mardi 26 juin 2012

Les Forestiers de Thomas Hardy

Critique de Les Forestiers de Thomas Hardy

Résumé :
Quatrième de couverture : Lorsque Grace Melbury revient dans le petit hameau boisé de Little Hintock, après ses études, son avenir est depuis longtemps tracé, déterminé par une promesse intérieure faite entre son père et celui de Giles Winterborne, décédé. Grace et Giles sont promis l'un à l'autre, ils se marieront. Mais Grace a grandi. Elle a découvert, hors des frontières de son village, une tout autre vie, d'autres rêves. Portée par l'ambition et ses nouvelles aspirations, elle tombe dans les bras du beau, irrésistible et troublant Dr Edred Fitzpiers. Mais ce chemin n'est-il pas à mille lieues de ses envies sincères, de ses affection profondes?
"Hardy n'a rien écrit de plus intelligent, de plus ému, de plus parfait. C'est une perle sans défaut, d'un orient incomparable", écrit André Gide dans son Journal, à propos du roman le plus injustement méconnu de l'auteur anglais.
Grace Melbury est une jeune fille élevée dans un petit village perdu en pleine forêt. Son père l'envoie à la ville suivre une bonne éducation afin qu'elle puisse acquérir un esprit fin et s'élever au-dessus de sa condition. Lorsqu'elle revient, la vie n'a pas changé dans le petit patelin de Little Hintock. Elle est toujours promise au jeune Giles Winterborne : un jeune paysan honnête et aimant. Mais elle, est-elle restée la même? L'arrivée d'un homme - le docteur Fitzpiers - dans le village va-t-elle changer le cours normal des évènements?

Mon avis :
Je suis tombée par hasard sur ce livre en librairie et j'ai été littéralement charmée par la citation tirée du Journal d'André Gide, à propos de ce texte. Vraiment, quel éloge incroyable! Je l'ai donc acheté les yeux fermés et je n'ai absolument pas été déçue.
J'ai d'abord été frappée par le titre Les Forestiers qui évoque instantanément toute une imagerie de conte de fées et de forêts obscures. La forêt m'est apparue comme un élément crucial du texte. Elle représente les frontières d'un huis clos qui se joue dans le petit village de Little Hintock mais semble parfois se révéler être un véritable personnage du roman. En effet, la forêt est un cadre autant qu'une entité qui agit dans l'action : les personnages s'y perdent, s'y retrouvent, s'y aiment, y meurent, y gagnent leur vie ou encore s'y découvrent. On trouve ici l'ambivalence d'une Nature mère et protectrice autant que dure et implacable qui s'illustre dans l'opposition des deux topoï (lieux communs littéraires) en littérature : locus amoenus (jardin, lieu d'une nature accueillante) et locus terribilis (forêt, lieu d'une nature sauvage et inhospitalière). Ainsi les personnages de forestiers vivent grâce au bois de la forêt qui leur permet de gagner leur vie mais en échange, ils sont privés de toute liberté puisque condamnés à ne vivre qu'à proximité de cette dernière. La forêt est ainsi peinte comme une entité presque divine qui donne et reprend et qui seule détiens les clefs de l'intrigue qui se joue à ses pieds.
Le lecteur va également trouver ici un microcosme de personnages enclavés par l'étreinte de cette forêt. Ils évoluent au rythme de la vie et c'est finalement la multiplicité des caractères qui crée les évènements. On a aussi l'illustration de différentes classes sociales puisque il y a une noble Mrs Charmond ainsi que le docteur Fitzpiers qui par son instruction s'élève au-dessus des habitants de Little Hintock. Ces deux personnages se tiennent en marge du petit village puisque Mrs Charmond vit dans un château excentré et que Fitzpiers semble n'avoir que peu de relations avec les habitants d'autant plus qu'il passe son temps à lire la nuit bien qu'il habite une maison au sein du hameau. Les travailleurs de la forêt aux sont clairement rattachés aux classes sociales paysannes : ils sont attachés à la terre et au dur labeur. C'est le cas de Giles Winterborne qui est profondément ancré dans les valeurs du respect de la terre et de l'autre. Les paysans sont représentés comme des personnages stables et conscients des réalités de la vie tandis que les nobles sont des caractères névrosés et profondément instables comme condamnés à être écartelés entre des sentiments contradictoires. Entre ces deux mondes qui sont pratiquement opposés se trouve la jeune Grace qui porte en elle des caractères appartenant aux deux classes sociales. Cette hybridité est précisément la source des problèmes qui affecteront le village dès son retour de la ville où elle s'est instruite.
L'un des thèmes fondamentaux de ce livre réside d'ailleurs dans l'idée qu'il est impossible de s'extraire fondamentalement de sa classe sociale. En effet, les développement tragiques du textes sont bien souvent dus aux déviations qu'opèrent les personnages, des chemins qui leur avaient été tracés.
J'ai adoré le personnage de Marty, cette jeune fille paysanne amoureuse de Giles Winterborne qui est promis à Grace dont il est strictement épris. Son quotidien est précaire et elle travaille dur pour gagner son pain jusqu'à vendre ses longs cheveux - pourtant ses seuls atouts physiques - à Mrs Charmond afin qu'elle se fasse des extensions. J'ai été très touchée par ce caractère profondément tragique et pathétique qui n'a pas d'autres ambitions que de vivre une vie simple et heureuse.
À travers le personnage de Giles Winterborne, Thomas Hardy nous offre une magnifique vision de l'amour chaste et simple qui conduit le personnage jusqu'au sacrifice de lui-même afin de préserver la vertu de sa belle Grace Melbury. Giles Winterborne est un caractères qui ne souffre aucune ambivalence : il est profondément bon de façon univoque. C'est peut-être Marty qui le caractérise le mieux : "Va, jamais je ne t'oublierai, car tu étais un brave homme, qui ne savait faire que le bien". Le sacrifice de Winterborne apparaît comme le seul moyen de retrouver une quiétude dans le village sans nuire à l'honneur de Grace. Il y a là quelque chose de profondément tragique qui rappelle le sacrifice d'Iphigénie pour que la flotte d'Agamemnon dont elle est la fille puisse prendre la mer et aller en guerre. Une mécanique implacable qui condamne le seul personnage entièrement tourné vers le bien du récit. D'un point de vue religieux on entrevoit aussi le symbole du sacrifice du Christ pour les croyants. J'ai été bouleversée par cette image forte et touchante.
Cette histoire est très riche, Thomas Hardy sait mêler à la perfection le comique le plus hilarant avec un tragique des plus pathétiques sans que jamais les tons ne s'entrechoquent. Je rejoins donc entièrement l'avis de Gide sur cette ouvrage qui m'encourage à découvrir prochainement les autres textes de l'auteur.

Du même auteur :
  • Jude l'Obscur
  • Tess d'Uberville
  • Loin de la foule déchaînée
Vous aimerez peut-être aussi :

3 commentaires:

  1. Tout ce que j'aime, ça. Les classiques anglais ont une saveur différente des nôtres.
    Ce que tu rapportes d'André Gide me donne à moi aussi envie de le découvrir. Tess, c'était superbe. Relu l'année dernière.

    Merci pour ce beau billet. :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je pense le lire prochainement Tess d'Uberville :) Merci pour ton commentaire et tes encouragements!

      Supprimer
  2. Ça me donne bien envie tout ça, je vais le rajouter à mes envies de lecture. *_*

    RépondreSupprimer