lundi 16 mai 2011

Compte-rendu d'une conférence de Philippe Dufour.

Philippe Dufour présente son ouvrage Le Roman est un songe


Cet article est le compte-rendu d’une conférence qui s’est tenue le 5 avril 2011 à l’Université Paul Valéry.

Philippe Dufour est professeur de littérature française à l’université François-Rabelais, à Tours. Il a notamment publié : Le Réalisme, de Balzac à Proust (PUF, 1998) et, dans la collection « Poétique » : La Pensée romanesque du langage (2004).
Notons que Philippe Dufour est flaubertien mais qu’il ne faut pas pour autant négliger l’étendue du champ d’étude sur lequel il travaille. En effet, il s’intéresse aussi au XVIIIème siècle et au XIXème siècle voire même au XXème siècle et il ne s’occupe pas uniquement des romans, il porte aussi le renouveau de la poétique historique de Mikhaïl Bakhtine. Il a déjà actuellement publié cinq livres. 





Le roman polyphonique:

Philippe Dufour fait du réalisme une écriture symbolique et pour lui le roman est une pluralité des visions, de regards et de voix. Le roman songe et le roman pense. C’est alors que le roman devient un interlocuteur contenant la possibilité d’un dialogue. Mais finalement plus que penser, le roman donne à penser au lecteur qui s’offre alors à lui. Ce n’est pas pour autant que le roman réalise une instruction, il reste bien loin de la pédagogie.
Entre Le Roman est un songe et ses ouvrages précédents, on peut remarquer une certaine continuité. Tout commence avec l’idée balzacienne du roman, c’est-à-dire comme une œuvre de savoir. Il se trouve que Balzac se considérait davantage comme un historien que comme un romancier. Ce qui nous amène à dire que le roman réaliste n’est pas  un roman romanesque. La langue se subdivise en « langages » et le roman écoute ces différentes langues et ces différents sociolectes : il devient alors polyphonique. Les sociolectes se superposent, on peut rencontrer le langage de la bourgeoisie, celui du peuple ou encore celui de la vieille aristocratie désargentée. Le roman est donc une anthologie des langages en situation. Car comment le langage se pense-t-il ? Chercher l’issue de ce « comment » est justement le propre du critique littéraire. Le roman est-il en opposition avec la pensée essayiste ?

L’essai et le roman:

La pensée de l’essai est une pensée d’auteur qui est à la source du texte mais le roman lui, donne à penser au lecteur, ce qui marque une nette différence. Kant oppose ces idées esthétiques aux idées de l’entendement. L’idée esthétique est une « représentation de l’imagination qui donne à penser » l’art devient alors une pensée de l’imagination et l’essai une pensée d’auteur. Dans le roman, le lecteur est sollicité. Pour Barthes, lire un roman c’est « prélever des moments de vérité ». Ces idées esthétiques sont ambigües  car elles multiplient le sens.

Une littérature plurielle:

Dans un article sur la Chartreuse de Parme de Stendhal, Balzac distingue trois types de littératures : la littérature des Lumières qui est une littérature des idées ; la littérature des images qui est la littérature de la rêverie et du pittoresque et la littérature éclectique que Balzac qualifie par ces mots « l’image dans l’idée ou l’idée dans  l’image ». Ce dernier type serait donc un mélange des deux premiers. C’est ainsi qu’un personnage peut devenir une idée. Le personnage balzacien représente une réalité sociale, un comportement et le corps même a un sens d’où l’idée du personnage image. Souvent certains types de personnages reviennent à savoir l’aristocrate vieillissant ou encore le jeune homme. De  là vient la transformation d’objets en idées, Balzac affirme également dans un article liminaire à la Comédie Humaine « les hommes se représentent dans les objets » d’où ses longues descriptions que nous connaissons bien. Dans La Peau de Chagrin, on trouve plusieurs moments de vérité notamment celui-ci : « Là, gisait un portrait de femme dépouillé de sa monture d’or ciselé ». On remarque qu’ici l’argent prime sur le sentiment car le cadre vendu est celui que l’auteur décrit alors que la femme reste anonyme bien qu’on devine qu’elle fut autrefois aimée. L’histoire d’amour n’est donc pas le centre du roman. De plus notons que Rastignac, le personnage qui décrit le cadre, ne l’a visiblement jamais vu, il ne fait que le deviner alors que le portrait de la femme se trouve devant ses yeux. Ces petits détails sont nombreux et deviennent des symboles car justement, ils donnent à penser. Tout est donc détail et demande à être lu comme tel. On peut finalement se demander si le roman ne fonctionne pas, finalement, comme les mythes, fruits d’une écoute flottante. Et c’est justement dans ce discours métaphorique que réside la valeur du roman et non pas dans les idées de l’auteur. Mais parfois l’auteur digresse sur les idées et l’essai, on a alors un fragment de littérature d’idée. Flaubert déclarera que cela « dénature le roman » car ce chantre de l’impersonnalité oppose deux littératures : la littérature probante (qui prouve) et la littérature exposante. La littérature probante est une littérature de thèse qui finalement est un peu présomptueuse : elle veut faire d’une idée un savoir. Flaubert refusera toujours de donner son opinion dans ses œuvres, ce qu’il veut, c’est que le lecteur se forge sa propre opinion d’où l’expression que le roman « donne à penser ». Le roman s’apparente alors au doute et devient sceptique, il n’a aucune certitude. A ce propos, Flaubert disait « Dieu sait le commencement et la fin, l’homme le milieu » ; il se méfie donc de tous les concepts et des dogmatismes. En effet, il préfère montrer et non pas démontrer. Dans l'Education sentimentale, on remarque le méta-discours de 1848 mais ce n’est pas pour autant que  l’on y trouve un porte-parole de l’histoire qui enseigne la morale, l’histoire et relaie les idées de l’auteur. 

Un roman sceptique :

Le roman du XIXème est l’âge d’or de ce type de romans et plus largement même du roman tout entier. En effet, ces romans naissent après le roman probant et philosophique du XVIIIème siècle comme Candide de Voltaire et avant le roman à thèse qui prétend donner des remèdes pour la société. D’ailleurs le roman à thèse vient prendre la place du roman philosophique et cette appellation est péjorative car le roman semble alors penser à la place du lecteur. Les romans sartriens par exemple, sont des romans à thèse. Camus le critiquera d’ailleurs en déclarant à l’avantage du XIXème siècle qu’il « est peu propice aux pensées satisfaites ». Le roman questionne tout cela, il place les idées dans l’histoire et dans la modernité, il n’opte pas pour une seule voix.  On peut dire que le roman a une pensée inquiète qui n’ose pas trop s’affirmer pour ne jamais se tromper tout à fait. Notons que Balzac et Hugo en tant qu’hommes sont plutôt dogmatiques mais en tant que romanciers, ils doutent. L’écriture de Victor Hugo est toujours dans l’antithèse sans jamais verser dans le manichéisme pour autant, ainsi il affirmait que l’antithèse était « la faculté souveraine de voir les deux côtés des choses ». Il parle aussi des « deux pôles du vrai » dans son ouvrage Quatre vingt-treize pour qualifier le chapitre du dialogue entre les deux révolutionnaires. Leurs voix ne sont pas hiérarchisées malgré que leurs propos s’opposent. Ainsi Hugo refuse de transformer son ouvrage en tribunal de l’Histoire. C’est exactement le principe de la littérature exposante, instruire l’affaire sans la juger. C’est le fait de dresser un tableau complet sans conclusion particulière. Pour cela Flaubert utilise l’ironie et Hugo l’empathie. Peut-on aller jusqu’à dire que ce roman à antithèse qui reflète la polyphonie est une forme parfaite pour illustrer la démocratie ? Car en effet à l’époque on peut dire qu’elle se cherche. Quoi qu’il en soit, ce type de roman déploie des questionnements et sème un certain désordre dans les pensées trop sûres. Le romancier crée donc un savoir de sociologue car la sociologie trouve finalement une forme d’expression dans ces romans. Ce roman raconte les passions et les ambitions sociales.

1 commentaire:

  1. Ce compte-rendu de conférence est très pointu! Ca me fait grand plaisir d'avoir trouvé ce blog car moi les conférences... je les rate toujours!
    Je te souhaite de continuer longtemps!!!

    Marc-André

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