mardi 31 janvier 2012

Si par une nuit d'hiver un voyageur d'Italo Calvino

Critique de Si par une nuit d'hiver un voyageur d'Italo Calvino

Résumé :
Quatrième de couverture : Vous, Lecteur, vous Lectrice, vous êtes le principal personnage de ce roman, et réjouissez-vous : c'est non seulement un des plus brillants mais aussi un des plus humoristiques qui aient été écrits dans ce quart de siècle. Vous allez vous retrouver dans ce petit monde de libraires, de professeurs, de traducteurs, de censeurs, et d'ordinateurs qui s'agitent autour d'un livre. Vous allez surtout vous engager dans des aventures qui vous conduiront chaque fois au point où vous ne pourrez plus retenir votre envie d'en savoir plus, et là, ce sera à vous de continuer, d'inventer. Bon voyage.
Italo Calvino imagine un Lecteur fictif qui devient son personnage principal. L'aventure démarre avec une visite du Lecteur à la librairie où il souhaite se procurer "le nouveau roman d'Italo Calvino" à savoir Si par une nuit d'hiver un voyageur. Malheureusement à peine entame-t-il la lecture qu'il se rend compte que son exemplaire présente un défaut d'impression : en effet les feuillets ont été mélangés avec ceux d'un autre livre ! Ainsi, il décide de retourner à la librairie et d'exiger réparation : il demande qu'on lui fournisse l'ouvrage qu'il a déjà commencé en pensant qu'il s’agissait du dernier Calvino. Le texte en question semble être En s'éloignant de Malbork du polonais Tadzio Bazakbal. Malheureusement le Lecteur, accompagné d'une Lectrice, se trouvera contraint par différents procédés à interrompre continuellement la lecture des romans qu'il a commencés pour en entamer d'autres. Italo Calvino nous embarque dans une fabuleuse odyssée au sein d'un palimpseste d'incipits aussi prenants les uns que les autres.

Mon avis :
Cet ouvrage était mentionné dans une bibliographie de travail d'un de mes cours, malheureusement je me suis vite rendue compte que les éditions de ce texte avaient été épuisées sans réédition. J'ai réussi à me le procurer (de justesse) seulement la vieille du partiel du cours en question : j'étais pratiquement certaine de ne pas avoir le temps de le lire en si peu de temps ! En réalité je suis très facilement entrée dans l’œuvre et sa construction atypique m'a totalement fascinée tant et si bien qu'en fin de soirée j'avais tourné la dernière page.
Ici, Italo Calvino s'amuse à multiplier les figures narratives : on trouve une figure d'auteur (évoquée à la 3ème personne par l'auteur lui-même), une figure de narrateur, une figure de Lecteur fictif et une figure de Lectrice fictive sans parler des autres personnages qui apparaissent au fil des extraits. Cette richesse nous permet de nous immerger totalement dans le processus de création littéraire et favorise l'identification par exemple au Lecteur fictif. En nous imaginant de façon si précise, l'auteur entre dans notre intimité jusqu'à décrire son Lecteur fictif au moment où il achète le livre et se prépare à le lire. En plus d'une mise en abyme de l'acte d'écrire, c'est une mise en abyme de l'acte de lire qui est orchestrée ici, ce qui est bien moins courant en littérature.
L'auteur nous invite aussi à considérer le livre dans sa valeur matérielle : il peut subir des défauts d'impression, de reliure, il peut être sur papier ou bien encore sous la forme d'un tapuscrit ou toujours sur un disque dur. C'est précisément à cause de (ou grâce à) cet aspect matériel que le Lecteur par des tours du destin est forcé de voyager d'un livre à l'autre sans avoir le temps de pousser la lecture jusqu'à la fin de chaque ouvrage.
On trouve aussi une réflexion sur l'attente de la lecture, ce moment où on ouvre le livre sans trop savoir ce que l'on va y trouver. Italo Calvino analyse aussi l'entrée en fiction en dressant un éloge des incipits, ces débuts de textes qui nous plongent dans l'histoire tout en cherchant à la fois à nous informer et à nous séduire. On est invités à nous questionner sur ces sentiments que l'on ressent à l'ouverture d'un livre ou quand on rentre chez soi avec un volume que l'on vient de se procurer en librairie tout en étant pressés de trouver un endroit confortable pour le lire. Ces moments précieux, tout lecteur assidu les a connus. Chaque livre répond à nos questions par des méthodes qui lui sont propres et dans Si par une nuit d'hiver un voyageur, il nous est donné de lire une dizaine d'incipits différents qui chacun à leur façon nous convient dans un texte que malheureusement nous ne pourront pas terminer (à l'instar du Lecteur). Par cette mise en scène de l'éternel début, l'auteur réaffirme l'importance cruciale de l'entrée en fiction, d'ailleurs les universitaires/critiques/chercheurs s'attachent très souvent à étudier les incipits d'oeuvres fondatrices dont certains sont très célèbres comme celui d'Anna Karénine de Tolstoï : "Toutes les familles heureuses se ressemblent. Chaque famille malheureuse, au contraire, l'est à sa façon" ; celui de A La Recherche du temps perdu de Proust : "Longtemps, je me suis couché de bonne heure" ou encore celui de l’Étranger de Camus : "Aujourd'hui, maman est morte."
Ce qui est peut-être l'une des choses les plus surprenantes, c'est que cet ouvrage formé uniquement de débuts entrecoupés d'une narration sur fond d'histoire d'amour construit un tout très bien pensé et pas si fragmentaire que ceci aurait pu laisser présager de prime abord. Si l'on met bout à bout tous les titres des romans dont on peut lire le début dans le texte, on obtient une phrase qui s'achève sur une question : "Si par une nuit d'hiver un voyageur, en s'éloignant de Malbork penché au bord de la côte escarpée sans craindre le vertige et le vent regarde en bas, dans l'épaisseur des ombres dans un réseau de lignes entrelacées, dans un réseau de lignes entrecroisée, sur le tapis de feuilles éclairées par la lune autour d'une fosse vide, quelle histoire attend là-bas sa fin?". Peut-on aller jusqu'à dire que cette phrase pourrait elle-même constituer un début de roman? Pour résumer, Si par une nuit d'hiver un voyageur est un roman qui s'attarde à la question de l'incipit, constitué d'incipits dont les titres eux-mêmes forment un incipit!
C'est la première fois que je suis confrontée à ce type de construction narrative et je dois avouer que j'ai été très intriguée et fondamentalement charmée par ces exercices de style. Chaque incipit est différent, on passe du roman policier au roman d'amour en passant par le conte japonais et l'histoire du terroir : l'auteur doit donc s'adapter perpetuellement aux genres choisis ce qu'il fait avec une virtuosité qui ne laisse pas indifférent ! Cet ouvrage est une vraie perle dans le paysage littéraire !

Du même auteur :
  • Cosmicomics
  • Le château des destins croisés
  • Les villes invisibles
  • La machine littérature
Vous aimerez peut-être aussi :
  • Paludes d'André Gide
  • Feu Pâle de Nabokov

10 commentaires:

  1. Je l'avais au programme de fac de lettres et je suis surprise qu'il ne soit plus édité, il l'était encore en 2006. Très belle critique d'un livre que j'ai moi aussi adoré, je suis ravie que tu me rappelles son existence :)

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    1. Effectivement mais apparemment il y a une rupture depuis 3 ans. Je trouve ça hallucinant qu'il n'y ait pas de réédition rapide d'un tel texte!

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  2. Je l'avais lu au lycée sur les conseils de ma professeur de français qui nous avait lu en classe le tout début du livre lorsque Calvino parle à son lecteur en lui conseillant de s'installer bien confortablement etc ... J'avais trouvé ça génial.
    Bref, j'avais adoré ce livre qu'il faudrait que je relise, j'en ai gardé un bon souvenir mais un souvenir pas très précis ...

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    1. est ce que tu peux expliquer l'originalité du debut de lhistoire stp

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  3. Je ne sais pas pourquoi je bloque sur Italo Calvino, probablement parceque les profs de fac nous rebattent les oreilles avec cet auteur. Toujours est il que je ne me suis jamais résolue à ouvrir un de ses livres pour mon plaisir. Avec ton billet tu m'as donné envie de le faire

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  4. Je pense que ce roman est un chef d’œuvre et je suis stupéfaite qu'il ne soit plus édité! Merci pour ce retour dans mes lectures passées.

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  5. Lu pour mes études aussi, je trouve hallucinant qu'un tel livre ne soit plus édité ! :-o

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  6. Si j'ai bien compris, les livres ne sont plus édités à cause d'un différent entre la famille de Calvino et les maisons d'éditions... Du coup tout est bloqué, malgré les ruptures de stocks... Espérons qu'ils puissent s’arranger.

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  7. Ca a l'air génial ! J'essaierai de le trouver à la bibli.

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  8. Je l'ai lu en fac de lettres modernes il y a 2/3 ans, j'avais vraiment apprécié cette lecture, je suis comme tout le monde, etonnée qu'il ne soit plus édités. Il faudrait que je le relise d'ailleurs

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