Quatrième de couverture : Ces cinq contes animaliers, qui font penser entre autre à Orwell (Animal Farm), sont un exemple rare de satire, à l'époque où la République d'Indonésie se met en place sous la houlette de Sukarno (1945 - 1967). Et ils sont d'autant plus insolites qu'ils ont été écrits en langue javanaise et non en indonésien, la langue nationale. Les divers épisodes évoquent avec verve certains des écueils de la construction nationale et des travers sociaux eux aussi universels : les faux-semblants de la démocratie et les turpitudes de dirigeants sans scrupules, l'hypocrisie religieuse, la domination des mâles (celle des coqs sur les poules!), l'impossible consensus dans la quête d'une identité culturelle commune. Si le ton se veut toujours ironique et léger, la morale, elle, ne manquera pas d'apparaître quelque peu désabusée.
Ce petit recueil présente cinq contes satiriques écrits en langue javanaise. Chacune de ces petites histoires nous donne à voir différentes sociétés organisées au sein du règne animal. Le lecteur pourra ainsi découvrir la hiérarchie (démocratique) chez les singes, la constitution d'une association chez les poules ou encore la vie religieuse des moutons. Bien entendu il s'agit ici de substituer l'animal à l'homme pour pointer du doigt les travers de ce dernier en société. Le premier conte Anantaswara prend place chez les singes où règne un système soi-disant démocratique mais miné de l'intérieur par l'arrivisme et la démagogie. Le second conte a pour titre Des poules émancipées et raconte la constitution d'une association pour les droits de la poule contre l'oppression masculine dans une basse-cour. Vient ensuite le troisième conte Zulfulus dont l'histoire se déroule chez les puces qui tentent de mettre en place des relations diplomatiques et amicales entre plusieurs puciers. Enfin les deux derniers contes - Le Vénérable Prédedieu et Un congrès sur l'art de la danse - traitent respectivement d'une certaine hypocrisie religieuse et de la difficulté/dangerosité à vouloir uniformiser une culture au détriment de la richesse intrinsèque à celle-ci.
Tout a commencé avec un courriel des Agents Littéraires (un site qui s'attache à promouvoir les livres peu médiatisés) me proposant de fournir une critique de cet ouvrage de contes. Je ne connaissais absolument pas la littérature javanaise c'est donc avec beaucoup de plaisir et de curiosité que j'ai accepté de me lancer à la lecture de ce livre. Je ne suis pas déçue, c'était une découverte très divertissante et pleine d'humour!
Tout d'abord j'ai énormément apprécié l'édition en elle-même. Grâce à une préface et une introduction riches, le lecteur dispose de clés de lecture pour mieux comprendre l'oeuvre et son ancrage historique et culturel. Ces informations sont pertinentes et particulièrement salutaires si on n'est pas vraiment familier de ce coin du globe (ce qui était mon cas). La biographie de l'auteur et les éclairages sur le contexte politique nous permettent également d'entrevoir les enjeux polémiques de ces contes qui pourraient à tort nous paraître enfantins. Ainsi, j'ai pu comprendre à la lumière de ces éléments, la portée très satirique du livre. L'édition est également bilingue : naturellement je ne lis pas couramment le javanais, cependant c'est un atout majeur pour un tel texte que d'être publié accompagné de sa version originale en facsimilé. En effet, il y a toujours les problématiques que soulève la traduction d'un texte d'une langue à l'autre, ici un lecteur coutumier de la langue javanaise pourra se référer directement au texte non traduit. De plus Prijana Winduwinata opère tout un travail sur l'onomastique et sur les jeux de mots qu'il est difficile d'appréhender dans une traduction. Sur ce point précisément, je salue le travail du traducteur qui a expliqué sa démarche en introduction ainsi que les difficultés auxquelles il a été confronté et n'a pas hésité à rajouter quelques notes explicatives au fil du texte pour commenter certains de ses choix ou indiquer un changement de langue de l'auteur (car si la majorité du texte est en langue javanaise il y a quelques passages en indonésien).
Pour se centrer davantage sur le texte j'ai été agréablement surprise de trouver des historiettes très faciles d'accès et des intrigues vraiment entraînantes qui poussent le lecteur à dévorer les contes les uns après les autres! Même si le format du conte est assez court les protagonistes principaux sont assez développés pour susciter l'empathie ou encore le rire. Chaque animal représente finalement un "type humain" sans pour autant verser dans la caricature pure, c'est pourquoi il est très facile de s'immerger rapidement dans l'histoire étant donné que ce sont des caractères qui nous sont plus ou moins familiers. Cet aspect ne manque pas de rappeler les Fables de La Fontaine et globalement on a un fonctionnement assez similaire chez Prijana Winduwinata. Des illustrations écument également les pages ce qui donne au tout une dimension plaisante et faussement enfantine.
Ces contes s'ancrent aussi intimement dans la culture javanaise et indonésienne en général. En effet, on trouve de nombreux phénomènes d'intertextualité avec des ouvrages phares comme le Ramayana ou encore le Mahabharata qui ont beaucoup inspiré et continuent d'inspirer les courants "orientalistes". Ces textes très célèbres forment à eux seuls tout un pan de la culture humaine mondiale et ces contes m'ont donné envie d'aller m'intéresser à ces oeuvres fondatrices de plus près.
J'ai également été frappée par l'humour omniprésent qui à mon sens caractérise assez ces historiettes. Les satires sonnent juste et les personnages sont tournés au ridicule avec beaucoup d'habileté. Tous ces facteurs font que les situations décrites et les critiques formulées sont facilement universalisables à d'autres cultures et aux organisations humaines en général. Les travers qui sont pointés du doigt se retrouvent dans beaucoup de cultures très différentes les unes des autres. C'est donc un double plaisir d'ouvrir ce recueil qui se distingue par son pouvoir de divertissement et qui ouvre au lecteurs des pistes de réflexions intelligentes afin de l'inciter à développer son esprit critique.
Pour finir j'ajouterais que dans la plus pure tradition orale, dès la dernière page tournée, j'ai eu une envie irrépressible d'aller raconter ces petites histoires autour de moi : pour des contes, c'est plutôt bon signe, non?
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Merci à l'association Pasar Malam et à la Collection de Banian pour ce partenariat. Merci également au site internet les Agents Littéraires pour avoir assuré son organisation.
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