jeudi 1 décembre 2011

Love & Pop de Ryù Murakami

Critique de Love & Pop de Ryù Murakami

Résumé :
Quatrième de couverture : Love & Pop aborde une forme de prostitution propre au Japon, dont Murakami avait déjà fait le sujet troublant de son film Tokyo Decadence. Par l'intermédiaire de messageries téléphoniques, de jeunes lycéennes acceptent des rendez-vous avec des inconnus pour pouvoir s'acheter des produits de marque. Le roman raconte la journée d'une jeune fille qui, désirant absolument s'offrir une topaze impériale, accepte coup sur coup deux rendez-vous avec des hommes. Mais les rencontres ne vont pas se passer comme elle l'avait prévu. La littérature n'a que faire des questions de moralité, dit Murakami Ryù, qui a construit son roman à la manière d'une oeuvre d'Andy Warhol, en fondant dans sa narration des bribes de conversations, d'émissions de radio ou de télévision, des litanies de marques, de titres de films ou des paroles de chanson à la mode. Comme un bruit de fond faisant soudain irruption au premier plan pour saturer le sens de ces rencontres qui ouvrent sur tous les possibles de l'humain. Tandis qu'une violence latente se fait de plus en plus pressante et précise.
L'auteur nous convoque, en observateurs silencieux, dans la vie de la jeune Yoshii Hiromi. Cette lycéenne à peine entrée dans l'âge où elle devient femme, accepte des rendez-vous arrangés pour se payer des habits et des accessoires pour "passer pour une femme mûre". Une enfance v(i)olée nous est racontée dans un style sans concessions qui nous montre ce que l'on ne veut pas voir et nous laisse à deviner le pire dans le décors anodin du quotidien. Cette jeune fille comme les autres devient alors la proie de la fatalité et s'embourbe dans un tissu d'indifférence et de non-dits.

Mon avis :
J'ai effectué cette lecture dans le cadre de mon club de lecture Lire à Montpellier. Je connaissais la prostitution étudiante : ces jeunes femmes qui vendent leurs corps pour payer leurs études ou leurs appartements mais je n'aurais pas pensé qu'on puisse arriver à cette extrémité pour se payer des habits de marque. J'ai trouvé très intéressant le fait que l'auteur nous propose d'entrer radicalement dans la vie de cette jeune Hiromi qui, pour se payer une bague, va se rendre à des rendez-vous arrangés et se mettre volontairement en danger.
J'ai perçu d'emblée chez Hiromi comme une sorte d'errance. Elle marche à travers la ville, prend plusieurs transports pour se rendre à ses rendez-vous d'où un voyage introspectif constant. Dans l'attente, Hiromi pense à sa vie de lycéenne : son petit ami, ses copines, la bague qu'elle veut s'acheter et l'allure de l'homme qu'elle s'apprête à rencontrer. Elle semble se perdre dans sa vie par l'intermédiaire de la ville qui l'engloutit.
Ryù Murakami utilise d'ailleurs un style particulier pour plonger son lecteur dans l'ambiance quotidienne de Hiromi. En effet, on peut tout d'abord trouver déconcertant cette inclusion systématique et intempestive d'objets extérieurs faisant partie de l'environnement sensoriel du personnage principal. Le lecteur peut ainsi lire une page entière de titres de films, des annonces pour une loterie criées en pleine rue, des listes de marques ou des bribes d'émissions radio diffusées dans un taxi ou à l'hôtel. Le lecteur se trouve alors contraint d'entrer dans l'univers de Hiromi : il sent ce qu'elle sent, il entend ce qu'elle entend et fuit ce qu'elle fuit. Dans un tel cadre difficile de ne pas s'identifier au personnage pour lequel on se surprend à ressentir une certaine empathie.
Mais tout cela n'est qu'un instrument qui nous amène à ressentir progressivement l'arrivée du pesant, du problématique. Petit à petit, certaines inclusions semblent dissonantes : la ville pourtant anodine devient alors un instrument d'écrasement de l'autre qui, comme un miroir aux alouettes, fait diversion et la projection dans l'écriture d'éléments intempestifs crée un brouhaha qui semble vouloir nous détourner de quelque chose. L'arrivée progressive de l'horreur dans le quotidien contribue à rendre la menace de plus en plus précise et tangible.
Ce que j'ai particulièrement apprécié dans ce texte c'est le fait que l'auteur n'est pas tombé dans un jugement moral des actes de son personnage. Au contraire il entretient une distance salvatrice qui permet de ne pas tomber dans une condamnation lourde qui aurait compromis, à mon sens, tout l'intérêt du roman. Le texte est articulé comme un rouleau compresseur qui de page en page détruit Hiromi. Ce récit est donc très dur du fait de cette progression vers la fatalité qui ne laisse aucune issue à la jeune fille dors et déjà prise au piège.
Pour conclure, j'ai vu également dans ce livre, une critique en filigrane mais sans concessions d'une certaine "société du spectacle" au sens où  l'entendait Guy Debord. La société du divertissement et des situations de consommation se transforme en véritable personnage, acteur passif et cadre silencieux, qui participe à l’exécution de Hiromi.

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  • Bleu presque transparent
  • La guerre commence au-delà de la mer
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  • Melancholia

8 commentaires:

  1. Il me tente beaucoup à chaque fois que je passe devant dans ma librairie... Merci pour ton avis positif!

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  2. Une critique bien inspiré. Voila qui me donne envie de lire ce roman qui parait construit comme je les aimes.

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  3. J'ai toujours hésité à lire cet auteur (va savoir pourquoi) mais j'avoue que là, tu viens de me donner envie de faire connaissance avec lui, par ce texte.

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  4. Merci beaucoup pour l’info. Chaque coup de coeur littéraire mérite d’être partagé.

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  5. Je comprends ton avis et je vois en effet le livre d'une autre manière quand je lis ta chronique mais vraiment, pour moi, la lecture est avant toutes choses un plaisir, et la manière d'écrire de l'auteur m'a tellement déstabilisé et ennuyé que je ne peux pas émettre d'avis positif...
    A ce soir !!!! ^^

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  6. On m'a offert ce livre mercredi. ^^ Il fait partie des livres que j'ai choisis avec ma mère pour noël. On a fêté noël en avance ce soir, mais elle me l'a laissé entre les mains dès mercredi lol Il me donne trop envie depuis plusieurs mois. :D Enfin, j'ai tellement de livres à lire que ça va être chaud chaud chaud. x)

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  7. Le thème me plait pas mal, après je sais pas trop. L'idée que le texte soit coupé par des bruits externes va surement me perturber (autant que dans Madame Bovary)...

    En tout cas vu ta critique je me risquerais surement à le lire un jour ou l'autre!

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  8. Ce roman est dans ma bibliothèque. Le résumé m'avait vraiment attiré et ton avis me donne envie de le lire vite ! :)

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