dimanche 27 mai 2012

La Condition humaine d'André Malraux

Critique de La Condition humaine d'André Malraux

Résumé :
Quatrième de couverture : "Si toute condition humaine n'est pas renfermée dans ces pages, du moins est-il certain qu'elle ne cesse pas d'y être en question, et si tragiquement, si profondément que le livre se trouve encore accordé par ses accents aux peines les plus lourdes et aux plus grandes souffrances. C'est un sûr gage de son exceptionnelle valeur. [...] La plus grande beauté du livre - et je ne dis rien de l'intensité de certaines descriptions ou de certaines scènes qui appellent l'image de reproduction cinématographique - est dans quelques conversations terriblement lucides au cours desquelles les personnages, haussés au-dessus d'eux-mêmes pas l’évènement, livrent tout leur secret. C'est là qu'il faut chercher l'esprit de l'oeuvre, la définition qu'on peut tirer de notre condition.
Nous sommes seuls, d'une solitude que rien ne peut guérir, contre laquelle nous ne cessons pas de lutter." Jean Guéhenno.
Début du XXème siècle en Chine : le territoire est morcelé par des forces et des blocs idéologiques qui s'affrontent. Les individualités sont broyées dans le tourbillon de l'Histoire alors qu'émergent des caractère noirs et pour lesquels toute projection dans l'avenir semble vaine et impossible. Cette interaction permanente entre les êtres et les forces fait jaillir l'image d'un Âge de Fer où le monde semble s'être immuablement précipité.

Mon avis :
L'intrigue du roman s'inscrit dans l'Histoire réelle de la Chine au début du XXème siècle. A chaque début de chapitres, des dates et des heures précises viennent ancrer le récit dans une temporalité apparemment non fictionnelle. Le contexte historique est scrupuleusement réel d'autant plus que Malraux connait très bien les questions et les enjeux de la Chine à cette période. Malraux est également très attentif à la question de l'occidentalisation de la Chine : la réalité dramatique et tendue qu'il présente au lecteur apparaît comme une réponse à cette problématique. A la lecture de ce texte, on sent une préoccupation particulière au sujet des rapports entre les civilisations surtout quand ils peuvent être conflictuels.
J'ai apprécié dans cet ouvrage déceler des influences et des inspirations tirées de la littérature mais également du cinéma ou encore de la photographie. Par exemple, dans les années 1930 s'opère une montée en puissance du grand reportage : certains reporters publient des livres qui regroupent leurs articles de presse et on assiste à l'émergence de la figure du reporter qui se teinte du mythe de l'aventurier. A l'instar du reporter, le roman de Malraux est marqué par le sceau de l'action : le lecteur est transporté au coeur des évènements : le récit et rapide et les choses relatées sont riches. Les éléments de vérité (dates, contexte historique) côtoient les éléments de fiction d'où une certaine authentification du récit. Malraux utilise également le schéma des séquences temporelles pour construire son roman ce qui donne un résultat très cinématographique. Il s'agit de réinterpréter dans le roman des techniques picturales, photographiques ou cinématographiques telles que le gros plan, l'arrêt sur image ou encore l'accélération de l'action. Je pense notamment à la scène d'ouverture du roman avec Tchen qui se joue énormément sur l'utilisation du clair obscur par exemple, ce qui donne un aspect très visuel à cette séquence qui rappelle le cinéma des expressionnistes allemands comme Murnau. On remarque aussi un certain attachement au spectaculaire : des scènes de violence sont réparties à des moments clef du roman.
Mais Malraux ne se contente pas d'être un romancer avide de modernité culturelle, il donne à son récit une dimension particulière qui le pose en héritier de la tradition romanesque européenne. En effet, il est influencé par Conrad ou encore Dostoïevski en ce qui concerne par exemple la dramatisation des caractères. J'ai adoré ces personnages paroxystiques qui allient le spectaculaire romanesque au spectaculaire historique. D'aucuns ont tenté d'identifier certains personnages à des acteurs réels du monde à l'époque ce qui prouve que Malraux était très informé de la politique de son temps.
Pour en revenir aux personnages, je pense que Malraux est réellement un virtuose dans la création de ses caractères. Tout d'abord il y a une nette influence freudienne : les figures ne sont pas classiques mais ambivalentes, complexes, coupables... Les personnages malrussiens sont en effet très troublés et parfois incompréhensibles : il y a une réelle complexité psychologique peut-être même davantage que chez Dostoïevski du fait de l'influence freudienne. Pour les écrivains informés de cette nouvelle géographie du psychisme, on ne peut plus écrire un roman comme autrefois, surtout en ce qui concerne la création des personnages. Néanmoins, cela empêche le roman de basculer dans une simplification idéologique et politique ce qui est à mon sens un des grands points forts du texte. J'ai été fascinée par les personnages absolument détruits et destructeurs que sont Clappique et Tchen. Clappique incarne le nihilisme, l'absence totale de valeurs. Il apparaît comme un désespéré du monde et de lui-même. Tchen quant à lui pourrait se rapporter à la figure du naufragé, c'est un naufragé de la vie et du monde sans but et sans convictions, brisé par la vie dans la tendresse de son enfance il est devenu sacrificateur. Ses actions sont parfois incompréhensibles et dénuées de sens, ainsi, il incarne parfaitement la question de l'impénétrabilité du psychisme humain. D'autres personnages sont également intéressants comme Ferral qui représente l'archétype de l'homme de fer (d'où peut-être un certain jeu d'onomastique). Il est dans la prédation, assoiffé de pouvoir et d'argent qui sont ses seuls moteurs de vie (si toutefois vie il y a). C'est la figure du chef, de celui qui entreprend et qui domine et cela se traduit également dans ses rapports avec les femmes puisque que sa relation avec Valérie n'est qu'un puits de violence et de domination. Il s'agit de s'épanouir dans la force et dans la puissance et donc d'écraser l'autre d'où naturellement une définition très spéciale de l'érotisme comme un combat contre soi et contre autrui. C'est un personnage qui est finalement enfermé en lui-même, il n'est capable d'aucune espèce d'ouverture à l'autre que ce soit en amour ou en amitié. Pour comprendre un tel personnage il faut prendre en compte le contexte historique qui en lui-même est très révélateur notamment en ce qui concerne la République autoritaire. Ferral est l'incarnation de la politique impériale puissante qui écrase et broie. On trouve aussi dans le texte des personnages plus positifs qui pourraient être considérés comme des mentors, ce sont des caractères très forts qui parcourent le récit mais qui contiennent tout de même une ambivalence. On remarque par exemple Gisors, le père de Kyo le révolutionnaire, qui est dans la médiation et dans la réflexion philosophique, il se tient hors du tumulte de l'histoire grâce à son intelligence critique. Cependant on apprend que Gisors est opiomane, et c'est là certainement la cause artificielle de sa sérénité qui apparaît alors comme un miroir aux alouettes qui cache une individualité bien plus tourmentée. Gisors n'a pas de raison de vivre, il flotte à la surface de lui-même. De même on a le personnage de Kama-San qui représente la Chine des ancêtres. Il est musicien et se réfugie dans la culture ancienne. Kama-San est un sage, il est habillé de façon traditionnelle et connaît l'art de la calligraphie. Sa sérénité lui vient du fait qu'il sait créer - par la méditation, la musique et la peinture - des espaces intérieurs de richesse dans lesquels se réfugier. Il appartient pleinement à un Âge d'Or ancien et c'est là précisément qu'il devient ambivalent. En effet, Kama-San apparaît comme le témoin impuissant d'un monde déjà finissant. Sa culture se fissure entre les blocs des idéologies occidentales importées en Chine comme le nationalisme ou le communisme. De fait il devient alors une figure stérile enracinée dans le passé et il y a là précisément quelque chose de tragique et de pathétique. D'ailleurs Clappique ressent cette profonde ambivalence du personnage puisqu' "il éprouvait le sentiment de souffrir face à un être qui semblait nier toute douleur". L'esprit traditionnel incarné par Kama-San qui pouvait apporter un salut, un soulagement une raison de vivre à tout un peuple est ici définitivement enterré dans le passé. Malraux met donc en scène la disparition annoncée d'une culture et c'est une problématique qui le touchera toute sa vie à travers cette question simple : la rencontre de plusieurs cultures produit-elle une richesse ou un éclatement de l'une en faveur de l'autre? 
L'un des aspects les plus frappants de la Condition Humaine demeure cette relation entre les êtres et les forces. Il émane de ce texte une profonde noirceur qui touche le lecteur au plus profond de lui-même : il devient le spectateur impuissant d'une apocalypse en marche et contre laquelle toute action semble vaine. L'écriture de Malraux est également riche et tout à fait comme le font ses personnages, elle retranscrit l'hétérogénéité du monde grâce à une variété dans le récit : les descriptions s'entremêlent aux discussions sans oublier la présence de magnifiques passages poétiques et chargés d'émotions.
Cette oeuvre m'apparaît naturellement comme un texte magistral. Une révélation comme une découverte du monde, comme une découverte de soi.

Du même auteur :
  • La tentation de l'occident
  • Les conquérants
  • Le temps du mépris
Vous aimerez peut-être aussi :
  • Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad
  • Crime et Châtiment de Dostoïevski

2 commentaires:

  1. Je cherchais pour la énième fois des commentaires sur cette œuvre qui m'intéresse tout en m'effrayant et voilà que je tombe justement sur ton article !

    En lisant ton avis sur le sujet, je pense que je vais finalement me laisser tenter (même si je suis encore un peu dubitative)par une des grandes œuvres françaises du XXème siècle.

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  2. Pour moi je dirai que Malraux a à travers son roman mis l'accent sur la révolution anti-communite parce que les dirigeants eux mèmes ne sont pas clairs envers le peuple.
    à l'instar de Tchen et les autres je crois que leur servira d'exemple aux révolution.

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