Résumé :
Quatrième de couverture : "On est volontiers persuadé d'avoir lu beaucoup de choses à propos de l'holocauste, on est convaincu d'en savoir au moins autant. Et, convenons-en avec une sincérité égale au sentiment de la honte, quelquefois, devant l'accumulation, on a envie de crier grâce.
C'est que l'on n'a pas encore entendu Levi analyser la nature complexe de l'état du malheur. Peu l'ont prouvé aussi bien que Levi, qui a l'air de nous retenir par les basques au bord du menaçant oubli : si la littérature n'est pas écrite pour rappeler les morts aux vivants, elle n'est que futilité." (Angelo Rinaldi)
C'est que l'on n'a pas encore entendu Levi analyser la nature complexe de l'état du malheur. Peu l'ont prouvé aussi bien que Levi, qui a l'air de nous retenir par les basques au bord du menaçant oubli : si la littérature n'est pas écrite pour rappeler les morts aux vivants, elle n'est que futilité." (Angelo Rinaldi)
Si c'est un homme apparaît comme un grand texte de la littérature concentrationnaire. Il s'agit du témoignage de l'expérience des camps de Primo Levi. Au jour le jour, le lecteur partage le quotidien des déportés sans éclairage pathétique superflu. La réalité dans toute sa hideur. C'est un texte violent qui nous met face à l'inhumain. Ici, l'ennemi n'a pas de visage : c'est le bloc anonyme de l'idéologie fasciste tout entier qui est pointé du doigt et non ses subordonnés qui semblent n'être que des membres sans consciences propres d'un corps plus vaste. Ce témoignage relate donc l'horreur qui est d'autant plus frappante qu'elle s'ancre effectivement dans l'Histoire contemporaine.
J'ai eu une période pendant laquelle j'ai lu énormément de textes autour des camps et de la Seconde Guerre mondiale, parce que je n'arrivais pas à comprendre. Et puis un jour, je me suis dit que je ne comprendrais probablement jamais, et que tous les livres lus et à lire n'y changeraient pas grand chose. Malheureusement, je ne sais pas pourquoi, je suis passée à côté de Si c'est un homme de Primo Levi. Aujourd'hui, après lecture, je n'ai toujours pas compris ce qui dépasse l'entendement mais j'ai été profondément troublée par ce témoignage incroyable. Je me suis lancée dans la lecture de ce livre grâce à un exposé autour des descentes aux enfers en littérature. J'avais choisi de parler d'un enfer sur terre parce que je trouve cette problématique particulièrement préoccupante. Mon angle d'étude était : dans quelle mesure l'"Enfer" de Dante - un monument de la littérature italienne et mondiale - a-t-il influencé la peinture que réalise Primo Levi de son expérience concentrationnaire? J'ai donc apprécié ce texte en m'attachant surtout un aspect particulier (les références à Dante) ce qui ne m'a pas empêché de réaliser une lecture moins orientée pour appréhender l'ouvrage plus largement.
Ce témoignage est donc l'un des plus importants en matière de textes sur les univers concentrationnaires. Important car il met littéralement sous les yeux du lecteur de nombreux détails de la vie des déportés dans les camps au jour le jour. Le texte a donc une valeur qui se rapproche du reportage même si l'auteur se trouvait - bien malgré lui - engagé au sein même des évènements. D'ailleurs, Primo Levi le souligne à la fin de sa préface datant de janvier 1947 : "Il me semble inutile d'ajouter qu'aucun des faits n'y est inventé." Ce regard très observateur s'efforce également de garder une valeur objective bien que Primo Levi, en tant que détenu est nécessairement engagé profondément dans une optique de défense contre le régime nazi. Cependant ne vous attendez pas à trouver là une dénonciation rude des allemands et des SS présents dans le camps : l'auteur privilégie l'observation des évènements d'un oeil extraordinairement lucide en se dérobant à toute contestation émotionnelle. En réalité, pour l'auteur, l'ennemi qu'il faut combattre n'a pas de visage. Les oppresseurs du camp ne sont que des marionnettes dirigés par des fantômes insaisissables. Dans un tel cadre, vers qui diriger une haine qui ne saurait être que vaine? Il n'est donc pas question d'une interprétation manichéenne des faits - qui aurait été nécessairement insuffisante et faussée - même certains prisonniers jouent le jeu de l'oppression notamment les Kapo, ce grade le plus élevé dans les statuts des déportés.
Ce témoignage n'est pas dénué d'une importante portée littéraire puisque comme je le disais précédemment, les références à Dante sont nombreuses : cela permet à Primo Levi de se réfugier dans sa culture mais également de faire jaillir sous les yeux du lecteur un véritable enfer terrestre. Les références à Dante sont particulièrement nombreuses dans le chapitre du "Chant d'Ulysse" durant lequel Primo Levi tente de faire une leçon d'italien à un de ses amis grâce à un passage de la Divine Comédie sur lequel il s'appuie. Dans ce passage, l'auteur est confronté à l'urgence du moment : il n'a pas beaucoup de temps pour faire partager à l'autre son amour de la langue italienne et pour lui faire comprendre à quel point c'est important pour lui. Mais en plus de l'urgence, il y a également des défauts de mémoire, des oublis de vers qui sont comme autant de lacunes irréparables. Tout ceci montre que l'inhumanité des camps touche l'individu jusque dans ses refuges intérieurs pour détruire en lui ce qu'il pensait à l'abri : sa culture, son être profond. Pour Primo Levi, ces références à Dante provoquent également une souffrance intense puisqu'elles le ramènent mentalement dans les paysages qu'il aime le faisant éprouver une forte nostalgie destructrice. On le constate par exemple lorsque l'auteur mentionne les montagnes : "Et les montagnes, quand on les voit de loin... les montagnes... oh! Pikolo, Pikolo, dis quelque chose, parle, ne me laisse pas penser à mes montagnes, qui apparaissent, brunes dans le soir, quand je revenais en train, de Milan à Turin!".
Pour figurer l'enfer sur terre, Primo Levi transpose dans le quotidien un certain nombre de mythes tirés de la mythologie grecque ou de la mythologie biblique. Par exemple on a le mythe de Tantale qui représente la réalité de la faim et de la soif au camp : "On entend les dormeurs respirer et ronfler. Certains gémissent et parlent, beaucoup font claquer leurs lèvres et remuent les mâchoires. Ils rêvent qu'ils mangent : cela aussi c'est un rêve collectif." De même on a une transposition de mythe biblique de la Tour de Babel. En effet, au camp, la multiplicité des langues est une réalité quotidienne : "La Tour de Carbure, qui s'élève au centre de la Buna et donc le sommet est rarement visible au milieu du brouillard, c'est nous qui l'avons construire. Ses briques ont été appelées Ziegel, mattori, tegula, cegli, kamenny, bricks, teglak, et, c'est la haine qui les as cimentées ; la haine et la discorde, comme la Tour de Babel, et c'est le nom que nous lui avons donné : Babelturm, Bobelturm". L'utilisation de ces images permet au lecteur de ressentir profondément la douleur d'un quotidien qui ronge les restes de dignité et d'humanité en l'homme.
Finalement cet ouvrage lance de nombreuses pistes de réflexions sur la déshumanisation de l'autre, car que peut-on être encore lorsqu'on nous a ôté nos valeurs, nos cultures, jusqu'à nos propres noms même? Le fait que l'enfer a pu envahir de cette façon le monde reste un important traumatisme collectif, il reste à savoir si aujourd'hui, nous serions capables ou non d'identifier une nouvelle menace.
Primo Levi par son témoignage et par ses interventions auprès de différents publics a énormément oeuvré pour la mémoire des camps et de leurs atrocités. Cependant, il s'est suicidé en avril 1987 : mais une reconstruction était elle possible?
Du même auteur :
- La recherche des racines
- Les naufragés et les rescapés
- Le fabricant de miroirs
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- Le journal d'Anne Frank
- La Divine Comédie de Dante
La première fois que j'ai lu ce livre je devais avoir 15 ans et je suis restée sous le choc. Il est encore dans ma bibliothèque et parfois je le contemple et ressens toujours le même malaise. Je n'ai pas encore eu le courage de le lire maintenant que je suis adulte. Je crois que j'ai peur de ne plus éprouver le même chagrin. C'est bizarre comme un livre peut vous faire un tel effet.
RépondreSupprimerComme toi, je lis beaucoup de livre abordant le thème douloureux de la 2nde guerre mondiale. Après "Le Journal d'Anne Franck" qui m'a beaucoup touché et qui aborde l'avant camp, j'ai eu envie de lire "Si c'est un homme" pour connaitre les ressentis d'un homme qui a vécu le pire. C'est un magnifique témoignage. Primo Levi s'est effectivement suicidé ; écrire a été pour lui une façon de se soigner mais la plaie était finalement trop vive...
RépondreSupprimerPeut-être ne l'as-tu pas lu : je te conseille aussi le témoignage de Simone Veil.
Un livre étudié au lycée et je suis bien contente qu'il ait été au programme. C'est important qu'on soit conscient des horreurs qui ont eu lieu...
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