Résumé:
Quatrième de couverture : Depuis 1931, le dernier empereur de Chine règne sans pouvoir sur la Mandchourie occupée par l'armée japonaise. Alors que l'aristocratie tente d'oublier dans de vaines distractions la guerre et ses cruautés, une lycéenne de seize ans joue au go. Place des Mille Vents, ses mains infaillibles manipulent les pions. Mélancolique mais fiévreuse, elle rêve d'un autre destin. "Le bonheur est un combat d'encerclement." Sur le damier, elle bat tous ses prétendants.
Mais la joueuse ignore encore son adversaire de demain : un officier japonais dur comme le métal, à peine plus âgé qu'elle, dévoué à l'utopie impérialiste. Ils s'affrontent, ils s'aiment, sans un geste, jusqu'au bout, tandis que la Chine vacille sous les coups de l'envahisseur qui tue, pille, torture.
Place des Mille Vents, une jeune chinoise joue au go contre des inconnus de passage, ou des habitués dont les stratégies n'ont plus aucun secret pour elle. Ses journées se partagent entre les cours, ses amies de classe, sa famille et les deux jeunes Min et Jing qu'elle a rencontré récemment. Mais entre les amours naissants et ses soucis d'adolescente il y a aussi la guerre qui fait rage et les militaires japonais qui se rapprochent petit à petit de son monde jusqu'à pénétrer ses rêves de jeune fille. Car qui est-il ce jeune inconnu qu'elle n'arrive pas à vaincre sur une partie de go qui semble sans fin? Une histoire tendre sur fond de tragédie.
J'avais déjà lu ce livre dans le cadre d'un concours de lecture quand j'étais au collège, et j'avais vraiment adoré cette histoire très facile à lire et qui convient à tous les publics. C'est donc avec plaisir que je me suis relancée dans cette lecture avec mon club Lire @ Montpellier. J'ai retrouvé le même texte que quelques années auparavant et j'ai ressenti les mêmes sentiments à cette lecture qui demeure donc un bon souvenir.
L'ouvrage nous présente une histoire d'amour problématique d'abord avec un contexte historique rude à savoir la guerre sino-japonaise qui resserre ses filets sur les protagonistes. Ensuite les deux amants appartiennent à deux camps opposés puisqu'on a une chinoise et un japonais. Cette situation est d'autant plus dérangeante que le japonais est un officier qui représente donc le régime impérial. L'officier - déguisé en civil - joue au go avec la jeune fille, ainsi il ne peut ni dévoiler son identité ni dévoiler son amour qui grandit à chaque rencontre. Dans un tel cadre, peut-on réellement envisager une histoire d'amour? Il flotte également une ambiguïté sur la réciprocité des sentiments. La joueuse est-elle vraiment amoureuse ou recherche-t-elle simplement une idylle qui puisse embellir son quotidien ou la transporter hors de la réalité? J'ai apprécié la tension dans la relation des deux amants puisqu'à aucun moment il n'y a de déclaration franche, tout repose sur des regards, des attitudes ou des sous-entendus qui créent toute la richesse de leur couple si particulier.
Autour de ces deux figures majeures on a toute une nébuleuse de personnages plus secondaires qui confèrent au récit une profondeur manifeste. Je pense notamment à la copine de classe de la joueuse de go - Huong - qui est écartelée entre ses désirs d'adolescentes et le poids des traditions dans sa famille. Elle subit des pressions incommensurables qui la forcent à entrer dans un comportement schizophrénique pour s'adapter à son entourage au lycée et à ses parents. Il y a également la soeur de la joueuse de go : Perle de Lune qui elle rêve au grand amour avec son mari alors que ce dernier agit comme si elle était transparente. C'est un personnage qui porte en lui une profonde désillusion jusqu'à entrer dans une résignation terne. A mon sens il représente la douleur du passage à l'âge adulte et les rêves de contes de fées qui se brisent sous la pression d'une réalité froide. Je note également Min et Jing, ces deux révolutionnaires qui ne sont que des gamins et qui brûlent leurs vies au contact du rouleau compresseur de l'Histoire. Tous ces personnages secondaires nourrissent le texte de regards autres qui permettent de mettre véritablement en lumière l'histoire d'amour qui se joue entre l'officier japonais et la joueuse de go qui devient alors la seule source de Salut possible, dans l'enfer présent, des deux principaux protagonistes.
Ce que j'ai trouvé vraiment intéressant dans ce livre, c'est aussi le motif récurrent du jeu de go qui devient une métaphore de la construction d'un sentiment amoureux. Il y a d'abord cousin Lu qui apprend le go à la joueuse et qui est donné comme son fiancé. Malheureusement, la jeune fille parvient à dépasser les enseignements de son maître et elle bat systématiquement Lu. A partir de là, il apparaît que pour la joueuse, aucun sentiment n'est possible avec ce garçon qui ne parvient pas à maintenir une confrontation équilibrée sur le damier. Finalement le jeu de go se prête particulièrement bien à incarner les entreprises de séduction. En effet, le but dans ce jeu traditionnel est d'encercler l'autre, de le cerner de toutes parts avec nos propres pions. L'officier et la joueuse mènent une partie acharnée qui les donne tous deux comme égaux : malgré leurs stratégies différentes, aucun des deux joueurs ne parvient à prendre le dessus sur l'autre. Cette partie interminable devient alors le théâtre d'une tentative réelle de comprendre l'autre : l'officier observe la joueuse pour tenter de la comprendre dans son être intime mais il échoue car il se heurte à la complexité de la jeune fille. De même pour la joueuse qui tente de cerner le caractère de l'homme impassible qui se trouve devant elle, mais elle ne parvient pas à comprendre qui il est réellement. La partie de go se joue donc deux fois : sur le damier et dans les regards des joueurs. De cette confrontation muette naît un sentiment d'amour qui grandit à chaque rencontre. Le livre lui-même est orchestré comme une partie de go puisque les chapitres sont très courts (de deux à quatre pages environ) comme autant de coups joués. De plus ces chapitres sont construits en alternance entre l'officier et la joueuse de go, c'est-à-dire que leurs points de vue se succèdent d'un chapitre à l'autre comme s'il s'agissait d'une construction de type "chacun son tour" comme c'est le cas dans une partie de go.
Malheureusement, les personnages sont encerclés dans une autre partie de go qui est bien plus vaste : au fil du texte, l'urgence de la guerre se rapproche et finalement, nos deux protagonistes sont encerclés ensembles et étouffés par un adversaire qui les dépasse : le conflit sino-japonais. La partie de go marque finalement les différentes étapes d'une tragédie en marche.
Du même auteur :
- Les quatre vies du saule
- Les conspirateurs
- La cithare nue
- Kôsaku de Yasushi Inoue
- Un artiste du monde flottant de Kazuo Ishiguro
J'avais bien aimé également!
RépondreSupprimerL'une de mes meilleures lectures scolaire, je crois. L'écriture de Shan Sa est belle est touchante, comme l'histoire de cette petite Chinoise de Mandchourie et de cet officier japonais qui n'ont rien en commun et surtout, tout pour les séparer puisque leurs pays sont en guerre. Le contexte historique de l'époque est bien restitué également et le fait que Shan Sa ait écrit tout son roman en français suscite l'admiration, je trouve ! J'avais beaucoup aimé et, malgré la tragédie latente dès le début de l'histoire, qui explose à la fin, j'ai trouvé cette histoire particulièrement belle et pure.
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