditions pour Thérèse Philosophe attribué à Boyer D'Argens et publié en 1748. Ces textes licencieux circulent de main en main sans qu'on puisse les contrôler et paraît-il que Louis XVI en personne se serait constitué sa bibliothèque érotique. C'est que l'écriture précieuse d'un Crébillon comme les tournures réalistes que l'on peut lire dans Margot la ravaudeuse de Fougeret de Monbron semblent agréablement divertir le lecteur. Mais si les romans libertins exaltent le libertinage de mœurs ils n'en font pas moins pour le libertinage d'esprit. Dès lors penser qu'ils ne sont que des « livres qu'on ne lit que d'une main » paraît réducteur. Et en introduction à son ouvrage Libertinage et figures du savoir, Marc-André Bernier affirmait : « En conférant au roman libertin le rôle de précurseur un peu frivole d'une conception moderne du désir, [la critique contemporaine] en a fait non seulement un genre dépourvu de consistance propre : elle l'arrache encore à la singularité, voire à la grandeur, de la tâche qui fût la sienne. » (p. 1). Le terme de « frivole » renvoie en effet à un manque de sérieux et finalement à une chose sans importance. Utilisé aussi pour qualifier quelqu'un d'inconstant dans les relations amoureuses il rappelle cet univers libertin qui substitue le goût à l'amour. Mais la notion de « précurseur » évoque l'annonce d'une idée nouvelle à savoir la « conception moderne du désir » qui marque un nouveau rapport hommes/femmes. Le roman libertin semble ici ambivalent d'autant plus qu'il se voit attribuer le statut de « genre » bien que celui-ci s'avère « dépourvu de consistance propre ». La critique contemporaine ne parvient pas à gommer cette « singularité » et le roman libertin conserve ce caractère rare et exceptionnel, qu'il soit négatif ou positif. Mais on peut toujours se demander ce qu'il en est de « la tâche qui fût la sienne ». Le roman libertin n'est-il finalement qu'un objet de divertissement qui n'a fait qu'annoncer une nouvelle perception de l'attirance et du désir ? Il s'agira d'étudier d'abord le roman libertin en ce qu'il pourrait avoir de léger et de frivole, ce qui nous mènera naturellement à envisager ses autres aspects qui vont dans le sens des idées qui nous conduiront eux-mêmes à remettre totalement en cause les préjugés dont il est la cible.



       Lorsqu'on se figure le libertinage l'une des idées premières qui affleure à l'esprit est sans doute celle de la sexualité évoquée sur un ton badin. Le libertin semble voguer au gré de ses passions sans jamais s'attacher à rien ni personne. La doxa paraît le représenter comme un caractère vain dont l'existence elle-même est vaine et dénuée de tout sens. Il ressemble à l'homme en quête de divertissement que nous peint Pascal dans ses Pensées, en effet il écrit dans le fragment 126 : « S'il est sans divertissement, et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point […] de sorte que s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux […]. ». Si Pascal parle ici du roi, cette remarque pourrait parfaitement s’adresser à Clitandre, personnage du séducteur dans La Nuit et le Moment de Crébillon qui ne peut s'empêcher d'aller de conquête en conquête pour tromper l'ennui. Ainsi Cidalise lui demande en parlant d'Aspasie ; « Mais comment accordiez vous votre tendresse pour elle avec les complaisances que vous aviez pour Bélise ? » (p. 301(1)) et il se justifie de cette façon « Je ne vous cacherai même pas qu'elle m'amusa quelque temps, et que tous les reproches que je m'en faisais ne m'empêchèrent pas de la garder un mois. Il est vrai qu'Aspasie en passa plus de la moitié hors de Paris, et qu'alors j'avais réellement besoin qu'une femme, que j'aimais, ne fût pas si longtemps absente. » (p. 301-302). Ainsi le libertin apparaît en perpétuelle recherche d'occupations. Le roman libertin peut alors effectivement être perçu comme un simple objet de divertissement sans autre portée que d'attacher l'attention un moment.
       Ainsi on peut constater qu'à l'inverse de la tragédie, genre sérieux par excellence, les thèmes ne sont pas nobles. Il n'y est pas question de grandes guerres militaires ou de la décadence d'un roi et pour cause, lorsqu'on rédige des romans libertins, on se trouve dans un temps plutôt pacifique, sans grand conflit. On se préoccupe alors des conquêtes amoureuses sans conséquences particulières: « On se plaît, on se prend. S'ennuie-t-on l'un avec l'autre ? on se quitte avec tout aussi peu de cérémonie que l'on s'est pris. Revient-on à se plaire ? on se reprend avec autant de vivacité que si c'était la première fois que l'on s'engageât ensembles. On se quitte encore, et jamais on ne se brouille. » (p. 261). Cette remarque de Clitandre donne la vive impression d'un ballet sans fin aussi monotone qu'insensé. Cette idée se précise dans Thérèse Philosophe puisque Boyer D'Argens puise son inspiration dans un fait divers comme l'indique le sous-titre : « ou Mémoires pour servir à l'histoire du P. Dirrag, et de Mlle Eradice. ». Les lecteurs du XVIIIème siècle identifiaient parfaitement, malgré le jeu d'anagrammes, la plaignante Mlle Catherine Cadière et le père Girard accusé d'abus sexuels, tous deux acteurs d'une affaire qui fit grand bruit. D'aucuns attribuent d'ailleurs à cela le succès du livre. De même, dans Les Bijoux indiscrets de Diderot, le motif qui structure le récit à savoir le pouvoir de faire parler les parties génitales des femmes est totalement fantasque, ce thème, déjà utilisé par le comte de Caylus dans son Nocrion, fait ici office d'idée forte. En effet, Diderot s'étant vu lancer le défi d'écrire un texte « à la façon de Crébillon », doit trouver un fil logique à son histoire comme dans Le Sopha de Crébillon où le protagoniste est transformé en sofa par un génie et se voit dans l'obligation pour être libéré du sort, de servir de couche à un couple innocent qui se donnerait sur lui.
       Car si les intrigues des romans libertins se doivent d'être divertissantes, c'est qu'elles s'adressent à une société qui s'ennuie exactement de la même façon que celles qu'elles peignent. Dans les Bijoux Indiscrets, Mangogul tient à interroger le bijou de l'une de ces joueuse qui occupe son temps à perdre ainsi dans davantage d'argent qu'il ne lui en eût coûté à ne rien faire, selon une maxime célèbre. En effet, on se confine dans les chambres et dans les boudoirs à Paris ou en province et rien ne trompe davantage l'ennui que de planifier des conquêtes, discourir sans but et s'occuper à des choses futiles. Le jeu occupe pratiquement tout le temps des joueurs et leur esprit ne devient plus disponible que pour cela, le narrateur du texte l'explique en ces termes : « La plupart des femmes qui faisaient la partie de la Manimonbanda jouaient avec acharnement […]. La passion du jeu est une des moins dissimulées ; elle se manifeste, soit dans le gain, soit dans la perte, par des symptômes frappants. »(p. 68(2)). Cette occupation qui est décrite comme une perte de temps gratuite prouve à quel point ces femmes qui s'ennuient ressentent le besoin d'employer leur temps. De même, La Nuit et le Moment de Crébillon ne raconte rien de plus qu'un moment dans la nuit passé à se raconter des histoires, se taquiner pour finalement se quitter presque au matin comme si rien ne s'était passé et Clitandre pourrait le lendemain recommencer la même entreprise avec une autre femme sans que cela ne nous surprenne. Le roman libertin se réduit-il pour autant à ces aspects uniquement ? Car si on ne peut nier qu'ils peuvent le caractériser, il ne faut pas oublier qu'ils ne sont qu'une partie d'un tout qui est éminemment plus riche.

       L'auteur d'un roman libertin critique bien souvent les usages de la société dans laquelle il vit. En observateur distant, il dresse des portraits satiriques et parodiques qui, bien qu'ils soient souvent placés dans des réalités différentes, ne manquent jamais d'atteindre leurs cibles. Ainsi dans Les Bijoux indiscrets, Diderot utilise beaucoup le procédé de l'allusion qui, s'il peut s'avérer trouble pour nous lecteurs du XXIème siècle, était très bien compris par ses contemporains qui avaient les mêmes repères. Dans le Dictionnaire de rhétorique de Georges Molinié(3), elle est décrite comme « constist[ant] en ce que, dans un discours s'étendant en général sur plusieurs phrases, un terme a un sens à l'égard d'un autre terme de la phrase, et un sens, différent par rapport à la situation d'énonciation ou à l'univers de culture ». Dans le texte qui nous occupe, Diderot manie l'allusion et le personnage de Sélim décrit le règne de Louis XIV en ces termes : « Le règne de Kanoglou a été long, et nos poètes l'ont surnommé l'âge d'or. Ce titre lui convient à plusieurs égards. Il a été signalé par des succès et des victoires ; mais les avantages ont été mêlés de revers, qui montrent que cet or était quelquefois de mauvais aloi. » (p. 281-282). Le portrait est long et certaines références sont très précises comme lorsqu'il est mentionné que « Le trésor royal était un grand coffre vide, que cette misérable économie ne remplit point ; et l'or et l'argent devinrent si rares, que les fabriques de monnaies furent un beau matin converties en moulins à papiers. » (p 282). Ici on peut reconnaître parfaitement la manœuvre de Law. Dans cet ouvrage Diderot critique aussi les mœurs ridicules des femmes de société comme celle de s'accompagner d'un « gredin » (voir chapitre du même titre p. 135) et Mangogul se questionne à ce sujet : « Je vous assure, répliqua le sultan, que je vois des chiens à toutes les femmes de ma cour, et que vous m'obligeriez de m'apprendre pourquoi elles en ont, ou pourquoi vous n'en avez point. La plupart d'entre elles en ont même plusieurs ; et il y en a une qui prodigue aux sien des caresses qu'elle semble n'accorder qu'avec peine à son amant. Par où ces bêtes méritent-elles la préférence ? Qu'en fait-on ? » (p. 131). On peut également dire que Crébillon dans La Nuit et le Moment, en plaçant ses personnages dans une intrigue si dérisoire, pointe du doigt la futilité des activités du temps.
       On peut ajouter que plus encore qu'une critique souvent humoristique du fait qu'elle soit placée pour le cas de Diderot et ses Bijoux indiscrets dans un Congo imaginaire issu d'un mélange d'influences orientales, ces auteurs opèrent parfois une critique plus profonde qui remet en cause les bases de la société. Ainsi la religion est généralement fortement critiquée dans les romans libertins. Alors qu'à l'époque on respectait le principe « Eius Regio, eius religio » on remet en question l'idée de droit divin qui sous-entend les pleins pouvoirs du roi. Les affaires civiles étaient gérées par l’Église qui s'occupait de l'éducation et des hôpitaux, ainsi on obtenait une identité par le baptême et il était impossible pour une personne de confession différente d'exercer un métier de pouvoir. Boyer d'Argens semble questionner l'ordre existant en dressant des religieux contre l’Église dans Thérèse Philosophe, les exemples sont nombreux mais le plus marquant est peut-être l'abbé T.. qui le premier initie Thérèse à la satisfaction des plaisirs. Après s'être confiée à Mme C... elle entre dans le confessionnal pour expliquer ses soucis à l'Abbé T... et celui-ci lui donne des conseils surprenants dans la réponse qu'il lui fait : « Parlons présentement, mon enfant, de ces chatouillements excessifs que vous sentez souvent dans cette partie qui a frotté à la colonne de votre lit, ce sont des besoins de tempérament aussi naturels que ceux de la faim et de la soif : il ne faut ni les rechercher ni les exciter. Mais dès que vous vous en sentirez vivement pressée, il n'y a nul inconvénient à vous servir de votre main, de votre doigt, pour soulager cette partie par le frottement qui lui est alors nécessaire » (p. 902). L'homme d’Église encourage l'onanisme alors que c'est totalement contraire à sa fonction. De plus dans Les Bijoux indiscrets les bramines sont souvent cause des infidélités des dames et fréquentent souvent les religieuses. Ces critiques s'accompagnent souvent d'un éloge de la Nature et de la présentation d'une nouvelle philosophie.
       Condillac publie son Traité des sensations en 1754. Même si de nombreux textes sont rédigés avant cette date, la pensée empirique héritée de John Locke qui est diffusée en France en grande partie par Condillac a déjà fait son chemin dans les esprits. Que ce soit dans Thérèse Philosophe, dans La Nuit et le Moment ou dans Les Bijoux indiscrets on trouve dans chacun de ces textes, la présence de l'influence du sensualisme. On la retrouve entre autres dans le texte de Crébillon avec l'histoire de Julie à laquelle la démonstration de Clitandre, qui a tenu lieu d'expérience, a montré l'invalidité de son propos. Pour Thérèse Philosophe, on ne peut manquer de noter qu'il s'agit d'un roman d'apprentissage à proprement parler. En effet, Thérèse nous raconte son évolution grâce aux différentes expériences qu'elle fait, souvent sexuelles, jusqu'à devenir la personne qu'elle est. Concernant le roman de Diderot on aura remarqué le passage allégorique qui met en scène sans ambages le personnage de l’Expérience qui détruit le pavillon des hypothèses qui représente la métaphysique. Il serait alors réducteur et donc faux d'affirmer que le roman libertin n'est qu'un genre léger. On peut cependant remarquer que la frivolité côtoie ces idées qui portent davantage à conséquence. Comment peut-on décrire alors le roman libertin ? Comme une synthèse de toutes ces facettes ou est-il finalement plus que des éléments superposés ?

       De toute évidence, le roman libertin se place contre une certaine vision de la société que l'on peut trouver véhiculée dans certaines œuvres littéraires. La tragédie par exemple, considérée au XVIIIème siècle comme un genre majeur avec la poésie illustre un rapport à soi totalement différent de celui du roman libertin. Au XVIIème siècle, l'individu était considéré uniquement comme appartenant à un groupe. Et la singularité, considérée comme un écart de la norme, n'était pas de bonne augure. Mais au siècle suivant, la pensée opère une mutation sur cette question et l'homme en tant qu'individu retrouve une légitimité. Grâce notamment au sensualisme, on se penche sur l'être intérieur, la psychologie et les passions individuelles. Une place plus importante est accordée aux passions contre l'apologie de la catharsis antique car elles traduisent les mouvements du cœur. Ainsi les classiques sont détournés. On peut saisir dans La Nuit et Le Moment une intertextualité manifeste avec La Princesse de Clèves par l'apparition de Julie dont les cheveux sont détachés et est presque à demi nue comme la Princesse adorant en secret monsieur de Nemours. De même, dans Les Liaisons Dangereuses de Laclos, où l'amour est exprimé avec des termes que l'on pourrait traditionnellement trouver dans la tragédie classique racinienne comme « fatalité », « cruel » ou encore « perfide », « tourments » et « mortels ». Certains passages semblent même être quasiment des citations comme le « J'aime, oui, j'aime éperdument » que l'on peut trouver à la lettre 102 de la Présidente de Tourvel à madame de Rosemonde qui rappellent étrangement le « J'aime... à ce nom je tremble, je frissonne. /J'aime... » de Phèdre de Racine Acte I scène 3. Le roman libertin utilise les classiques pour les détourner au service de ses ambitions.
       Car ce ton apparemment léger n'est pas gratuit. Le roman libertin utilise littéralement la frivolité au service des idées. Ainsi chacune des histoires de Clitandre prouvent un principe comme l'histoire de Luscinde qui montre que malgré tout l'amour qu'une femme pourra avoir pour son amant elle ne résistera jamais au goût et succombera à toutes les avances. Le texte même de La Nuit et le Moment qui est écrit sous la forme d'un dialogue est divertissant, l'auteur intervient parfois grâce à ce qui pourrait s'apparenter à des didascalies et interpelle souvent le lecteur comme ici : « Il n'est peut-être pas hors de propos d'avertir ici le lecteur que pendant que Clitandre parle, il accable Cidalise de caresses fort tendres, qu'elle ne lui rend point tout à fait, mais auxquelles elle ne s'oppose pas non plus, à un certain point. » (p. 294). De même les noms incroyables des personnages de Diderot et la peinture des mœurs de ce Congo inventé soutiennent l'attention du lecteur dont le plaisir sera aussi de découvrir les allusions que l'auteur a parsemé dans son texte. Cette légèreté permet de donc de trouver et de toucher un public qui est dors et déjà réceptif à ce que le texte lui présente. Mais on trouve plus que cela dans le roman libertin, car ce plaisir procuré au lecteur devient une réelle arme de subversion.
       On peut même aller jusqu'à dire que la recherche du plaisir devient un principe militant. Car si les auteurs de ces livres ne prévoyaient pas la Révolution, ils souhaitaient vivement que les bases de la monarchie soient revues et beaucoup des textes clandestins qui circulaient au début du siècle marquèrent la pensée des écrivains cités. Si le roman libertin a contribué ou non à la Révolution personne ne saurait l'affirmer. Mais on ne peut nier que cette littérature a été massivement lue au XVIIIème siècle et que la plupart des romans notamment Thérèse Philosophe ou Le Portier des Chartreux étaient également connus des classes plus modestes. Si les mentalités n'étaient pas prêtes pour entamer un soulèvement à la fin du règne de Louis XIV alors que le pays était dévasté, elles le furent pendant celui de Louis XVI alors qu'en plus des mauvaises conditions de vie, les nouvelles idées, et les textes avaient préparé dans les esprits un terreau fertile d'où devait germer un soulèvement historique. Mais le roman libertin comme toute choses reste ambivalent et contre la logique manichéenne, rappelons que le succès de Crébillon le mènera à devenir Censeur du roi. Et enfin notons que La Nuit et le Moment nous présente finalement une vision pessimiste des libertins qui malgré tout poursuivent des vies vaines et vides, cette idée est peut-être également présente dans Les Bijoux Indiscrets puisque à la fin la découverte de la femme vertueuse Mirzoza est très brève et semble n'avoir que peu d'importance. On pourrait voir ici l'annonce du chef d’œuvre de Laclos qui intégrera une dimension très noire à son ouvrage en lui conférant une fin tragique, lui-même annonçant peut-être le point de non retour que franchiront plus tard les œuvres de Sade.


       S'il est vrai que le roman libertin possède une dimension frivole et légère constatée dans plusieurs textes, on ne peut pas le réduire à cet état de fait. Ces textes véhiculent des critiques, des idées voire même toute une philosophie. S'il a effectivement inspiré la naissance d'un nouveau rapport homme/femme, il ne faut pas voir là sa seule œuvre. Car cette « tâche qui fût la sienne » semble d'emblée éminemment plus large. Ce qu'est le roman libertin ? Je n'ai trouvé de meilleure réponse que celle que nous offre Patrick Wald Lasowski dans son Avant-Propos au volume II de l'édition Romanciers Libertins du XVIIIe siècle : « Nous fixons les règles. Nous codifions les genres. Nous disciplinons la littérature. L'écriture travaille en sens contraire. Le romancier libertin dit le désordre du monde ». Et peut-être également que le roman libertin est un de ces « livres comme du feu dans nos foyers ; on va prendre le feu chez son voisin ; on l'allume chez soi, on le communique à d'autres, et il appartient à tous » dont parle Voltaire dans son Dictionnaire Philosophique, mais voilà encore une question ouverte.



notes:
(1) La pagination pour La Nuit et le Moment de Crébillon et Thérèse Philosophe de Boyer D'Argens correspond à celle du volume de la Pléiade : Romanciers libertins du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, Coll. Pléiade 2005.
(2) La pagination pour les Bijoux indiscrets de Diderot est celle de GF Flammarion, Paris, 1968.
(3) Dictionnaire de rhétorique de Georges Molinié, Paris, Librairie Générale Française, Coll. Le Livre de Poche, 1992.

4 commentaires:

  1. J'ai lu en diagonale, car je connais un peu le sujet mais ton article est super et facilement compréhensible.
    Bien-sur, rien ne veut Mme. S. mais bon tu es un modèle de connaissance!

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    1. Je suis très loin d'être un modèle de connaissance! Disons que je bidouille avec ce que je sais.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Ah, Les Hasards Heureux de l'Escarpolette...Ce tableau illustre très bien ton article ! :)
    Je suis en train de bosser sur un exposé d'art qui a justement cette toile pour objet et je crois que je vais finir par en savoir pas mal sur le libertinage au XVIIIème et la peinture galante ! :D

    A part ça, très bon article.

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