vendredi 25 mai 2012

Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos

Critique de Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos

Résumé :
Quatrième de couverture : Pour fuir le désespoir, l'hypocrisie et la misère, Mouchette, révoltée mystique, s'est jetée dans le vice et la violence avant de devenir la meurtrière de son amant. Sa rencontre avec l'abbé Donissan, bourreau d'ascétisme et humble vicaire hanté par la présence charnelle du démon, va sceller les destinées de ces deux âmes surnaturellement liées dans le combat furieux du bien et du mal.
La jeune Germaine Malorthy surnommée Mouchette sent sa jeunesse étouffer dans son cadre familial étroit. Alors qu'elle tente de découvrir l'amour et les choses de la vie, elle tombe dans les bras du marquis de Cadignan - un noble célibataire et de moeurs contestables - qui lui fait un enfant. Ce dernier refuse de reconnaître l'enfant et sa relation avec Mouchette. Dans sa détresse elle tente de chercher du soutien chez le docteur Gallet qu'elle prend pour amant mais se révèle être un caractère faible et insignifiant. Chaque jours davantage elle s'enfonce dans la folie et se perd. Parallèlement, l'abbé Donissan - un religieux qui semble un peu simple d'esprit mais apparemment doté d'une grâce extralucide - mène un combat intérieur permanent pour la Foi. Mais comment évoluer en état de Grâce dans un monde emplit de Tentations et d'appel au Mal?

Mon avis :
Bernanos fait partie des écrivains du XXème siècle qui ont été touchés par un certain doute existentiel, une angoisse de l'être profond. Si certains écrivains répondent à ce type de questionnements par l'engagement politique et une pensée matérialiste, Bernanos lui, fait partie des écrivains catholiques qui dénoncent le "bagne matérialiste" dont parlait Paul Claudel. Cependant, cela n'empêche pas Bernanos de porter un regard critique sur la bourgeoisie catholique et sur l'hypocrisie de ce milieu. Sous le soleil de Satan propose une vraie réflexion autour du chemin de la Foi et des tiraillements entre la raison et la passion.
L'ouvrage s'articule en trois parties : L'histoire de Mouchette qui constitue un prologue ; la première partie, La tentation du désespoir et la seconde partie, Le Saint de Lumbres. Dans le prologue on assiste à une montée progressive d'une tension, d'un mal qui ne dit pas son nom. En réalité le lecteur pressent la mise en place d'une puissance négative qui n'est pas encore identifiée comme étant celle de Satan. Ce sont surtout les dialogues qui opèrent cette montée du malaise grâce à des phrases courtes et une ponctuation forte et très émotionnelle. De plus les gestes sont violents et certaines atteintes physiques sont parfois sous-entendues mais imprègnent tout de même fortement le texte, je pense notamment au viol de Mouchette par Cadignan : ici les non-dits se voient offrir une place extrêmement importante qui contient une grande partie de l'horreur des situations. Un exemple avec le passage du viol sous-entendu de Mouchette : 
"- Nom de Dieu! s'écria Cadignan.
Il s'était levé d'un bond, et si vite que le premier élan de la pauvrette, mal calculé,  la porta presque dans ses bras. Ils se rencontrèrent au coin de la salle et restèrent un moment face à face, sans rien dire.
Déjà elle échappait, sautait sur une chaise qui s'effondrait, puis de là, sur la table ; mais ses hauts talons glissèrent sur le noyer ciré ; en vain elle étendit les mains. Celles du marquis l'avaient saisie à la taille, la tiraient vivement en arrière. La violence du choc l'étourdit ; le gros homme l'emportait comme  une proie . Elle se sentie rudement jetée sur le canapé de cuir. Puis une minute encore elle ne vit plus que deux yeux d'abord féroces, où peu à peu montait l'angoisse, puis la honte.
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De nouveau, elle était libre ; debout, en pleine lumière, les cheveux dénoués, un pli de sa robe découvrant son bas noir, cherchant en vain du regard le maître détesté."
Cette ligne de points qui marque l'impossibilité de décrire l'horreur instaure une tension presque étouffante. Finalement c'est la révélation de l'emprise de Satan sur le monde qui se joue dans ce prologue. Le lecteur se sent ainsi progressivement cerné par le mal qui devient ensuite une menace à combattre.
Dans un tel cadre, la mort de Mouchette représente une sorte d'acmé (paroxysme, dans les tragédies grecques ce terme évoque l'apogée d'un mal) de la tension. En effet, cette mort est d'abord extrêmement violente : c'est d'abord un suicide ce qui représente un crime contre Dieu qui seul donne la vie et la reprend. Ensuite, Mouchette se tranche la gorge avec un rasoir et la mort n'est pas instantanée ou rapide, elle va agoniser pendant de nombreuses heures. C'est donc une scène très sanglante et tragique. On remarque également que Mouchette mourante demande à l'abbé Donissan - dans un ultime voeu de rédemption - de mener son corps à l'autel de l'église. L'abbé Donissan porté par une sorte de fougue mystique accède à la requête ce qui donne lieu à une image hautement théâtralisée. Mais ce n'est pas le seul point d'orgue de ce texte puisqu'il y a également la rencontre en l'abbé Donissan et Satan qui a pris l'apparence d'un homme. Dans cette scène également très visuelle et forte, on a la mise en scène des trois Tentations principales éprouvées par Jésus dans le désert à savoir la tentation de la possession, la tentation du pouvoir et la tentation du savoir. Lors de l'épisode de la rencontre, Satan va user des trois Tentations pour détourner l'abbé Donissan de la voie de Dieu : ce dernier va finalement céder avec la tentation du savoir. On a ici une attention particulière portée à la force et à la faiblesse de l'homme qui vient s'ancrer dans une réflexion autour des chemins de la Foi. En effet, l'abbé Donissan devient ensuite le Saint de Lumbres. Ce personnage de Saint est clairement inspiré du curé d'Ars qui était doté d'une sorte de clairvoyance qui lui permettait de connaître les pêchers des fidèles avant que ces derniers ne les aient confessé. Cette clairvoyance est une grâce accordée par Dieu cependant elle ne doit pas être désirée et demandée au risque que cette demande soit attribuée à un péché lié à la volonté de savoir. C'est justement là que l'abbé Donissan montre sa faiblesse à Satan. J'ai beaucoup apprécié le personnage de l'abbé Donissan qui est constamment en proie à des écartèlements entre le bien et le mal. D'ailleurs, c'est une remarque que lui fait l'abbé Menou-Segrais lorsqu'il déclare "le diable est entré dans votre vie". La force de ce personnage est d'être traversé de sentiments paroxysmiques entre la Grâce dont il est exceptionnellement doté et les Tentations qui sont omniprésentes chez lui. Ces combats intérieurs se traduisent également physiquement car c'est une force de la nature, un corps de colosse et c'est aussi le sens des mortifications qu'il s'inflige.
Ce que j'apprécie par dessus tout dans ce texte, c'est que malgré une apparente division manichéenne du monde entre le bien (Dieu) et le mal (Satan), Bernanos parvient à introduire dans les faits une infinité de nuances.
Enfin, on a en littérature une tradition importante qui traverse les siècles visant à ridiculiser les figures de l'Eglise. Ici, Bernanos dote l'abbé Donissan - aussi désigné comme Saint de Lumbres - d'un halo de sainteté et de lumière. C'est une figure envoûtante qui traverse le texte. Mais la force de ce livre réside aussi dans la capacité à doter tout propos d'une nuance. En effet, certains stéréotypes sont ridiculisés, je pense notamment au curé de Luzarnes qui représente le curé progressiste qui n'ose plus parler des choses de la Foi  pour ne pas paraître ridicule et hors de son temps.
Pour terminer, je voudrais citer une phrase d'André Malraux qui - malgré le fait qu'il était agnostique - a profondément été marqué par l'oeuvre de Bernanos : "Il s'agit d'imposer au lecteur un lien passionnel avec une expérience qu'il ignore".

Du même auteur :
  • Journal d'un curé de campagne
  • Les grands cimetières sous la lune
  • La grande peur des bien-pensants
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3 commentaires:

  1. Un très beau billet, de grande qualité. Je suis entièrement d'accord avec toi sur la nuance : dans l'univers bernanosien, tout est ambigu. L'écrivain décrit Satan, le monde du mal, d'un coté, celui des saints, du bien, de l'autre mais malgré tout, rien n'est simple ni définitif. C'est un monde en perpétuel mouvement, changement... La violence est effectivement omniprésente dans ce roman : la scène où Mouchette se tranche la gorge est incroyable. J'aime aussi beaucoup le personnage ridicule de Saint-Marin dans la dernière partie. Je ne connaissais pas la citation de Malraux mais elle est effectivement très juste. Bernanos est un écrivain extraordinaire !

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  2. Je ne connaissais pas du tout ce roman mais la longue chronique que tu y as consacré me donne très envie. Je viens de découvrir ton blog et je dois dire que j'apprécie beaucoup la façon dont tu écris dtes billets :)

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    1. Salut salut! Merci beaucoup pour ce commentaire :) J'espère que tu trouveras de quoi t'inspirer d'autres envies de lecture encore sur l'Enlivrée.
      Joyce

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