mercredi 16 mai 2012

Les femmes qui lisent sont dangereuses de Laure Adler et Stefan Bollmann

Critique de Les femmes qui lisent sont dangereuses de Laure Adler et Stefan Bollmann

Résumé :
Quatrième de couverture : Les femmes et la lecture dans l'art occidental "les livres ne sont pas des objets comme les autres pour les femmes ; depuis l'aube du christianisme jusqu'à aujourd'hui, entre nous et eux, circule un courant chaud, une affinité secrète, une relation étrange et singulière tissée d'interdits, d'appropriations, de réincorporations." Laure Adler. L'histoire de la lecture féminine se reflète dans la peinture et la photographie. Les artistes de toutes les époques ont représenté des femmes en train de lire. Pourtant, il aura fallu des siècles avant qu'il soit accordé aux femmes de lire à leur guise.
Ce qui leur incombait d'abord, c'était de broder, de prier, de s'occuper des enfants et de cuisiner. Dès l'instant où elles envisagent la lecture comme une possibilité de troquer l'étroitesse du monde domestique contre l'espace illimité de la pensée, de l'imagination, mais aussi du savoir, les femmes deviennent dangereuses. En lisant, elles s'approprient des connaissances et des expériences auxquelles la société de les avait pas prédestinées. C'est ce chapitre captivant de l'histoire de la lecture féminine que Laure Adler et Stefan Bollmann explorent, avec un soin particulier du détail. Le fil de l'analyse conduit du Moyen-Âge au temps présent, en s'attachant plus spécialement à certaines oeuvres de Rembrandt, Vermeer, mais aussi Manet, Matisse ou Hopper, jusqu'à la fameuse photographie d'Eve Arnold montrant Marilyn Monroe en train de lire Ulysse de James Joyce. De courts textes de commentaire accompagnent ce choix de peintures, de dessins et de photographies.
Les femmes et la lecture. Cette association, à travers les siècles n'a pas toujours été aussi évidente et naturelle qu'elle ne l'est aujourd'hui. En effet, quel intérêt de rendre accessibles aux femmes des lectures érudites? Là n'est pas leur rôle. De même, que penser d'une femme ou d'une jeune fille qui lit des romans parfois frivoles et ayant l'amour pour thème principal? Malgré toutes ces critiques, petit à petit, les femmes ont conquis leur légitimité en tant que lectrices. Car avant tout, une femme qui lit c'est une femme qui s'échappe, qui s'évade dans une réalité autre. Grâce à une iconographie picturale et photographique savamment choisie, ce beau livre pose la problématique des femmes et de la lecture et montre l'évolution de cette question en histoire littéraire.

Mon avis :
J'ai tout de suite été intriguée par le titre de ce livre que j'ai donc décidé d'emprunter à mon amie Arcaalea. Cet ouvrage comprend un préface accompagné d'une réflexion sur les femmes et la lecture à travers l'histoire littéraire qui permet de mieux appréhender la série de peintures/dessins/photographies exposées ensuite. Les auteurs ont utilisé un classement chronologique pour présenter l'iconographie ce qui met en lumière l'évolution des représentations de la femme et de la lecture par rapport à l'évolution des modes de pensée.
J'ai trouvé très intéressant le rapprochement entre la peinture, la photographie, le dessin et la lecture. Car représenter des lecteurs en général et des lectrices en particulier c'est évoquer en substance des univers autres, des paysages parallèles qui n'apparaissent pas sur la toile mais qui imprègnent tout de même l'oeuvre. Les figures qui lisent sont des caractères qui nous échappent. On a donc comme une mise en abyme de l'acte de lire ce qui renvoie aux immenses possibilités d'évasion de la lecture et marque à quel point cet enjeu est crucial pour la condition des femmes.
Ce livre permet aussi de revenir sur les attaques virulentes portées à certaines lectures comme les romans légers que certains pointaient du doigt comme favorisant une certaine frivolité. Certaines des accusations les plus extrêmes (mais pourtant très répandues) ont même argué que la lecture des romans pouvaient conduire à la pratique de l'onanisme. Tout cela rejoint les reproches faites au roman depuis la création du genre jusqu'au XIXème siècle (pourtant considéré comme l'âge d'or du roman). Car on pourrait distinguer très schématiquement deux façons de lire : lire pour s'instruire et lire pour se divertir. Si les femmes n'étaient pas destinées à s'instruire, elles ne l'étaient pas non plus à se divertir de la sorte. Cependant, les lectures considérées comme propres aux femmes (les romans, les récits de chevalerie et d'amour courtois etc.) représentent fondamentalement la littérature de divertissement jugée futile et légère. Cette association facile dénote de la difficulté pour les femmes à se légitimer en tant que lectrices.
On peut remarquer simplement que l'objet livre est d'abord traditionnellement attribué à l'homme notamment dans le cadre de la religion. Sur les peintures religieuses - à de rares exceptions près - c'est l'homme qui porte le livre des Écritures de même que c'est l'homme qui prêche et assure la diffusion des Saintes Écritures auprès des fidèles : la femme n'a accès à ce qui est écrit que par l'intermédiaire de la parole de l'homme. La femme qui lit c'est donc aussi la femme qui se libère de l'emprise de l'homme pour apprendre à penser et à interpréter par elle-même.
Finalement j'ai beaucoup aimé ce livre qui nous propose un voyage à travers les siècles et les frontières autant en peinture qu'en littérature, pour nous permettre d'entrevoir la complexité de la problématique autour des femmes et de la lecture. Les commentaires qui accompagnent les tableaux, les dessins et et les photographies sont généralement très éclairants et viennent enrichir notre compréhension de l'image.
Ce livre est à mon sens très bien fait pour les amateurs d'histoire de l'Art comme pour les amateurs d'histoire de la littérature. Ce beau livre peut également être considéré comme une porte d'entrée sur la découverte et l'étude du débat autour de la transgression du roman qui a été passionné et virulent au cours de l'Histoire  et qui donne lieu encore aujourd'hui à de nombreux rebondissements.

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  • Les femmes qui écrivent vivent dangereusement
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9 commentaires:

  1. Partir de l'image pour réfléchir à la condition de la femme lectrice, et de la femme tout court, si j'ai bien compris, cela semble original.
    J'ai une amie, ardente dans la défense des droits des femmes, à qui se livre pourrait plaire.

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    1. Oui! Enfin ce n'est pas non plus un manifeste militant hein, mais ce livre a le mérite d'ouvrir la réflexion :)

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  2. Le livre qui m'a donné envie de découvrir Madame Bovary ! ^^
    J'ai beaucoup aimé ta chronique et surtout, quand je pense qu'avant c'étaient surtout les hommes qui lisaient, qui pensaient que la femme n'avait pas assez d'esprit pour comprendre...
    Maintenant, on se rend compte à notre époque que c'est devenu l'inverse, il y a beaucoup plus de femmes qui lisent que d'hommes ! AH-AH ! Nous ne sommes pas dénuées d'âmes et nous avons un cerveau nous aussi !!!!
    Bisous ma belle ^^

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    1. Oui effectivement je crois qu'ils parlent de *Madame Bovary* au début du livre! C'est vrai qu'elle illustre un aspect de la problématique du danger de la lecture pour les femmes.

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  3. A titre d'info, voici ce qu'un "homme de lettres" pouvait penser de la lecture en 1943 :
    "« Une des premières mesures qu’il leur fit adopter fut la destruction des livres. Il a organisé des équipes de recherches qui fouillent les ruines tout au long de l’année. Les livres trouvés pendant les douze mois sont brûlés solennellement au soir du premier jour du printemps, sur les places des villages. A la lueur des flammes, les chefs de villages expliquent aux jeunes gens rassemblés qu’ils brûlent là l’esprit même du mal. Pour faciliter l’enseignement de l’écriture, François a fait conserver quelques livres de poésie : « Ce sont, a-t-il dit, des livres qui ne furent dangereux qu’à leurs auteurs ». L’art de l’écriture est réservé à la classe privilégiée des chefs de village. L’écriture permet la spéculation de pensée, le développement des raisonnements, l’envol des théories, la multiplication des erreurs. François tient à ce que son peuple reste attaché aux solides réalités. Pour évaluer ses récoltes, et compter ses enfants et ses bêtes, le paysan n’a pas besoin d’aligner des chiffres par tranches de trois. »

    Il s'agit de Barjavel dans un extrait pas ironique du tout de "Ravage".

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  4. Le titre m'a intrigué ! ton article me pousse à le laisser dans les livres dont j'ai entendu parler mais qui n'ont pas su me plaire... Trop "savant" ! alors que je recherche en ce moment beaucoup d'évasion facile.

    Très bel article, comme toujours. Biz

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  5. Article superbe, mêem si je n'ai pas envie de lire le livre (mais c'est pus dû au fait qu'en ce moment je recherche des lectures "faciles", rapide... )

    Biz, nanet

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    1. En réalité, c'est un livre qui peut très bien se lire petit à petit et qui ne demande pas nécessairement de lecture suivie. Par exemple il contient majoritairement des tableaux accompagnés de brefs commentaires qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres. Du coup, ce bouquin peut aussi être très léger et plaisant comme lecture!

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  6. Je ne connaissais pas du tout ce livre, mais rien que le titre donne vraiment envie (ton avis aussi du reste)... Hé oui, dès lors qu'une femme sait lire, elle a accès à la connaissance... Mauvais, mauvais quand il s'agit de prouver la supériorité de l'homme sur la femme... On a déjà parcouru un long chemin...

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